Bedjaoui: “Vous avez donné du crédit à des tueurs d’enfants…”
Le MAE Bedjaoui accuse lors de la 1re session des droits de l’homme de l’onu
“Vous avez donné du crédit à des tueurs d’enfants…”
Samia Lokmane, Liberté, 22 juin 2006
Le chef de la diplomatie est revenu sur la décennie noire et a récusé “les explications simplistes et réductrices ayant accordé du crédit aux tueurs d’enfants et de handicapés”.
“L’Algérie mesure bien la complexité de la tâche visant la refondation des rapports entre citoyens que les aléas de l’histoire ont amené à se déchirer, surtout que ses efforts et les équilibres politiques et juridiques qu’ils nécessitent soulèvent quelques critiques et réserves, particulièrement au sein de la communauté des organisations non gouvernementales et de certains mécanismes qui se sont exprimés sur des textes d’application de notre charte pour la paix et la réconciliation nationale”, observe Mohamed Bedjaoui. S’exprimant hier à Genève, en Suisse, dans un discours prononcé à l’ouverture de la première session du Conseil des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations unies, le chef de la diplomatie algérienne a fait un long plaidoyer en faveur de la politique de réconciliation nationale et des différentes réformes, notamment sur le plan législatif visant la défense des droits de justiciables et la promotion des libertés collectives et individuelles. D’emblée, il précisera que l’Algérie n’a pas à recevoir de leçon de quiconque en matière de droits de l’Homme qui, selon lui, “sont le patrimoine de l’humanité (et) ne sont l’apanage ni d’une civilisation, ni d’une religion, ni d’une région géographique et ne constituent certainement pas un luxe que s’offriraient seuls les plus nantis”. Sans doute exaspéré que son pays soit régulièrement mis sur la sellette par les ONG, le ministre des Affaires étrangères souhaite que le nouveau Conseil de l’ONU soit neutre et juste. “C’est à la faveur du dialogue, de la coopération et non de l’affrontement et de la politisation que la crédibilité de ce nouvel organe sera établie. Les droits de l’Homme, tous les droits de l’Homme, devront recevoir dans cette enceinte, et dans un esprit de consensus, un traitement juste, égal et équitable dans l’interdépendance, l’objectivité et la non-sélectivité”, préconise-t-il. Au sein même de l’instance onusienne, le débat s’était instauré pendant la décennie noire sur la responsabilité de l’État algérien dans le massacre de son peuple. Exhumant cette période, Mohamed Bedjaoui est plein de reproches : “Dans un environnement international où le phénomène terroriste rencontrait quelque indifférence, voire complaisance, mon pays a cherché seul sa voie, récusant les explications simplistes et réductrices qui ont accordé du crédit aux tueurs d’enfants et de handicapés, ainsi qu’un statut aux criminels qui ont cherché à faire assumer à la religion leurs sinistres forfaits.” Bien évidemment, l’ancien président de la Cour internationale de justice de La Haye reconnaît que tout n’était pas parfait et que durant la lutte contre le terrorisme, l’Algérie avait empiété sur quelques règles. “Elle s’est retrouvée, comme tant d’autres pays, quel que soit le stade atteint dans la voie de la prospérité et de la démocratie, qui ont peiné dans la détermination d’un équilibre irréprochable entre sécurité et liberté. En apportant des correctifs à un certain déséquilibre dans l’action en faveur de ces deux objectifs, on peut involontairement créer d’autres déséquilibres, affectant par défaut et non par dessein les justiciables eux-mêmes, donnant ainsi matière à des lectures excessives, inspirées par le prisme déformant des préjugés”, explique-t-il. Très longuement, M. Bedjaoui loue “la résistance des Algériens au terrorisme”, “l’œuvre salvatrice des forces républicaines” et “la tâche de cicatrisation sociale” qui, de son avis, a permis “d’isoler davantage les partisans de la violence et d’infliger à leurs commanditaires en Algérie et à l’étranger la démonstration que ces groupes qui se sont appropriés d’abord l’espace “terroriste” avant de se déguiser outrageusement en militants des droits de l’Homme, ne sont en fait que des auteurs de crimes, justiciables de leurs forfaits”. Le ministre d’État réfute le jugement des hommes et laisse le soin à l’histoire de montrer que la réconciliation nationale est le choix le plus approprié pour mettre fin à “la tragédie nationale”, qui, insiste-t-il, “est derrière nous”. “Notre détermination, au-delà, du “plus jamais ça” est de faire de l’Algérie non pas le clone d’une société venue d’ailleurs, fusse-t-elle la plus enviée, mais un pays où les habitants jouissent, dans la spécificité de leurs cultures et de leur foi, de la plénitude de leurs droits tant économiques et sociaux que civils et politiques. Des droits indissociables et universels”, projette l’hôte de l’ONU. Dans cette perspective, il cite des “accomplissements dans la sphère des libertés démocratiques fort appréciables”, notamment dans le secteur de la justice. Passant en revue les contenus de la réforme législative élaborée par le département de Tayeb Belaïz, il cite la révision du code pénal et de procédure pénale, le code civil, de la famille, de la nationalité, l’assistance judiciaire et la réforme pénitentiaire. Il évoque également les efforts engagés dans la voie de l’indépendance de la justice à travers l’adoption du statut de la magistrature et de la loi organique du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). En classant ces progrès, M. Bedjaoui considère que l’Algérie n’a plus à avoir de complexes vis-à-vis de ses pairs de la communauté internationale ou des différentes institutions surtout celles versées dans la défense des droits de l’Homme, y compris l’ONU. À ce titre, il apporte un démenti formel aux allégations ayant circulé autour de l’ajournement de la visite à Alger des rapporteurs spéciaux des Nations unies sur la violence à l’égard des femmes et sur la promotion du droit à la liberté d’opinion et d’expression et dont les déplacements étaient programmés respectivement en décembre 2005 et janvier 2006. “L’Algérie se réjouit à la perspective de les recevoir”, assure le chef de la diplomatie.
Il est à noter que plusieurs de ses homologues d’autres pays, dont Philippe Douste-Blazy, chef de la diplomatie française, sont présents à Genève.