Arnaque à l’attentat
Eric Pelletier, L’Express, 4 janvier 2007, n° 2896, p. 72
http://www.lexpress.fr/info/societe/dossier/faitdiv/
dossier.asp?ida=454734
En se faisant passer pour un terroriste pris de remords, un escroc a réussi à mettre en alerte les autorités françaises. Un scénario digne d’un roman d’espionnage
Le repenti semble proche d’Al-Qaeda et son scénario est crédible
Cette fois, l’espion venait du chaud. Un escroc de haut vol, basé au Mali, a tenté de mystifier les services antiterroristes en distillant de fausses informations sur l’imminence d’un attentat près des Champs-Elysées, à Paris.
Le 21 novembre 2006, le service de sécurité de l’ambassade du Koweït en France reçoit un appel troublant. L’homme, qui téléphone de Bamako, au Mali, se présente comme un ex-officier de l’armée algérienne. A l’entendre, il aurait déserté pour rejoindre les rangs du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), un mouvement, proche d’Al-Qaeda, qui a plusieurs fois menacé Paris. L’inconnu explique d’une voix posée qu’un commando du GSPC fait route vers la France afin de faire exploser une voiture piégée devant la représentation diplomatique du Koweït.
Affabulations ? Le scénario paraît crédible, d’autant que le mystérieux correspondant laisse un numéro de téléphone où il peut être joint. Les autorités françaises, aussitôt prévenues, prennent l’alerte au sérieux, car leur interlocuteur semble maîtriser les arcanes du GSPC. Il livre des éléments permettant de retracer le parcours des kamikazes et fournit de la documentation cryptée sur le groupe salafiste. Mieux : il accepte de rencontrer les policiers en poste à l’ambassade de France à Bamako — l’un d’eux a récemment écrit un livre sur la financement du terrorisme — en promettant de remettre d’autres documents, conservés dans un ordinateur portable. Les premiers contacts pris avec les autorités algériennes, à partir de l’identité que le transfuge a communiquée, confortent les inquiétudes françaises : il pourrait effectivement s’agir d’un déserteur… Bref, la confiance est établie. Reste à connaître les motivations de l’homme de Bamako.
Celui-ci se dit pris de remords : il redoute, dit-il, la mort de musulmans innocents sur le sol français. Il n’exige pas directement d’argent en échange de sa coopération mais réclame un billet d’avion pour Paris sur Air France, ainsi que 2 000 euros pour exfiltrer sa famille restée en Afrique du Nord. Le Service de coopération technique internationale de police est sollicité pour débloquer la somme. Parallèlement, une enquête judiciaire est ouverte en urgence à Paris, alimentée par les confessions distillées au Mali et transmises via l’ambassade de France à Bamako.
Plusieurs ambassades ont été prises au piège
C’est ainsi que la police judiciaire se retrouve en planque devant un hôtel marseillais censé héberger le commando fraîchement débarqué d’un ferry. Elle perquisitionne une société mauritanienne supposée, quant à elle, servir de relais à Paris et fournir les armes. Clients de l’hôtel et employés de l’entreprise sont interrogés, sans résultat. C’est justement le moment que choisit le pseudo-repenti pour disparaître dans les faubourgs de Bamako. Avec l’argent ? Une source proche du dossier confirme le versement, ce que conteste la Direction générale de la police.
En tout cas, le stratagème était bien rodé. Plusieurs ambassades situées en Afrique de l’Ouest, celles d’Allemagne, du Tchad et du Maroc, notamment, auraient en effet été approchées. Chaque fois, ces maîtres chanteurs d’un genre nouveau inventent une fable vraisemblable, brodée à partir des menaces spécifiques planant sur ces divers pays : attentat islamiste en Europe, séparatisme en Afrique… L’histoire ne dit pas combien se sont laissé piéger.