Devant le tribunal de Paris, le long chemin islamiste de Saïd Arif

Devant le tribunal de Paris, le long chemin islamiste de Saïd Arif

Le Monde, 22 avril 2006

Saïd Arif comparaît depuis un mois au côté de vingt-six autres islamistes, suspectés d’appartenir à la « filière tchétchène » et d’avoir préparé des attentats qui devaient être perpétrés en France. Jeudi 20 avril, il a fallu attendre plus de trois heures et demi, durant lesquelles Jacqueline Rebeyrotte, présidente de la 14e chambre correctionnelle de Paris, a lu d’un ton monocorde des notes de la direction de la surveillance du territoire (DST), avant d’entendre les déclarations de cet ancien militaire algérien. Le courant ne passe pas entre lui, soupçonné d’avoir participé à une « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes », et Mme Rebeyrotte.
Des incidents en série ont marqué l’audience. La présidente, perdant son calme et refusant de donner la parole aux avocats, a interrompu cinq fois les débats. « J’assure la police de l’audience », s’est-elle exclamée dans un brouhaha où personne n’écoutait personne.
Mais l’ambiance électrique et le climat de tension qui ont régné toute l’après-midi dans le prétoire n’ont pas déstabilisé Saïd Arif. Le prévenu n’est pas du genre à se laisser impressionner par la justice. Ni la solennité du tribunal ni la gravité des accusations qui pèsent sur lui n’atteignent sa détermination.
Cet homme aux cheveux grisonnants coupés court, rasé de près, vêtu d’une chemise à carreaux et d’un pantalon blanc, a tenu crânement tête à ses juges. « Vous m’avez déjà jugé. Vous m’avez dit que j’étais une grosse pointure », rétorque-t-il à plusieurs reprises à Mme Rebeyrotte, qui n’a guère de questions à lui poser.
Après chaque prise de bec avec la présidente, il se rassied sur son siège, rigolant sans la moindre retenue, tourné vers son voisin de box, visiblement fier de son effet. Entre deux échanges où il s’emporte pour affirmer qu’il n’a « aucun commentaire à faire » ou pour signifier au tribunal que celui-ci n’a pas à le juger, il bavarde ostensiblement avec son avocat, se fichant comme d’une guigne des propos de la présidente. « Je voudrais savoir ce que vous me reprochez », répète-t-il sans se lasser.
Véritable routard du terrorisme, Saïd Arif, né à Oran le 5 décembre 1965, a quitté l’Algérie en 1992 pour entamer une sorte de tournée des métropoles européennes. Londres, Berlin, Barcelone, Milan, Paris : Saïd Arif a multiplié les déplacements, profitant de chaque étape pour rencontrer des individus ou des groupes affiliés à la mouvance islamiste.
Selon l’accusation, il a suivi des entraînements militaires dans des camps inféodés à Al-Qaida, en Afghanistan, en 1996 et 2000, puis a participé à des préparatifs d’attentats en Allemagne, à Francfort, et en France, à Strasbourg. En juin 2001, Saïd Arif a gagné la Géorgie, dans le Caucase, et rejoint les camps tchétchènes.
Il a ensuite fréquenté les groupes islamistes de La Courneuve et de Romainville (Seine-Saint-Denis), qui seront démantelés par la police française en décembre 2002. Il aurait rencontré Oussama Ben Laden et le Jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui, considéré comme le numéro un d’Al-Qaida en Irak.
Partout où il allait, Saïd Arif voyageait sous des identités d’emprunt, à chaque fois différentes. Il est finalement arrêté en Syrie, le 12 juillet 2003, puis livré à la justice française, le 17 juin 2004, à l’issue d’une procédure d’extradition. Pendant les onze mois durant lesquels il a séjourné dans les geôles syriennes, Saïd Arif aurait subi des mauvais traitements. « J’ai été torturé par les services secrets syriens, qui m’ont contraint à avaliser des documents qui m’étaient présentés », a-t-il affirmé au tribunal.
Enfermé pendant un an dans une cellule d’un mètre carré, gardé au secret dans les locaux des services syriens, il aurait été soumis à des privations, des insultes, des violences et à des interrogatoires musclés qui l’ont contraint à signer des déclarations qu’il n’a « jamais faites ». « J’ai été victime de sévices, a-t-il indiqué. Ils me mettaient assis dans un pneu et me tapaient la pointe des pieds avec un câble de télévision. »
Pour Me Sébastien Bono, son avocat, Saïd Arif n’a pas à être jugé par ce tribunal, dont il remet en cause la compétence. « Mon client a été extradé de Syrie pour des infractions commises en France en 2000 et 2001 », parvient-il à plaider. A trois reprises, la présidente n’a pas accepté de l’entendre.
« Ici, on évoque neuf pays étrangers, on ne dit rien des faits reprochés à mon client. La France manque à sa parole vis-à-vis de la Syrie. C’est un acte diplomatique très grave », souligne-t-il. Il a déposé des conclusions sur ce point, mais le tribunal les a rejetées. Le procès se poursuit jusqu’au 11 mai.

Yves Bordenave
Article paru dans l’édition du 22.04.06