Mohammed Samraoui: Un livre et des interrogations
MOHAMED SAMRAOUI
Un livre et des interrogations
El Watan, 20 septembre 2003
Venu présenter, jeudi après-midi au centre d’accueil de la presse étrangère à Paris, son livre Chronique des années de sang. Comment les services secrets ont manipulé les groupes islamistes (édition Denoël), Mohamed Samraoui, l’ex-officier du DRS, a donné l’impression qu’il était porteur d’un message. Le sien propre ? Etait-il missionné ? Par qui ? Par quel(s) courant(s) politique (s) ? Nous ne relèverons pas les nombreuses contradictions : presse libre/presse contrôlée, l’islamisme n’était pas un danger/il n’est plus un danger, ni l’analyse approximative du contexte international, ni les occultations. «Le but de ce livre est de dire stop à l’effusion de sang, qu’on n’accuse plus qu’une seule partie et d’arriver à une situation de paix…» «Il faut qu’on s’accepte mutuellement.» «Saïd Sadi est un Algérien, Abassi Madani est un Algérien.» «On refuse la diversité.
Chacun a une conception de l’Algérie. Les Algériens sont appelés à sortir de la crise… L’occasion a été ratée en janvier 1995 (Sant’ Egidio).» «Il faut que l’Armée quitte le pouvoir… Le minimum serait que ces gens reconnaissent leurs responsabilités dans le drame de l’Algérie» «Le conflit Bouteflika-Benflis est artificiel, c’est un habillage.» «En 1991, l’armée a bloqué le processus électoral. Refera-t-elle aujourd’hui la même chose ?», lui demande un journaliste. «La situation n’est plus la même…
En 1991, on n’avait pas d’expérience démocratique, pas de liberté de la presse et d’expression. Les islamistes acceptent aujourd’hui la démocratie. Ils ont changé. Il ne faut pas que l’armée intervienne dans l’économie, la politique, la presse.» Autre question : «Ne pensez-vous pas qu’on revient à la case départ ? Les islamistes sont-ils devenus fréquentables ?» «Ce pouvoir n’a pas d’amis, mais des alliés conjoncturels.» Selon Samraoui, «la menace islamiste n’a jamais existé en Algérie». «L’islamisme a été encouragé par le pouvoir pour contrebalancer les démocrates. Le FIS est un parti anticonstitutionnel. Il n’aurait jamais dû être agréé.» «La descente aux enfers était planifiée… Cela a commencé en 1992. Je m’étais rendu compte qu’on voulait arriver à cette situation… Les rafles qui touchaient des gens qui n’avaient rien à voir avec l’islamisme. Les internements étaient des indices.» Il soutient que «des groupes islamistes armés ont été montés de toutes pièces» et qu’ils n’ont aucune responsabilité dans les massacres de civils. Il distingue trois GIA : «Il y a le GIA des dés*uvrés extrémistes ou des éléments incontrôlés du FIS, les groupuscules d’El Hidjra oua Takfir, des délinquants de Belcourt de Bab El Oued qui ont épousé l’idéologie islamiste. Le deuxième GIA est issu des camps de sûreté auxquels on a infiltré des cadres du renseignement. Le troisième GIA a été créé de toutes pièces en tant qu’organisation de contre-guérilla. La confusion a été entretenue pour obliger la société algérienne de se mobiliser.» «Dès 1994, j’ai pu constater que les hommes du DRS avaient pris l’habitude de torturer et tuer leurs concitoyens comme s’il s’agissait de simples insectes.» «Avez-vous, vous-même, participé à des séances de torture ?» «J’ai fait toute ma carrière à la SM. Je suis un des rares officiers de la SM à n’avoir ni torturé ni arrêté quelque Algérien que ce soit.» «Les services pakistanais nous avaient fait savoir en 1992 que 2000 Algériens étaient passés par les camps d’entraînement, ce qui ne veut pas dire que tous ont rejoint les groupes armés… La sécurité de l’Algérie nous imposait dès 1989-90 d’infiltrer ces mouvements pour savoir qui les finançait et les soutenait. La manipulation est devenue ostentatoire à partir de 1997-98.»
Il affirme qu’il a été un des rares à avoir défendu les militants du PAGS lors des évènements de Constantine en 1986. «Je pense avoir été le premier officier à alerter sur l’activisme de Ben Laden au Soudan au début de l’année 1993.» «Pourquoi êtes-vous resté au sein d’un corps corrompu ?», lui demande un journaliste. «On a participé à la moralisation de la SM. J’ai entamé une épuration quand j’ai pris mes fonctions… Le corps n’était pas aussi gangrené que cela.»
Le 11 septembre 2001 ? «C’est le spectre qu’on brandit pour justifier toute répression.» «Vous ne parlez pas des républicains assassinés par les groupes islamistes», lui fait remarquer notre cons*ur Horia Sayehi et elle ajoute : «Beaucoup de militaires sont morts. L’armée se ferait-elle hara-kiri ? A vous entendre, l’intégrisme n’existait pas. Si vous étiez sur le terrain, c’est qu’il existait ?» Réponse : «Ce pouvoir a besoin à chaque fois de boucs émissaires. A partir de 2001, quand l’islamisme ne constituait plus un danger, on a créé le problème kabyle. J’ai parlé des islamistes pour situer le problème dans son contexte. L’intégrisme, on le combattait…» «La SM a infiltré tous les secteurs, même la presse.» «Vous ne nous apprenez rien. Même en France, on infiltre», lui répond la collègue. Il évoque, par ailleurs, un «deal» entre la DST et le DRS. «Le DRS noyautait les réseaux islamistes en France. En échange, les Français protégeaient les sources.»
Il prend la précaution d’ajouter : «Je me suis basé sur les déclarations de collègues en France. Je suis un cadre du renseignement. J’ai pour fonction de vérifier mes sources, de les recouper, de les analyser.» «Si la DST avait fait preuve de plus de vigilance, les attentats (de 1995, ndlr) auraient été évités.»
Paris
De notre bureau
Nadjia Bouzeghrane