Le Gspc, le vote et la patate

Le Gspc, le vote et la patate

L’Expression, 15 Avril 2009

Les spéculateurs ont failli réussir là où les terroristes ont échoué.

Il y a quelque chose qui titille les narines dans cette histoire de la flambée des prix de la pomme de terre depuis maintenant quatre semaines. Au lieu de sentir la friture, c’est l’odeur combinée de la manipulation et de la spéculation qui s’y dégage fortement. Voyons les faits, rien que les faits. En 2008, l’Algérie a importé 80.000 tonnes de pomme de terre de semence pour un montant de 64,2 millions de dollars. Dans les cinq années à venir, cette facture sera réduite de 80% puisque l’Algérie envisage de produire 1,5 million de quintaux de cette pomme de terre de semence. Pour la pomme de terre de consommation, ce sont 46 millions de dollars qui ont été déboursés en 2007 pour l’importation de 122.640 tonnes de ce tubercule. Aucun centime n’a été déboursé pour l’importation depuis 2008 et on jure par tous les saints au ministère de l’Agriculture qu’on n’importera plus jamais de la pomme de terre pour la consommation. Il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour comprendre l’enjeu. Il s’agit évidemment de sauvegarder une cagnotte que se partagent des spéculateurs ayant des relais dans les hautes sphères de l’Etat. Ainsi donc, ce ministre de l’Agriculture a osé, en 2009, tarir une source qui produit bon an mal an plus d’un milliard de dollars! Il y a de quoi revendiquer sa tête non? On ne s’attaque pas comme ça «au pain des enfants!». Il fallait donc agir vite et au moment opportun. Quand on veut faire mal au peuple, il faut l’attaquer à sa bourse. La spirale est partout la même: baisser la production par les moyens les plus machiavéliques, à savoir le stockage «sauvage», ce qui va nécessairement engendrer une flambées des prix. Il résulte de ce dangereux cocktail une aggravation du mécontentement général et une agitation sociale exacerbée. Il y a quelques jours, on a appris qu’une enquête secrète a été diligentée par les services de sécurité en vue de remonter le fil de ses spéculateurs, et des responsables jusque-là insoupçonnés risquent de faire les frais de ce qui est appelé dans cette investigation menée par les services spécialisés: le crime économique.

Le danger de cette flambée volontairement créée, est d’autant plus grave qu’il intervient à un moment politique crucial: il y avait un scrutin et quel scrutin! il s’agissait d’une élection présidentielle. Les spéculateurs ont failli réussir là où le Gspc a échoué. Si cette organisation criminelle a été acculée par les services de sécurité à faire taire ses bombes et cesser ses attentats avant, pendant et après le scrutin du 9 avril, les professionnels de la spéculation on failli actionner la bombe sociale. Mais il faut dire qu’à ce niveau le terrain était propice. Il ne s’agit pas de juger le système de stockage mis en place il y a moins d’une année, mais de constater la grave fragilité des mécanismes du marché dans notre pays. Cette tempête de la pomme de terre a, au moins, le mérite de nous révéler les dysfonctionnements du marché qui, en réalité, remontent jusqu’aux années de l’économie dirigée. C’était l’époque de l’assistanat et du paternalisme inconscient, par ailleurs très intentionné. Après tout, il vaut mieux maintenir le peuple sous la perfusion des PAP (Plans antipénurie) que de le laisser s’intéresser à ce qu’on appelait à l’époque «El boulitik». La politique, ce vilain mot qui, quand il est «politisé», produit l’exact contraire d’une bonne gestion des affaires.
Depuis une année, la cadence avec laquelle est menée la politique du développement rural semble marquer le pas. Pourquoi? Les observateurs et les spécialistes du monde agricole avancent deux principales explications. La première est liée à l’endurance de l’équipe qui, depuis dix ans, sillonne le pays, explique, écoute et accomplit un véritable travail de fourmi. Un monde rural au bout du clic, c’est du jamais-vu depuis l’Indépendance.
Aujourd’hui, la base de données informatisées que détient le ministère de l’Agriculture est une véritable mine d’informations qui ferait des jaloux à l’Office national des statistiques ou au ministère de l’Intérieur. Cette équipe que mène le Dr Rachid Benaïssa, à qui le surnom de Sisyphe conviendrait comme un gant, est usée. Isolée et confinée dans un ministère délégué pendant huit ans, cette équipe caressait le rêve de voir son «Sisyphe» prendre la totalité du ministère de l’Agriculture, que dirigeait Saïd Barkat, et disposer de moyens pour mener à bien sa politique ambitieuse. Aujourd’hui, nous sommes à peu près dans la situation de ce chasseur qui ne sait plus quoi faire de la peau de l’ours qu’il a abattu. La deuxième raison avancée par les spécialistes est ce glissement, parfois dangereux, du monde agricole vers le monde de la politique. Cette mutation d’une équipe de technocrates vers le monde passionné de la politique risque d’être périlleuse pour l’agriculture. En attendant, les dés ne sont pas encore pipés et la roue du renouveau rural tourne encore.

Brahim TAKHEROUBT