Nouvelle procédure civile et administrative : le texte et le contexte

Réforme Judiciaire

Nouvelle procédure civile et administrative : le texte et le contexte

El Watan, 29 avril 2009

Le 24 avril est entré en vigueur le nouveau code de procédure civile et administrative algérien. Ce texte a été promulgué et publié il y a une année.

A titre exceptionnel et pour la première fois dans l’histoire, l’application d’un texte de loi qui, en principe est fixée un jour franc après sa publication, est reportée à une année. Cette année de décalage a été aménagée pour donner le temps au travail pédagogique nécessaire, au travail de formation et d’information sur les nouvelles dispositions. Le ministère de la Justice a consenti un effort appréciable de formation qui, malheureusement, se trouve à notre sens insuffisant par rapport à l’abondance de la matière nouvelle. En plus de l’insuffisance, il est à reprocher à cet effort pédagogique d’avoir été orienté exclusivement vers les magistrats, comme si ce corps est le seul concerné par l’application de ce support cardinal. Ont été malheureusement exclus de l’attention de la chancellerie les auxiliaires de justice qui avec le magistrats concourent, tous les jours que Dieu fait, au fonctionnement de l’appareil judiciaire. Nous entendons par cela les avocats, les huissiers, les commissaires-priseurs qui seront interpellés, et de façon tant substantielle qu’incessante, par les nouvelles dispositions. Le ministère de la Justice déploie un programme considérable de formation qui, malheureusement, demeure naturellement insuffisant. Il doit être soutenu par d’autres apports matériels et pédagogiques des institutions apparentées ; nous entendons par cela les organisations régionales des barreaux, les chambres des notaires, les chambres des huissiers qui disposent de moyens financiers et humains colossaux. Quelques rares initiatives ont été prises par des barreaux régionaux. Nous n’avons pas entendu parler de manifestations initiées et organisées par les corporations des huissiers qui sont des praticiens de tous les jours de ce nouveau texte.

Une formation lacunaire

La carence en formation continue est une constante dans le monde judiciaire algérien. La mise en application d’une refonte aussi fondamentale que le code de procédure civile l’a simplement mis a nu. Aux barreaux, elle est réduite à la portion congrue durant la période de stage pour disparaître complètement pendant les années d’exercice. Tout se passe comme si les conférences de stage sont une simple formalité de titularisation, après laquelle aucune place n’est laissée au perfectionnement de tous les jours et au recyclage ; la formation permanente et continue qui dans d’autres pays est une obligation professionnelle et dont l’accomplissement contrôlé par les barreaux. La corporation des huissiers ainsi que celle des notaires ne font pratiquement pas parler d’eux en matière de formation, à l’exception de quelques séminaires internationaux initiés par la chancellerie. Si ces rencontres internationales ont le mérite d’aborder des problématiques compliquées, elles se caractérisent par le défaut d’impact sur la formation de base ô combien nécessaire dans la vie de tous les jours pour le travail complexe des notaires et, notamment, pour les nouvelles générations. La faiblesse ou l’absence d’impact de ces rencontres internationales est due à deux raisons : les problématiques abordées qui n’intéressent pas toujours le praticien lambda et aussi les possibilités logistiques d’accueil et de participation qui réduisent ce que les pédagogues appellent l’effet multiplicateur. Tout comme si les structures qui gèrent les corps des auxiliaires comptent sur le ministère pour initier ces rencontres d’envergure, d’une part, et pour mettre sur pied la formation et le recyclage de base, d’autre part. Le ministère de son côté semble considérer (et il n’a pas tout à fait tort à nos yeux) que les corporations sont indépendantes, auxquels il revient d’initier, d’organiser et de gérer leur propre formation. Nous avons dit que le ministère n’a pas tout à fait tort, mais nous ne disons pas qu’il a tout à fait raison. Il est vrai que les corps des auxiliaires sont indépendants et qu’ils ont des moyens financiers qu’ils doivent engager et des moyens humains à mobiliser, des moyens pédagogiques à exploiter, des objectifs didactiques à fixer et à déterminer. Cependant, le ministère doit jouer son rôle d’instigation et d’encadrement. Les professions de notaires et d’huissiers sont des professions semi libérales, en raison de leurs missions d’officiers publics et, pour cela, les pouvoirs publics ne peuvent pas et ne doivent pas s’en détacher. Le caractère totalement libéral de l’avocat ne doit pas faire de lui l’enfant putatif ou le métis de l’appareil judiciaire. Son concours est cardinal pour une bonne administration de la justice. Son apport ne se limite pas à l’assistance des justiciables, il simplifie à toutes les autorités judiciaires l’exercice de leurs missions. Que les magistrats assis ou debout, que les juges toutes fonctions et toutes sections confondues imaginent un instant la disparition des avocats. Ils auront alors affaire à des justiciables qui ne comprendront rien à leurs dossiers et leur présenteront leurs demandes de façon incompréhensible et le traitement des dossiers basculera dans le domaine de l’impossible. Les juges et autorités judiciaires comprendront ainsi l’importance du travail pédagogique et clarificateur de l’avocat en amont du procès et pendant la procédure. La formation et le recyclage des avocat est certes une obligation de leur ordre professionnel mais les autorités publiques sont appelées à contribution, car les missions des robes noires sont aussi d’intérêt public. Par ailleurs, les formations séparées (des magistrats ou des auxiliaires) sont d’un impact et d’un apport partiaux et partiels. Les rencontres concertées et les mélanges de tous les intervenants dans l’acte de justice sont autrement productifs. En plus de ce travail préliminaire de vulgarisation qui consistera à présenter et expliquer les nouvelles dispositions, une autre contribution est attendue de la part de la communauté des juristes pour le travail de critique d’évaluation et d’enrichissement de ce code dans la perspective de futures réformes. La justice, comme toute autre chose, est une réforme permanente. Nous allons livrer, seulement pour engager le débat, quelques problématiques que ne manquera pas d’engendrer ce nouveau texte :

– Les modes alternatifs des différends et la création du corps des médiateurs qui sont de nouveaux auxiliaires Il s’agit là d’une nouveauté merveilleuse, sauf que cette innovation ne s’est pas accompagnée du travail d’information et d’explication de ces nouvelles missions. Il est aussi à reprocher l’absence de formation préparatoire de ces personnes agréées à leurs nouvelles missions, qui sont d’ores et déjà entourées d’interrogations et d’incompréhensions. Par ailleurs, l’efficacité de l’apport nécessite un training aux techniques spécifiques de la médiation. La constitution des listes des médiateurs a précédé la promulgation du texte le régissant, d’où certains malentendus dans certains tribunaux. Citons, par exemple, l’exigence des démissions des postulants dans certains tribunaux, alors que les médiateurs ne seront interpellés que de façon ponctuelle.

– La traduction en langue nationale de toutes les pièces et documents du dossier L’article 8 du nouveau texte impose que les documents et pièces doivent à peine d’irrecevabilité être présentés en langue arabe ou accompagnés d’une traduction officielle. A-t-on pensé au coût de la justice pour un citoyen qui doit traduire une dizaine d’actes de propriété, dont chacun est constitué d’une dizaine de pages et que les honoraires des traducteurs oscillent entre 800 et 1200 DA la page ? A-t-on pensé au coût de traduction d’un cahier des charges de 40 pages auquel viendront s’ajouter les autres documents contractuels ? A-t-on suffisamment de traducteurs dans les circonscriptions des grandes cours ? N’est-on pas au courant de l’absence totale de traducteurs judiciaires, notamment dans les tribunaux reculés du pays pour prendre en charge la traduction de tous les actes juridiques et autres documents ou pièces à conviction (contrats correspondances, rapports d’expertises…) ? En plus des frais, il faut aussi évaluer le temps nécessaire à la traduction qui s’ajoutera aux délais déjà trop lents de l’appareil judiciaire. En plus de ces malheureuses considérations d’intendance qui ont leur poids sur le coût de la justice, il faut ajouter que le sens authentique est davantage perceptible dans la langue de la rédaction et non dans celle de la traduction. Les traducteurs sont-ils suffisamment formés pour traduire les expertises techniques ? Ajoutons à cela que le sens authentique est davantage perceptible dans la langue de la rédaction et non dans celle de la traduction. N’est-il pas plus loisible de travailler pour une formation linguistique des magistrats ? Disons au passage que cette exigence n’existait pas, semble-t-il, dans la mouture du ministère de la Justice, mais aurait été ajoutée dans les amendements parlementaires.

– L’obligation de l’avocat en cause d’appel L’avocat deviendra obligatoire devant les cours à compter de l’application de ce nouveau code. Les justiciables dépourvus de moyens bénéficieront de l’assistance judiciaire gratuite. C’est là une grande problématique. Il est vrai que la professionnalisation de l’acte judiciaire est une très bonne chose mais :

– L’appareil judiciaire algérien avec ses différentes composantes est-il suffisamment organisé pour prendre en charge toutes les demandes d’assistance judiciaire en cause d’appel ?

– Les barreaux, qui seront appelés à prendre en charge ce « nouveau service public », sont-ils suffisamment outillés pour traiter les dossiers et répondre à ces demandes en temps opportun, notamment lorsque les délais sont assez courts tels les cas d’appels en référé ?

– N’a-t-on pas institué une justice pour les riches et une justice pour les pauvres ? Une justice régulée par l’argent ? Il s’agit là de quelques questions et interrogations (il y en aura sans doute d’autres) suscitées par la mise en œuvre d’une réforme qui a dévoilé les multiples lacunes du système. Le moins que l’on puisse dire du nouveau code de procédure civile et administrative est qu’il atterrit dans un environnement qui n’est pas encore prêt à l’accueillir et satisfaire ses multiples nouvelles exigences. La formation des personnes et des structures interpellées pour son application n’a pas été assumée comme il se doit, d’autres éléments du contexte ne manqueront pas de mettre ce nouveau texte en porte-à-faux.

Par Nasr-Eddine Lezzar