El-Qaida au Maghreb frappe au coeur du pouvoir algérien

L’ALGÉRIE ENREGISTRE SES PREMIERS ATTENTATS KAMIKAZES :

El-Qaida au Maghreb frappe au coeur du pouvoir algérien

par Naïma B. et Youcef Brahimi, Le Jeune Indépendant, 12 avril 2007

Deux attentats suicide ciblant le palais du Gouvernement et le siège de la division est de la police judiciaire, à Bab Ezzouar, ont été perpétrés hier matin entre 10h50 et 11h30 et ont fait entre 24 et 31 morts, dont une dizaine de policiers, et 222 blessés, selon un bilan provisoire.

Ces deux attentats ont été perpétrés à l’aide de voitures piégées conduites par des kamikazes. L’attentat contre le palais du Gouvernement a fait au moins 12 morts et 135 blessés et celui de Bab Ezzouar au moins 12 morts et 87 blessés, selon un bilan provisoire de la Protection civile.

Le chef du gouvernement Abdelaziz Belkhadem a immédiatement condamné ces attentats «criminels et lâches commis au moment où le peuple algérien demande la réconciliation nationale». Dans un communiqué publié hier après-midi sur un site Internet islamiste, utilisé souvent par le réseau terroriste d’Oussama Ben Laden, la branche locale d’El-Qaïda en Afrique du Nord revendique et affirme que trois de ses combattants ont commis les attentats à la voiture piégée à Alger, faisant au moins 53 tués, selon elle.

D’après le texte publié sur le site islamiste, l’attentat contre le palais du Gouvernement a été commis par Mouadh Ben Jabel au volant d’un véhicule rempli de 700 kg d’explosifs «faisant 45 tués et un nombre indéterminé de blessés, comme il a partiellement détruit le bâtiment».

Le communiqué, dont l’authenticité ne pouvait être vérifiée dans l’immédiat, ajoute que le kamikaze Zoubeir Abou Sajida, au volant d’un autre véhicule rempli également de 700 kg d’explosifs, s’est attaqué «au siège d’Interpol» à Bab Ezzouar, «le détruisant et tuant au moins huit policiers».

Un troisième attentat a visé «le siège des forces spéciales de la police» à Bab Ezzouar, sur la route de l’aéroport international d’Alger, et a été mené à l’aide d’un véhicule chargé de 500 kg d’explosifs et conduit par un certain Abou Dajjana, «détruisant le bâtiment, tuant et blessant un grand nombre de policiers», ajoute le texte.

Le communiqué est accompagné de trois photos présentées par El-Qaïda au Maghreb comme celles des trois kamikazes. Deux des trois hommes, montrés entourés de deux fusils mitrailleurs, étaient coiffés d’un chèche, le couvre-chef porté généralement par les habitants du Sahara et les Touareg.

Un seul kamikaze était à visage découvert sur la photo. Dans son communiqué, intitulé «La conquête Badr du Maghreb islamique» et signé Mouvement d’El-Qaïda dans les pays du Maghreb islamiques – Commission d’information, ce groupe annonce davantage d’attentats.

«Nous ne serons en paix que lorsque nous aurons libéré toute la terre d’islam des croisés, des apostats et des agents et que nous aurons repris pied dans notre Andalousie spoliée et notre Qods violée», affirme le groupe, qui déclare aussi avoir mené depuis le 1er avril plusieurs autres actions antigouvernementales en Algérie.

D’autres bombes auraient été désamorcées Des sources non confirmées officiellement ont affirmé que plusieurs voitures piégées ont été désamorcées peu auparavant à proximité de plusieurs bâtiments publics à Alger, notamment au bas du jardin public de l’avenue Pasteur, à quelques centaines de mètres du palais du Gouvernement, et à la faculté de droit de Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger.

Un officier de police, sous couvert de l’anonymat, a indiqué que l’attentat avait été perpétré par un kamikaze à bord d’une voiture de marque Renault Clio qui s’était lancée à grande vitesse contre le poste de garde du palais de Gouvernement.

«Un attentat pareil ne peut pas avoir été le fait d’une voiture piégée abandonnée sur place dans un lieu aussi bien gardé, au nez et à la barbe de la sécurité du palais», a expliqué l’officier. Selon un autre policier, le kamikaze a fait une «simulation» en contournant une première fois le rond-point du palais avant de revenir dix minutes plus tard et de lancer son véhicule à toute vitesse contre le poste de garde.

La voiture a rapidement dévalé la pente menant à la grille principale du palais, prenant de court les policiers de garde, avant de s’encastrer dans le béton avec un bruit rappelant celui d’un tremblement de terre. «Je pensais que c’était un tremblement de terre, quelque chose comme la fin du monde», raconte un employé du palais.

La Clio était chargée d’au moins 150 kg de TNT, a indiqué une source sécuritaire. Il ne reste plus du véhicule qu’un amas de ferraille calciné et des débris de tôle projetés dans un rayon de plusieurs dizaines de mètres. Plus d’une heure après l’attentat, un épais nuage de fumée noire se dégageait encore du lieu de l’explosion, qui a creusé un large cratère dans la chaussée.

Un grand nombre d’ambulances, sirène hurlante, ont immédiatement afflué sur place pour secourir les victimes, dont des blessés gravement atteints. Une façade du palais a été dévastée sur huit étages. Des fils électriques pendent des plafonds, dont les plaques ont été arrachées par la violence du souffle de l’explosion.

Le bureau du chef de cabinet du chef du gouvernement Mohammed Sbaïbi a été dévasté, mais ce responsable, choqué, n’a pas été blessé. Quelques mètres plus loin se tenait le conseil du gouvernement… Au moment de l’explosion, le chef du gouvernement présidait à quelques mètres de l’impact le conseil du gouvernement.

De nombreuses victimes, notamment parmi les riverains, ont été enregistrées ainsi que plusieurs véhicules endommagés. Le palais du Gouvernement, qui abrite les services du chef du gouvernement ainsi ceux du ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales, est une solide bâtisse en béton, qui avait hébergé le Gouvernement général (GG) de l’Algérie pendant la période coloniale.

Le général De Gaulle s’était adressé en 1958 de son balcon aux Français d’Algérie, leur proclamant son célèbre et ambigu «je vous ai compris», interprété comme un engagement à maintenir l’Algérie française. Des scènes insoutenables à Bab Ezzouar Quant au lieu ciblé à Bab Ezzouar, il abrite, outre le siège de la police judiciaire de l’est d’Alger, le siège de la brigade de la Gendarmerie nationale de Dar El-Beida, le centre de la Protection civile pour l’intervention et l’entraînement ainsi que l’Ecole nationale des greffiers.

Selon des témoignages recueillis sur place, les deux véhicules ont explosé à dix minutes d’intervalle et l’un d’eux a complètement volé en éclats. Trois éléments de la Protection civile ont péris à bord de leur véhicule ainsi que trois gendarmes et un policier.

De nombreux civils figurent également parmi les victimes. Une dizaine de véhicules, de passage ou stationnés dans le parc du bâtiment de la sûreté nationale, ont été calcinés et des dizaines d’autres fortement endommagés. Les déflagrations ont provoqué deux cratères de 75 cm de profondeur et de près de deux mètres de diamètre.

La clinique de la cité du 5-Juillet a été la première à recevoir les blessés. «Nous avons reçu plus d’une vingtaine de blessés, mais nous étions dépassés pour prendre l’identité de tous. Les cas jugés graves ont été évacués vers l’hôpital Zmirli d’El-Harrach et celui de Rouiba», nous a affirmé une infirmière.

Les dégâts matériels sont importants, puisque le siège de la police judiciaire a été sérieusement endommagé. Le mur de clôture et le portail ont été défoncés, la façade arrachée et les plafonds effondrés du fait de la puissance de l’explosion.

Les policiers en poste, traumatisés, avaient du mal à s’exprimer et ceux qui avaient des collègues parmi les victimes étaient complètement effondrés. Le siège de la brigade de la gendarmerie n’était pas en reste de même que tous les bâtiments de la cité du 5-Juillet, qui ont subi des dégâts plus ou moins importants.

La scène était donc apocalyptique avec des corps déchiquetés et des morceaux de chair humaine éparpillés sur un rayon de 300 m. Des objets divers et les restes d’habits des victimes jonchaient le sol. Les pylônes électriques fragilisés par l’explosion risquaient de s’effondrer.

Les éléments de la Protection civile et de la police scientifique rassemblaient des lambeaux de chair humaine. Les véhicules calcinés, dont celui de la Protection civile, qui dégageaient encore de la fumée, étaient encore sur les lieux.

L’odeur de sang se mêlait à celle des objets carbonisés ainsi que celle du carburant qu’ont perdu les véhicules de passage. Des flaques de sang marquaient le sol ici et là au milieu de pièces calcinées de véhicules. Les services de sécurité avaient du mal à identifier les véhicules utilisés par les terroristes puisque les témoignages étaient contradictoires.

A noter que M. Mohammed Kébir Addou, wali d’Alger, et M. Ali Tounsi, directeur général de la Sûreté nationale, s’étaient rendus sur les lieux des attentats. Ces deux attentats surviennent cinq jours après un dur accrochage entre l’armée et un groupe terroriste samedi dernier à Ain Defla au cours duquel neuf militaires ont été tués.

L’armée mène également depuis près de vingt jours une vaste opération de ratissage à Amizour, dans la wilaya de Béjaïa, où plusieurs milliers de militaires, de GLD et de gendarmes traquent une centaine d’éléments armés appartenant au GSPC.

Le GSPC s’est rallié en septembre à El-Qaïda en se rebaptisant Branche armée d’Al Qaïda au Maghreb. Alger renoue ainsi avec les attentats en zone urbaine qui avaient été enrayés ces dernières années sous les coups de boutoir des forces de sécurité.

N. B. et Y. B.