Kadhafi veut la tête de Abderezak El Para

L’ARMEE LIBYENNE PRETE A INTERVENIR AU TCHAD

Kadhafi veut la tête de Abderezak El Para

Le Quotidien d’Oran, 10 juillet 2004

En laissant à peine 48 heures aux rebelles tchadiens du MDJT pour livrer Abderezak El Para et ses 17 acolytes du GSPC, la Libye fait une entrée fracassante dans le chassé-croisé diplomatique autour de l’extradition de l’émir salafiste qui menace le Sahel.

Et lorsque la Libye de Maâmar El-Kadhafi prend les choses en main, ce n’est pas pour faire dans la dentelle. Les services secrets libyens ont ainsi joint par téléphone satellitaire le président du mouvement de rébellion tchadien, Hassan Abdallah Merdigué, pour lui donner deux jours afin de livrer le cerveau du rapt des 32 touristes européens dans le Sahara algérien, sous peine de représailles militaires. «Les services secrets libyens nous ont donné 48 heures pour qu’on leur remette les prisonniers salafistes encore entre les mains du MDJT (…) sinon nous subirons les foudres des forces libyennes», a ainsi expliqué le porte-parole, Aboubakar Radjab-Dazi, joint par l’AFP à Paris depuis Libreville, avant d’ajouter : «Nous n’avons aucune intention de respecter cet ultimatum», en guise de réponse aux menaces libyennes.

Joignant le geste à la parole, la Libye a amassé des troupes aux frontières avec le nord du Tchad, aux limites de la région du Tibesti, sous contrôle rebelle, et où se trouve le camp de base du MDJT, qui sert de prison à ciel ouvert au groupe de Amari Saïfi. On s’attend du côté du MDJT à une opération combinée entre les troupes d’infanterie tchadiennes, qui veulent en découdre avec les rebelles, et un appui aérien libyen soutenu par des commandos d’élite au sol.

Reste à savoir comment la Libye et son ancien protégé tchadien, le MDJT, en sont arrivés là ? Déjà, depuis quelques jours, la tension est montée entre le MDJT créé en 1998 et son ancien parrain libyen. Le mouvement rebelle qui détient Abderezak El Para depuis quatre mois sans savoir quoi en faire au juste, avait déclaré avoir livré deux lieutenants salafiste, Billal et Abou Guerguer, aux services secrets libyens pour les livrer à «un pays tiers». Or, Tripoli avait démenti cette tractation et a même soutenu qu’un accrochage avait eu lieu aux frontières tchado-libyennes qui s’est terminé par la liquidation de deux membres du GSPC, certainement les deux adjoints d’El Para.

Dans ce jeu de dupes, l’intrusion de la Libye dans l’affaire du GSPC du Sahel semble arranger tout le monde. Abderezak El Para étant devenu un colis encombrant à la recherche de destinataire. Berlin qui avait lancé un mandat d’arrêt international contre lui, n’en veut plus, alors qu’elle l’avait formellement identifié. Alger, qui avait demandé aux rebelles tchadiens d’escorter El Para jusqu’aux frontières algériennes, ne veut pas mettre dans la gêne N’Djamena en négociant avec un mouvement armé illégal. Washington qui suit de près cette affaire du fait que le GSPC soit lié à Al-Qaïda, a exprimé son souhait de voir El Para livré à l’Algérie dans les «meilleurs délais». Alors que Niamey et Bamako, qui ont eu à pâtir des embuscades du GSPC sur leur sol, ne veulent même pas en entendre parler. Dans ce statu quo étrange, Tripoli est venu mettre tout le monde d’accord en prenant à son compte le règlement de l’affaire El Para. Fort de son influence passée sur le MDJT tchadien (la Libye avait abrité en décembre 2002 un congrès du mouvement rebelle, marqué par une réorganisation du mouvement et la nomination au poste de 2ème vice-président d’Adoum Togoï, ancien ambassadeur du Tchad en Libye et réputé proche de Tripoli), Kadhafi entend «persuader» les rebelles tchadiens de livrer Abderezak El Para rapidement et clore une histoire complexe qui commence à embêter les dirigeants du Sahel.

Car la livraison du Para risque de chambouler le calendrier de l’aide militaire américaine dans la région. De l’initiative Pan Sahel (PSI), dotée de 8 millions de dollars, à l’ACOTA (African contingency operations trainings assistance) dotée de 30 millions de dollars en passant par l’IMET (Formation militaire) à 11 millions de dollars, et l’ARP (Programme régional de maintien de la paix en Afrique), pour 100 millions de dollars, les gouvernements locaux, qui traînaient du pied sur le GSPC, redoutaient que la conclusion de l’affaire du GSPC réduirait de l’aide substantielle américaine. Un calcul qui avait conduit les pays du Sahel à se rejeter le «bébé» salafiste.

Mais même avec cette nouvelle intrusion libyenne, les choses ne vont pas se régler dans la diplomatie. En effet, le mouvement tchadien n’entend pas du tout se résigner à accepter le deal musclé libyen : «Je ne donne pas d’importance à ces menaces libyennes. C’est quotidien. Pour un oui, pour un non, les Libyens nous menacent», ironise le porte-parole du MDJT Radjab-Dazi qui vilipendera l’attitude libyenne en indiquant : «La Libye a joué les médiateurs avec les pays tiers, mais n’a pas respecté son engagement. Elle revient maintenant à la charge en nous menaçant (…) De quel droit s’immisce-t-elle dans les affaires tchadiennes ? (…) Si elle veut se laver de ses péchés passés, ça ne doit pas être sur notre dos», en référence à la nouvelle virginité politique dont veut se doter Tripoli à l’égard de la communauté internationale après avoir longtemps été accusé d’être un «Etat voyou» encourageant le terrorisme.

En tous cas, Tripoli qui s’est rabiboché avec N’Djamena a contribué à relancer un dossier qui semblait abandonné. Une opération militaire d’envergue se prépare contre le camp du MDJT et rien ne dit que Abderezak El Para, le principal sujet de discorde, sortira, cette fois-ci, indemne de ce nouveau bras de fer autour de sa personne.

Mounir B