Un brûlot sur l’Algérie: Les généraux en accusation
Un brûlot sur l’Algérie
LES GENERAUX EN ACCUSATION
Un ancien officier de la Sécurité militaire algérienne rend l’armée responsable des massacres
Mohammed Harbi, Le Nouvel Observateur, semaine du jeudi 19 février 2004 — n° 2050 — Livres
Mohammed Samraoui, ex-officier de la Sécurité militaire algérienne, réfugié en Allemagne depuis 1996, publie un réquisitoire contre la façon dont les généraux manipulaient les Groupes islamiques armés (GIA) pour asseoir leur pouvoir. Il montre comment de fausses listes, fabriquées par les services secrets, de membres de la société civile condamnés à mort par le GIA ont ainsi entraîné des intellectuels « menacés » à se transformer en partisans sans faiblesse du tout- sécuritaire. Les faits sont accablants : une grande partie des assassinats et des massacres attribués aux islamistes depuis 1992 est l’œuvre directe ou indirecte d’hommes qui relevaient organiquement des structures de la Sécurité militaire.
Samraoui raconte ainsi comment le général Nezzar et les généraux Belkheir, Touati et Taghit sont les vrais concepteurs des GIA. Envoyé à Bonn à l’ambassade d’Algérie, il reçoit un jour, du général Smaïl Lamari, l’ordre d’organiser la liquidation physique de deux islamistes algériens réfugiés en Allemagne. Il s’insurge (« l’Allemagne n’est pas la France où, en cas de pépin, il aurait eu l’aide de hauts responsables de la police française »). Quelques mois après, il déserte et obtient l’asile politique. Son livre contient les pièces d’un procès à intenter et d’une séquence tragique de l’histoire de l’Algérie à éclairer et à écrire.
Si le récit n’échappe pas au manichéisme, en expliquant les événements par l’action d’un Grand Manipulateur caché, il est cependant d’une importance que l’on ne saurait contester. Remarquons que cette tendance à expliquer les événements non par une approche sociopolitique mais par l’idée qu’un groupe de conspirateurs serait le maître du jeu est fort répandue dans une Algérie dépolitisée. L’importance de l’ouvrage tient moins, en tout cas, dans son système d’explication que dans le fait qu’il donne un aperçu de la crise de conscience d’un agent de l’État qui récuse le système dont il était un exécutant. Trouble psychologique d’un individu, mais aussi indice qu’il existe une faille au sein même de la machine répressive.
Rappelons que les faits qui nous sont présentés, pour nombre d’entre eux, ont vu leur exactitude établie indépendamment de l’ouvrage. Pour d’autres faits, une enquête s’imposerait pour évaluer leur part de vérité. Pourquoi le pouvoir en place, qui repousse avec indignation les allégations du livre, se refuse-t-il d’ailleurs à toute enquête qui ne serait pas sous son contrôle ? Craint-il que soient ainsi mises en cause une politique et une pratique qui impliquent la Sécurité militaire dans son ensemble ? Et que, dans ce qui est une guerre civile, soit découverte l’existence de véritables crimes contre l’humanité imputables au pouvoir politico-militaire ? Qu’il soit révélé enfin que les massacres ne sont pas tous le fruit des actions criminelles et terroristes des islamistes armés mais que certains ont été la conséquence de provocations planifiées de la Sécurité militaire ? La question qui se pose, après la lecture de l’ouvrage, est en effet de savoir si, sous l’apparence d’une guerre contre le terrorisme, la violence ne permet pas au pouvoir de se donner une légitimité sans faille, interdisant à toute opposition démocratique de s’exprimer, ainsi qu’à une société civile plurielle.
« Chronique des années de sang », par Mohammed Samraoui, Denoël, 320 p., 18,90 euros.
Né en 1953, Mohammed Samraoui s’est engagé dans l’Armée nationale populaire algérienne en 1974. Il devient n° 2 du contre- espionnage en 1990, puis responsable de la Sécurité militaire à l’ambassade d’Algérie en Allemagne. En 1996, il déserte son poste, et s’installe en Allemagne.
Mohammed Harbi