Décès du numéro 2 du DRS

Le général-major Smaïn Lamari inhumé hier à El-Alia

Décès du numéro 2 du DRS

Par : Mounir Boudjema, Liberté, 29 Août 2007

Le général-major Smaïn Lamari, patron de la DCE, département du DRS chargé du contre-espionnage, est décédé à l’aube de ce lundi d’un infarctus. Transporté en urgence à l’hôpital militaire de Aïn-Naâdja, dans l’après-midi de dimanche dernier, il a été inhumé, hier, au cimetière El-Alia.

Le général-major Smaïn, surnommé “El-Hadj” dans les milieux du renseignement algérien, aura finalement succombé à une triple crise cardiaque qui emporte l’un des hommes-clés de l’appareil militaire et de sécurité algérien.
Ni les groupes terroristes, dont il était “la bête noire”, ni les tentatives d’attentats n’auront eu raison de cet officier supérieur réputé pour sa main de fer et sa capacité tactique face aux islamistes.
Car rien ne prédestinait cet enfant de Belfort (à El-Harrach) à devenir un des hommes les plus redoutés et craints de l’État algérien. D’ailleurs, jusqu’à sa mort, à 66 ans (il est né le 1er juin 1941), il ne s’est jamais départi de sa simplicité et de son goût pour ses racines populaires, comme son père, un chauffeur de taxi, fort apprécié dans le quartier, lorsqu’il se mêle à la foule du stade d’El-Harrach, incognito, pour regarder le club de son cœur, l’USMH.
Mais son attitude modeste n’a d’égale que sa détermination à éradiquer les menaces qui pesaient sur l’Algérie, dont le terrorisme, son département étant un des fers de lance dans une lutte implacable qui a même fait sa réputation auprès de ses homologues de la DST française ou la CIA américaine.
À moins de 20 ans, il rejoint les rangs de l’ALN, avant d’opter temporairement pour la DGSN où il ne fit pas carrière, préférant changer de cap pour l’armée où il gravit les échelons en étant sous-lieutenant au début des années 1970 à la fameuse Sécurité militaire. C’est au contact des anciens du MALG, dont Kasdi Merbah, Yazid Zerhouni et autres Si Salah qu’il intègre les “services” et devient au fil des ans, “un vieux briscard” du renseignement aussi respecté que craint.

Un des fondateurs du GIS
Car au sein du contre-espionnage, le général Smaïn allait hisser ce service aux normes internationales en formant, dès 1990, de jeunes officiers à devenir l’élite de la lutte antiterroriste qui s’annonçait inéluctable contre le GIA. On lui confie le GIS (Groupement d’intervention spécial), une unité d’élite du DRS, qui allait faire ses preuves sur le terrain après seulement quelques mois de formation en Italie, Jordanie, Égypte ou Corée du Sud. Les hommes qui ont pénétré le siège du FIS en 1991 pour arrêter Abassi Madani et Ali Benhadj étaient directement sous ses ordres, ce qui lui a valu d’être connu dans les milieux islamistes comme le “général à abattre”.
Il l’était d’autant plus qu’il a fait partie, de manière dynamique, des hauts cadres de l’armée algérienne à refuser que la République algérienne ne tombe entre les mains des intégristes en 1992.
Son sens tactique et ses nombreuses opérations contre le GIA allaient asseoir son autorité et renforcer son commandement au sein d’une direction du contre-espionnage qui, à cause des urgences de la lutte antiterroriste, s’est retrouvée aux avant-postes.
Élimination du premier noyau du GIA (Meliani, Chebouti et Bâa Azzedine), infiltration des maquis terroristes, notamment à Chréa, mais aussi et surtout le fait de briser les commandos du FIDA qui ont assassiné une longue liste d’intellectuels, universitaires, artistes et journalistes entre 1992 et 1994 comptent parmi ses succès.

Quand Paris sollicitait le général
Ses méthodes traversent la Méditerranée, et la DST inquiète des réseaux islamistes qui prolifèrent en France sous la coupe du GIA, demande assistance à travers Yves Bonnet. Le général de corps d’armée, Mohamed Mediene, patron du DRS, délègue le général Smaïn pour être l’interlocuteur des services français.
Ces derniers découvrent les méthodes d’infiltration algérienne et la capacité du général Smaïn à “manipuler” les hommes dans ces réseaux.
L’opération “Chrysanthèmes” est un succès pour Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur, suivie par le démantèlement de nombreuses cellules dormantes dans l’opération “Salim” que les services français s’approprient avec le consentement du général Smaïn. La légende veut que le général Smaïn a fourni le tuyau aux Français pour coffrer Carlos au Soudan, mais comme dans ces milieux de l’ombre, même les légendes sont en clair-obscur. Il se lie d’amitié avec le général Rondot et le préfet Marchiani qui ont œuvré à ce que les Français sollicitent l’expertise des services algériens après les attentats de Paris.
Après l’épisode de l’Airbus et des moines de Tibherine, qui a donné lieu à une guerre des services entre Algériens et Français, le général Smaïn devient le principal négociateur des accords entre l’État algérien et l’AIS.
En compagnie du général Boughaba, ancien chef de la Ve Région militaire, il écume les maquis de Jijel et arrive à convaincre les partisans de Madani Mezrag de déposer les armes et de se rendre.
Le processus de la concorde civile (devenue réconciliation nationale) est en marche et les acteurs de l’époque, dont les cadres de l’AIS, ont confessé que la présence du général Smaïn, par sa crédibilité et ses engagements lors de ces négociations secrètes, a été le facteur le plus déterminant pour la reddition.

Artisan des accords avec l’AIS
L’expérience n’était pas strictement politique pour le numéro 2 du DRS. Il y voyait une manière subtile de désarmer les groupes terroristes tout en insinuant la division et la scission au sein du groupe du GSPC, le groupe issu du GIA. L’impact psychologique de ce succès est tel que le GIA implose, alors que la lutte antiterroriste se radicalise contre le GSPC et c’est logiquement que le général Smaïn devient “major” lors de la promotion du 5 juillet 1999.
Le nouveau locataire d’El-Mouradia, le président Bouteflika, apprécie ce général taciturne et efficace, qui ne sait pas faire dans la dentelle et dont les hommes lui prêtent une loyauté sans faille. La DCE devient aussi, sous sa férule, un service de renseignement respecté puisqu’il se met, bien avant le 11 septembre 2001, à aider les services occidentaux dans leur lutte contre les réseaux d’Al-Qaïda.
Une autre légende veut que le jour du 11 septembre, une commission rogatoire américaine composée de représentants du département de la justice US et du FBI, est à Alger pour interroger Abdelmadjid Dahoumene dont la tête a été mise à prix
5 millions de dollars pour son implication dans les attentats du Millenium de Los Angeles.
Les agents américains ont été informés par le général Smaïn qu’Al-Qaïda préparait un gros coup aux États-Unis sur la foi de renseignements établis par des agents algériens au Pakistan.
Car les légendes sont nombreuses et souvent pas en faveur du général Smaïn, dont les réseaux de propagande des islamistes ont tenté par tous les moyens de dénigrer ou de discréditer, allant même jusqu’à s’attaquer à sa famille.
D’ailleurs, la seule photo publiée l’a été par le MAOL, un site Internet d’officiers félons de l’ANP sous les auspices de services étrangers, prise dans un quartier à Paris par un téléobjectif.
Le général Smaïn Lamari décédé ainsi, laisse toute une génération d’officiers formés par ses soins auquels il n’a eu de cesse de marteler la seule consigne qu’il répétait inlassablement : protéger d’abord et, avant tout, l’Algérie.

Mounir B.