« El Para », le chef salafiste capturé dont personne ne veut

« El Para », le chef salafiste capturé dont personne ne veut

Le Monde, 26 mai 2004

Les semaines ont passé, et ils s’interrogent toujours. Le 16 mars, dans le désert du Tibesti, des rebelles du Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT) capturent sans difficultés un groupe de dix hommes en perdition – cinq Algériens et cinq Nigérians – affamés et épuisés. Ces derniers ont abandonné vivres, armes et véhicules après un accrochage, quelques jours plus tôt, avec l’armée tchadienne.

Leur chef, forte stature, barbe florissante, les cheveux tombant sur les épaules, est un Algérien qui se fait appeler « Al-Hadj ». Il doit être « ce salafiste que tout le monde recherche et dont on parle sur les radios internationales », estime l’état-major du MDJT. Brahim Tchouma, chargé des affaires extérieures de la rébellion tchadienne, basé à Paris, est alors dépêché à Alger pour organiser la livraison de ce « gros poisson ». Sur la base de descriptions physiques, de détails contenus dans le carnet d’adresses d' »Al-Hadj » et de son numéro de téléphone satellitaire, celui-ci est identifié : il s’agit d’Amari Saifi, alias Abderrazak « El Para », ancien des forces spéciales algériennes passé à la guérilla islamiste, l’un des hommes les plus recherchés d’Afrique.

« El Para » est à la tête d’un des maquis du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), formation islamiste hétéroclite, mais considérée comme la plus importante d’Algérie. Il est tenu pour responsable, entre autres, de la mort de 43 militaires algériens et de l’enlèvement de 32 touristes européens dans le Sahara en 2003, dont 15 Allemands libérés contre une rançon de 5 millions d’euros. Au MDJT, « El Para » dit ignorer qu’il se trouvait au Tchad, errant simplement dans la région à la recherche « d’autres touristes à enlever ».

PROPOSITION « INACCEPTABLE »

Mais certains points obscurs, dans la « carrière » d’Amari Saifi ont soulevé l’hypothèse que le terroriste bénéficierait de complicités au sein des forces de sécurité algériennes. Hypothèse dérangeante au moment où Alger affirme que le GSPC a établi des liens avec Al-Qaida. Le groupe d' »El Para » est même l’une des principales cibles de l’initiative « Pan Sahel » des Etats-Unis, destinée à appuyer les gouvernements de la région dans la traque terroriste pour empêcher la formation d’un « nouvel Afghanistan », selon les responsables américains.

A Alger, Brahim Tchouma pense donc que la nouvelle de la capture d' »El Para » va être accueillie avec soulagement. Le MDJT propose sa piste d’atterrissage et ses bases du Tibesti pour organiser son exfiltration. Mais les semaines passent, et aucune décision n’est prise. Les autorités algériennes, selon Brahim Tchouma, font alors une proposition « inacceptable » aux Tchadiens : convoyer le prisonnier par leurs propres moyens jusqu’en Algérie.

« Nous, notre cause, c’est de libérer le Tchad, pas de transporter des terroristes. Et puis nous n’avons pas envie qu’il disparaisse mystérieusement à l’arrivée et qu’on nous accuse ensuite de l’avoir exécuté dans le désert », s’énerve le rebelle tchadien. Au fil des semaines, le scénario du transfert d' »El Para » à Alger s’effiloche : « On nous faisait tourner en rond, comme si personne n’avait envie, en réalité, de venir le chercher. »

D’autres contacts sont pris, notamment avec la France et les Etats-Unis, sans plus de succès. Les autorités algériennes justifient leur attente en affirmant douter encore de l’identité de l’homme détenu par le MDJT, pourtant identifié, mardi, par le parquet fédéral allemand. Les pays de la région s’inquiètent surtout de négocier avec les rebelles au risque de « frustrer » le Tchad, selon une source diplomatique. Brahim Tchouma, s’en désole : « Les Américains nous ont demandé de nous adresser à N’Djamena, alors que nous sommes en rébellion contre le pouvoir tchadien ! Quant aux pays africains, ils avaient l’air encore moins intéressés. Nous avons fini par nous dire que ce doit être dans l’intérêt de la région de laisser courir « El Para ». Si on l’arrête, finalement, les crédits américains s’arrêtent aussi, non ? »

Jean-Philippe Rémy

• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 26.05.04