A chacun sa « Françalgérie »

Débat franco-algérien à l’Assemblée nationale

A chacun sa « Françalgérie »

La Nouvelle République 24 juin 2004

A l’initiative du député Vert Noël Mamère et des éditions La Découverte, une conférence débat sera organisée le 28 juin prochain à l’Assemblée nationale, à Paris, autour d’un thème brûlant qui a déjà fait l’objet d’une enquête publiée par deux jour-nalistes, Lounis Aggoun et Jean-Baptise Rivoire, paru en avril dernier aux éditions La Découverte Françalgérie, crimes et mensonges d’États.
Un précédent en France, puisque c’est la première fois qu’un débat de ce genre, ha-bituellement limité dans les cercles politico-médiatiques parisiens, est admis au sein d’une institution officielle, et pas n’importe laquelle. Les initiateurs ont peut- être choisi ce haut lieu de la politique française pour tenir leur conférence afin de mieux se faire entendre sur ce qui est présenté comme étant la face cachée des relations franco-algériennes, maintenant que celles-ci semblent normalisées et, mieux, sont en voie d’être couronnées par un traité d’amitié, comme l’a promis le président Chirac.
Il s’agit donc d’un « tabou » à briser, mais sans pouvoir faire de casse dans le nou-vel édifice franco-algérien..
Plusieurs interventions sont programmées, axées sur deux thèmes génériques. Le premier, « Françalgérie, un tabou au cœur de la République », sera animé par des in-tervenants de marque, parmi lesquels Hocine Aït Ahmed, le président du FFS, ainsi que les auteurs du livre Françalgérie, crimes et mensonges d’États, Lounis Aggoun et Jean-Baptise Rivoire.
Le second thème a pour titre « Raison d’État ou complicité de crimes ? », avec no-tamment Noël Mamère, Véronique Nahoum-Grappe, sociologue de l’Association in-ternationale de recherches sur les crimes contre l’humanité et les génocides, Mehdi Ba (Éditions des Arènes)…
Publié en avril 2004 à La Découverte, le livre des journalistes Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire, Françalgérie, crimes et mensonges d’États (voir notre édition du 24/04/2004) se propose de « démonter les rouages de l’extraordinaire machine de mort et de désinformation conçue par les généraux algériens depuis 1992, et les com-plicités dont ils ont bénéficiées en France pour cacher à l’opinion publique occidentale le seul but de la guerre qu’ils mènent contre leur propre peuple : se maintenir au pou-voir à tout prix, pour conserver les milliards de dollars de la corruption pétrolière », lit-on dans la présentation des initiateurs.
La « Françalgérie », tabou de la République française
Ce livre comporte de graves mises en cause des gouvernements français depuis 1992. Les auteurs accusent certaines fractions de la classe politique française d’avoir joué un rôle décisif dans le soutien aux généraux « éradicateurs » algériens responsa-bles, selon ses auteurs, de terribles violations des droits de l’Homme qui relèvent du crime contre l’humanité.
L’ouvrage est surtout destiné à relancer la vieille polémique du « Qui tue qui ? », à travers notamment l’affaire des moines de Tibhirine assassinés en 1996 après une pé-riode de vaches maigres pour un certain nombre de faiseurs d’opinion, ceci de particu-lier qu’il survient à un moment de grandes retrouvailles franco-algériennes à la faveur de la dernière élection en Algérie.
« Depuis 1992, peut-on y lire de prime abord, la violence qui ravage l’Algérie nous est présentée comme une guerre d’intégristes islamistes contre des militaires qui se battent pour sauver la démocratie. Quant à la France, elle se serait contentée d’une bienveillante neutralité. Aujourd’hui, ce scénario apparaît comme une vaste construc-tion médiatique. » C’est ce que les auteurs tentent de montrer et d’expliquer dans ce livre qui est présenté comme étant le fruit d’une enquête qui a duré six ans, recueillant des dizaines de témoignages, recoupant des centaines de sources. Pour eux, les géné-raux algériens ont commencé à avoir la mainmise sur le pouvoir dès 1980 « tout » en développant les réseaux de corruption de la françalgérie.
Le livre ne sort pas en fait de cette grille de lecture qui a fait les choux gras d’une certaine presse d’outre-mer durant toute une décennie. « Depuis 1988, ils (les géné-raux, ndlr) ont instrumentalisé l’islamisme radical, notamment pour s’assurer le sou-tien durable de Paris. Et depuis 1992, ils ont lancé une terrible troisième guerre d’Algérie en multipliant les opérations attribuées aux islamistes : assassinat du prési-dent Boudiaf, meurtres d’intellectuels, massacres de civils et de militaires… Pour faire pression sur la France, leurs services secrets ont organisé de spectaculaires actions de guerre psychologique contre des citoyens français en Algérie comme dans l’Hexagone : enlèvement des époux Thévenot en 1993, détournement d’un Airbus d’Air France en 1994, attentats de Paris en 1995, assassinats des moines de Tibhirine en 1996… »
Les initiateurs de la conférence nourrissent l’ambition d’amener à la fois l’opinion et les décideurs français à ne plus percevoir le cas Algérie que comme un souvenir de génocide, à l’image du Rwanda et de la Bosnie (trois situations bien différentes, mais où l’on retrouve à l’œuvre les mêmes mécanismes et, parfois, les mêmes réseaux de l’ombre au service d’une certaine France officielle…). Ont- ils une chance d’être en-tendus ?
24-06-2004
Mussa A.