Le sang coule encore en Kabylie
Risques internationaux, n° 71, 15 février 2007
Le 14 février a été un nouveau jour de deuil pour la Kabylie. Six personnes ont été tuées, dont quatre civils, et une quarantaine d’autres blessées, dans deux wilayas, Boumerdès et Tizi Ouzou. Ce sont des brigades de la gendarmerie, des casernes et des sièges de la sûreté urbaine qui ont été pris pour cibles.
Dans le département de Tizi Ouzou, les deux premières voitures ont explosé devant la caserne de Draâ Ben Khedda (10 km à l’ouest de la wilaya) et le commissariat de Mekla (30 km à l’est de la wilaya), tuant 2 personnes et faisant 20 blessés. Une troisième voiture a explosé vers 10 heures au niveau du pont de Boubhir, sur la route reliant Azazga à Aïn El Hammam, tuant un citoyen. La ville de Boumerdès et les localités de Si Mustapha et de Souk El Had ont été également ciblées par des attentats similaires qui ont fait 4 victimes et une vingtaine de blessés. Ces attentats auraient été revendiqués, dans l’après-midi, par « Al Qaîda au Maghreb », la nouvelle appellation du GSPC (« Groupe salafiste pour la prédication et le combat ») qui aurait changé d’appellation à la fin du mois de janvier.
Dans la journée, un communiqué a effectivement été mis en ligne sur internet, et repris en partie par l’AFP, mais son authenticité n’a pas pu être vérifiée. Il déclame : « Les vaillants moudjahidine ont réussi à […] faire exploser simultanément six voitures piégées qui ont pris pour cible plusieurs commissariats de police et de la garde nationale en Kabylie », et il est signé de « l’organisation Al Qaîda au pays du Maghreb islamique ».
La synchronisation de ces attentats et leur mode opératoire rappellent ceux d’octobre dernier qui avaient eu lieu à Dergana, près d’Alger, et à Rouiba : voitures piégées dont l’explosion est actionnée à distance. En décembre dernier, l’attentat de Bouchaoui avait, par contre, été accompagné d’une fusillade contre le bus transportant le personnel de la société algéro-américaine BRC, qui été dissoute, depuis, sur instruction algérienne. Probablement parce qu’elle avait permis de juteuses affaires de surfacturation que personne ne souhaite voir dévoiler sur la place publique, surtout à un moment où le procès de la banque Khalifa apporte, chaque jour, son lot de révélations croustillantes, aussi bien sur les sous-fifres algériens incriminé que sur les célébrités françaises qui avaient bénéficié des largesse du très prodigue « Moumen ».
Ces attentats surviennent néanmoins après une période de calme relatif en Kabylie. Les opérations les plus sanglantes commises dans la wilaya de Tizi Ouzou remontent en effet au mois de septembre et d’octobre 2006. Le 6 septembre, une bombe avait explosé au passage du commissaire de Beni Douala, près du village d’Ath Mesbah, sur la route reliant Beni Douala à Beni Zmenzer (mais sans faire de victime). Il y avait eu ensuite l’assassinat du président de l’APW de Tizi Ouzou, Aïssat, le 12 octobre à Aïn Zaouia, deux jours après l’attaque d’une patrouille qui avait fait un mort et sept blessés. Le 29 octobre, c’était un barrage mixte qui avait été ciblé à Boghni, faisant 3 blessés, en plein mois de Ramadan.
Les événements du 14 février ont surpris les Algériens, du fait de l’imposant dispositif sécuritaire qui avait été déployé après les violents attentats de Réghaïa et de Dergana. Ils semblent même avoir pris de court les autorités et les services de sécurité. Ils surviennent, en effet, après les déclarations du ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, qui déclarait, récemment, que le changement de dénomination et de « raison sociale » du GSPC n’aurait aucun effet sur la donne sécuritaire, en Algérie, ou même sur la capacité de nuisance des groupes terroristes, « réduite à quelques coups d’éclat sans lendemain ». Au début du mois, le ministre délégué aux Collectivités locales, Daho Ould Kablia, affirmait lui aussi, depuis Tunis, que le GSPC est devenu « un mouvement qui tend à être éradiqué en totalité et ne pose pas de problème en termes de menace importante ». Déjà, après l’attentat de Bouchaoui, le ministre Zerhouni avait évoqué la possibilité d’autres pistes que celle du terrorisme, notamment des opérations de pur banditisme. Tous les partis politiques algériens ont condamné ces nouveaux attentats, dont le FFS, « Front des Forces socialistes » (de Hocine Aït Ahmed) très bien implanté en Kabylie. Il estime que « la simultanéité de ces attentats dans une région placée sous très haute surveillance, témoigne de la haute capacité opérationnelle de leurs auteurs ». Et il ajoute : « Nous dénonçons par anticipation les manipulations médiatico-sécuritaires qui ne manqueront pas d’exploiter ces attentats pour justifier la poursuite d’une politique destinée à museler, contrôler et dominer la population au lieu de la protéger ».
C’est le scepticisme qui l’emporte, de très loin, dans l’opinion publique et la presse algérienne. Certains éditorialistes s’interrogent : « La volonté politique d’en finir avec ce phénomène existe-t-elle réellement ? » et apportent un début de réponse : « L’idée répandue par certains milieux, selon laquelle le terrorisme résiduel est entretenu à dessein par certains cercles du pouvoir pour maintenir le statu quo politique et préserver les « équilibres nationaux », trouve de plus en plus d’adeptes au sein de l’opinion. »
D’autres font le lien avec le maintien de l’état d’urgence et la chape de plomb imposée par les dispositions de l’amnistie conclue dans le cadre de la « réconciliation nationale ». Ainsi, un séminaire international sur la question des disparitions forcées qui avait été organisée par plusieurs associations (pourtant agréées) et qui devait se tenir dans un grand hôtel algérois, vient-il d’être interdit et ses participants dispersés manu militari. Quant au Parti des Travailleurs (le PT) de Louiza Hanoune, il voit, dans ces attentats, une incitation qui pourrait être donnée, aux État- Unis de renforcer leur présence dans le Sud algérien. La conscience que cette affaire est bien spécifiquement algérienne — d’essence nationale, et non internationale comme pourrait le laisser supposer la soit-disant implication de Al Qaîda dans le regain de la violence en Algérie — est finalement le seul point commun qui semble admis par tous en Algérie !