11 militaires tués et plusieurs blessés à Tizi Ouzou
11 militaires tués et plusieurs blessés à Tizi Ouzou
Grave défaillance de l’ANP à Iboudrarène
El Watan, 21 avril 2014
Les militaires étaient dans un minibus quand ils ont été surpris par une embuscade tendue par des groupes armés. Un terroriste a été abattu au cours de l’accrochage.
Des dizaines de camions de renforts de l’ANP étaient stationnés sur cette cime qui surplombe la Haute Kabylie. Des véhicules civils, dotés d’équipements pour brouiller le réseau de téléphonie mobile et transportant, sans doute, des officiers de l’armée, étaient aussi sur les lieux, hier en milieu de journée, à La Carrière, à quelques lieues seulement au sud du chef-lieu de la commune d’Iboudrarène, dans la daïra de Beni Yenni, à une soixantaine de kilomètres au sud-est de Tizi Ouzou.
Là, 16 militaires, sur une route sinueuse pleine de nids-de-poule, ont péri et 9 autres ont été blessés dans une violente attaque terroriste perpétrée samedi soir. Il est difficile d’avoir la moindre information sur cette attaque spectaculaire.
Selon un communiqué du ministère de la Défense nationale, 11 militaires ont été tués et 5 autres blessés dans une attaque terroriste, samedi soir à Tizi Ouzou, contre un détachement de l’Armée nationale populaire qui a abattu trois terroristes. «Lors de son retour d’une mission de sécurisation de l’élection présidentielle du 17 avril 2014, un détachement de l’ANP relevant du secteur opérationnel de Tizi Ouzou (1re Région militaire) a été attaqué, hier (samedi) 19 avril 2014 à 21h15 par un groupe terroriste, à 14 km de la commune d’Iboudrarène», précise le communiqué. «Onze soldats sont tombés au champ d’honneur et cinq autres ont été blessés», ajoute-t-on de même source.
«Les éléments de l’ANP ont aussitôt procédé au bouclage de la zone et déclenché un ratissage ; ils ont réussi, jusqu’à cette heure, à éliminer trois terroristes et à récupérer deux fusils automatiques de type kalachnikov», a-t-on indiqué, ajoutant que l’opération est «toujours en cours jusqu’à l’élimination de ce groupe terroriste». Une chose est sûre : les assaillants ont perpétré un carnage. L’atmosphère est indescriptible. Des militaires en position de tir sont postés aux abords de la RN30 reliant la wilaya de Tizi Ouzou à celle de Bouira via Tikjda, alors que d’autres sont en action dans les bois mitoyens du village de Derna.
Des traces du sang sont visibles en certains endroits qui n’ont pas été essuyés par les éléments de la Protection civile. Le corps d’un terroriste abattu lors des échanges de coups de feu de la veille était par terre. Le regard triste, des éléments de l’ANP passent au peigne fin tout véhicule de passage. «Il était 21h quand on a entendu des coups de feu. On ne savait pas, au début, ce qui se passait. C’est après l’accrochage qu’on a su qu’il s’agissait d’un attentat terroriste. Les militaires ciblés étaient acheminés dans un minibus de ramassage scolaire accompagné d’un camion et d’une voiture de l’APC. D’ailleurs, ce sont les soldats de l’ANP à l’intérieur de la voiture qui ont riposté aux tirs des terroristes qui voulaient s’emparer des armes des soldats tués. Ils ont été obligés de se replier vers la forêt», nous a confié un GLD rencontré non loin du lieu du drame. Ce sont, selon lui, les patriotes de la région qui ont alerté l’armée pour envoyer des renforts qui sont arrivés quelques heures plus tard. «Un militaire a réussi à sortir du bus en ripostant aux tirs des terroristes. Puis il a appelé un ami à lui qui est garde communal pour l’informer qu’ils étaient en accrochage avec un groupe armé», a-t-il ajouté.
Les militaires revenaient d’une opération de recherche dans les maquis environnants où un important groupe de l’ex-GSPC a été mainte fois signalé. «Un groupe terroriste a été repéré dans la région, il y a plusieurs jours. D’ailleurs, des citoyens se sont fait prendre leurs véhicules par ce groupe armé», nous dit un citoyen, qui précise que personne ne s’attendait à ce qu’un attentat soit perpétré près de La Carrière, endroit paisible et prisé des familles qui y viennent pour des moments de détente.Nous avons d’ailleurs vu des citoyens étrangers à la région, n’ayant certainement pas eu vent de ce carnage, rebrousser chemin avant d’atteindre le site, où sont stationnés les responsables des troupes d’élite de l’ANP qui surveillent l’opération de ratissage.
Un important périmètre a été quadrillé et les militaires progressent dans la forêt jusqu’à Aït Ouabane, dans la commune limitrophe d’Akbil. Un autre jeune homme de la région nous a fait part d’une offensive aérienne dans la nuit de samedi, quelques heures après le carnage. Des hélicoptères ont bombardé et ont certainement évacué les blessés vers Aïn Naâdja, à Alger. Neuf militaires ont été tués sur le coup, les autres ont succombé à leurs blessures après leur transfert à l’hôpital, selon des informations recoupées de sources concordantes.
Les derniers attentats terroristes contre l’armée :
-Azazga (Tizi Ouzou), avril 2011 : une attaque terroriste contre un poste de surveillance de l’armée a fait 11 morts parmi les militaires.
-Amal, avril 2011 : cinq militaires ont été tués dans un attentat perpétré à Ammal, à 25 km à l’est de la wilaya de Boumerdès.
-Cherchell (Tipasa), août 2011 : un double attentat kamikaze perpétré contre l’Ecole interarmes de Cherchell a coûté la vie à 18 militaires ; des dizaines d’autres ont été blessés.
-Beni Amrane (Boumerdès) août 2012 : un attentat terroriste a ciblé un détachement de l’ANP au lieudit El Kalaâ, près de Beni Amrane, sans faire de victime parmi les soldats.
Hafid Azzouzi
Général Abderrazak Maïza sur l’attentat d’Iboudrarene : «Il y a eu un excès de confiance et une erreur d’appréciation»
Ancien chef d’état-major de la 1re Région militaire qui coiffe les villes du centre du pays, le général Abderrazak Maïza estime, dans l’entretien qu’il nous a accordé, que dans l’embuscade meurtrière de samedi, il y a eu un excès de confiance et une grave erreur d’appréciation de la part du commandement militaire local. Selon lui, un dispositif n’est jamais déplacé de nuit à bord de camions dans une région au relief accidenté, où il y a une activité terroriste récurrente.
-Quelle analyse faites-vous de l’embuscade meurtrière qui a ciblé, samedi dernier, un convoi de militaires au sud-est de la wilaya de Tizi Ouzou ?
D’abord, il n’est pas du tout normal qu’un dispositif militaire soit levé ou déplacé de nuit, à bord de camions, dans une région comme Iboudrarène où l’activité terroriste est récurrente. Il y a eu une erreur d’appréciation, une confiance extraordinaire et un manque de vigilance. Il faut savoir que dans ce genre de relief accidenté, lorsqu’il y a vraiment nécessité ou urgence, les soldats se déplacent à pied.
-Une telle embuscade nécessite-t-elle un nombre important de terroristes ?
Pas obligatoirement. Le convoi est composé généralement de deux à trois camions, transportant chacun jusqu’à 15 militaires. Il suffit que quelques terroristes soient bien positionnés sur la crête et qu’ils visent avec leurs armes le premier véhicule pour le faire basculer dans un ravin, ou encore tirer une ou deux rafales d’armes lourdes pour faire de nombreuses victimes. Les terroristes ont bien calculé leur coup en comptant sur le relief accidenté, la nuit et l’effet de surprise. Il faut dire que les terroristes avaient un atout considérable. Les cibles étaient à bord de camions. Ce qui rend leur neutralisation très facile. Les phares de leurs véhicules éclairent la route aux assaillants, qui avaient l’avantage de l’initiative, du terrain et de l’obscurité. Il suffit de moins de dix hommes, deux ou trois pour le guet et le reste pour l’attaque. Vous savez qu’avec un fusil mitrailleur on peut tirer 90 coups en deux minutes. Les victimes n’ont même pas eu le temps de riposter ou de quitter les camions.
-A votre avis, que s’est-il passé ?
En fait, les terroristes ont dû remarquer un renforcement du dispositif de sécurité durant la période électorale. Ils auraient voir aussi que les troupes se déplaçaient d’un point à un autre de nuit comme de jour, certainement en gardant les mêmes horaires. Ils ont donc réuni une dizaine d’éléments pour les attendre, de nuit, au niveau d’un virage. Il n’y a pas plus simple que d’organiser ce genre d’opération. Avec un fusil mitrailleur, les cibles n’ont même pas le temps de riposter.
-Lorsque vous parlez d’excès de confiance, visez-vous le commandement local ou l’état-major ?
Je vise le commandement local, parce que c’est lui qui chapeaute les troupes sur place et leur donne l’ordre -ci de se déplacer d’un endroit à un autre. En fait, l’accalmie qui a régné depuis des mois en raison du bilan positif de la lutte antiterroriste dans la région a suscité une sorte d’excès de confiance chez les responsables, au point d’autoriser un déplacement de troupes de nuit, avec tous les risques que cela suppose. Le commandement de l’état-major n’agit pas de la sorte. Il connaît assez bien les risques de tels agissements.
-Selon vous, quel message les terroristes ont-ils voulu lancer en tendant une embuscade meurtrière à la veille de la commémoration du Printemps berbère ?
Ce qui importe aux terroristes, c’est de frapper fort et de faire le plus de victimes possible. Le seul message qu’ils veulent transmettre c’est de dire aux gens qu’ils sont encore là et qu’ils peuvent faire du mal. Ils ont subi de lourdes pertes dans leurs rangs. D’ailleurs, leurs activités sur le terrain ont été sensiblement réduites, notamment en Kabylie. Il ne faut pas oublier qu’ils ont été délogés du maquis de Sidi Ali Bounab, où ils avaient leur QG, et perdu plusieurs de leurs émirs. Durant l’année 2013 seulement, ils ont perdu une trentaine de leurs acolytes et autant cette année. Mais plus avertis, ils savent qu’il faut rester vigilant tant qu’il reste une seule arme en circulation. Ils savent aussi que ce genre d’attentats est prévisible et peut faire oublier toutes les victoires en raison de l’onde de choc qu’il provoque au sein de la population et dans les rangs des militaires.
Donc il ne faut pas lier cette embuscade à un quelconque événement politique, mais plutôt à l’excès de confiance des responsables locaux. Un groupe de terroristes qui n’était pas loin a remarqué la présence des militaires. Quelques jours de guet ont suffi pour déceler une opportunité favorable. Ils ont tendu l’embuscade. Ils savent très bien que les opérations de recherche ne peuvent être lancées qu’au lever du jour. Après 8 heures de marche, ils sont déjà à une quarantaine de kilomètres de la zone.
-Après une telle embuscade, y a-t-il un dispositif particulier à mettre en place ?
En réalité, une embuscade de nuit est toujours perçue comme le pire des coups à subir. D’abord par les pertes qu’elle occasionne, mais aussi en raison des difficultés à retrouver les assaillants. Il faut attendre le lever du jour et procéder à des recherches par cercles concentriques. Nous savons que les terroristes ont la capacité de marcher. Nous retrouvons souvent les traces qui permettent d’avoir un point de départ. De toute façon, dans ce genre de situation, une enquête est ouverte par le commandement de l’état-major pour situer les responsabilités des uns et des autres dans cette erreur d’appréciation du terrain. Il y aura certainement des coupables et donc des sanctions à leur encontre.
Salima Tlemçani