L’ouverture de l’année judiciaire, une simple formalité
Abdelaziz Bouteflika a prononcé un discours jeudi à la Cour suprême
L’ouverture de l’année judiciaire, une simple formalité
El Watan, 30 octobre 2010
Tout était prêt, jeudi, pour la grande cérémonie d’ouverture de l’année judiciaire. Au siège de la Cour suprême, la mobilisation était extrême.
L’organisation n’avait rien laissé au hasard, mais tout le monde s’attendait à un léger retard du président Bouteflika. Comme d’habitude. Cette fois, il arrive plus tôt que de coutume. Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, et les membres du gouvernement ne l’ont précédé que de quelques petites minutes. C’est le président de la Cour suprême, Kaddour Berradja, qui ouvre le cérémonial avec un bref bilan de son institution qui a eu à enregistrer 71 711 recours durant l’année judiciaire 2009-2010.
Dans un long chapelet d’éloges aux réalisations du chef de l’Etat, le ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, n’en fera pas plus que de dresser le bilan de son secteur. Outre la multiplication du nombre de magistrats et la promulgation de 166 nouveaux textes de loi, le garde des Sceaux brandit comme un trophée l’exécution des décisions de justice dont le taux est aujourd’hui, indique-t-il, de l’ordre de 94% alors qu’il était de 30% il y a quelques années. En somme, pour lui, tous les programmes et les chantiers décidés par le premier magistrat du pays ont été mis à exécution et menés à terme. M. Belaïz s’en tiendra aux statistiques.
Des chiffres à foison, qui lui permettent de positiver son bilan. Seulement, la précédente année judiciaire n’a pas été faite que de chiffres superposés. Elle a été dense en événements. La justice a eu à traiter plusieurs affaires de corruption – Sonatrach, l’autoroute Est-Ouest, entre autres. Ce phénomène, qui ronge notre pays et hypothèque dangereusement son avenir car il met en cause tout effort de développement, méritait bien d’être souligné. Sauf que le discours de M. Belaïz n’en a pas fait cas. De même pour des cas recensés d’une justice à deux vitesses ou de son instrumentalisation : l’affaire des non-jeûneurs de Aïn El Hammam et le procès du jeune Fares d’Oum El Bouaghi. La justice ne peut être reflétée par la seule magie du nombre de procès traités mais par la qualité des jugements rendus. Preuve en est le nombre de recours enregistrés par la Cour suprême, bien que l’on considère que le chiffre de 71 711 soit acceptable.
Après le discours du ministre de la Justice, c’est au tour du très attendu, comme chaque année à l’ouverture de l’année judiciaire, discours du président de la République. On aurait même parié sur un coup de gueule de Abdelaziz Bouteflika, excellent tribun, pour interpeller sur le niveau atteint par la corruption, la nécessité de mettre tous les moyens de l’Etat et la mobilisation de l’institution judiciaire pour le combattre.
Mais au bout d’une dizaine de minutes, le temps qu’a duré l’allocution du premier magistrat du pays, les observateurs ont fini par comprendre que l’ouverture de l’année judiciaire n’aura été qu’une simple formalité que l’Exécutif et tout le gotha de la justice se devaient d’accomplir.
Le président de la République, qui a habitué son assistance à des digressions, s’est contenté de lire assidûment son discours. Il a presque synthétisé l’intervention de son ministre en rappelant «le bien-fondé des réformes engagées dans le secteur». Seulement le contenu de l’intervention a été à mille lieux de la réalité. «La réhabilitation de l’autorité de l’Etat, la suprématie de la loi et la protection des libertés individuelles et collectives pour asseoir la paix sociale et garantir l’exercice, par tous les citoyens, de leurs droits fondamentaux dans la sérénité et la justice», relève du fantasme. Le chef de l’Etat s’est limité à rappeler la création de l’Office national de répression de la corruption et «l’installation de pôles judiciaires à compétences territoriales élargies, chargés de poursuivre et juger les auteurs de crimes organisés qui tendent, selon lui, à devenir de plus en plus graves et pourraient, s’ils venaient à prendre d’autres proportions, entraver le développement national et porter atteinte à l’économie du pays». Mais rien que cela.
Pour la presse, la cérémonie s’est terminée en queue de poisson. Le Premier ministre et les autres membres de l’Exécutif qui, d’habitude, font des déclarations sur divers sujets d’actualité, se sont dérobés.
Des confrères ont été alors amenés à spéculer sur l’absence de l’hymne national lors de la cérémonie. Mais tout compte fait, l’année judiciaire a tout de même été ouverte.
Said Rabia