Les avocats en colère

LE RÔLE DE LA DÉFENSE MENACÉ PAR UN PROJET DE LOI

Les avocats en colère

Le Soir d’Algérie, 14 juillet 2008

Y a-t-il menace sur le rôle de la défense ou veut-on réduire l’intervention des robes noires ? Des questions soulevées dans le milieu des avocats après que des informations eurent fait état de la révision prochaine de la loi régissant l’exercice du métier d’avocat. Abder Bettache – Alger (Le Soir) – Selon des sources très au fait du dossier, la loi régissant l’exercice du métier d’avocat serait à un stade très avancé dans son élaboration. Mieux encore, le ministre de la Justice et garde des Sceaux pourrait l’inscrire à l’ordre de l’un des prochains Conseils de gouvernement. Mais en attendant la finalisation totale du texte en question, la principale question que soulèvent les robes noires est celle relative aux droits de la défense. En effet, on indique que la loi en question prévoit dans l’une de ses dispositions que «le parquet général peut s’autosaisir pour enclencher des poursuites judiciaires contre les avocats si ces derniers sont au centre d’un incident intervenant lors de l’audience». L’incident en question pourrait être la conséquence d’un différend d’approche entre d’un côté, l’avocat et le président de la séance et de l’autre côté, entre l’avocat et le représentant du ministère public. Cette nouvelle donne n’a pas laissé indifférentes les robes noires. Pour certains, il s’agit sans aucun doute «d’une interprétation mal formulée» du texte en question, alors que pour d’autres, «si cette disposition venait à être consacrée, il s’agira d’une atteinte grave aux droits de la défense». En somme, pour un grand nombre d’entre eux, cette disposition n’est autre que la «photocopie du texte de 2001 (largement décrié par les avocats, ndlr) qui a comme principal objectif de mettre l’avocat sous la coupe du parquet». Pour rappel, l’article 48 de ce projet propose tout simplement d’accorder au procureur général le droit de saisir le conseil de discipline de l’Ordre des avocats. Il introduit en outre une disposition (article 53) qui fait obligation au bâtonnier de notifier toute décision du conseil de discipline, non seulement au ministre de la Justice et à l’avocat objet de la plainte, mais aussi au procureur général. Une autre modification (art.54) permet au même procureur d’introduire un recours contre une décision du conseil de discipline, un droit habituellement réservé à l’avocat, objet de la plainte et au ministre de la Justice. Pour rappel, l’exercice du métier d’avocat est régi par un texte plutôt libéral de janvier 1991. Me Noureddine Benissad, membre du conseil de l’Ordre des avocats d’Alger, dira «ne pas disposer de la teneur du texte qui va être soumis au Conseil du gouvernement et le droit algérien est dans une large mesure inspiré du droit français». A ce propos, il dira que la «loi française relative à la procédure en cas de fautes commises en audience par l’avocat prévoit dans son article 25 que toute juridiction qui estime qu’un avocat a commis à l’audience un manquement aux obligations que lui impose son serment peut saisir le procureur général afin de poursuivre l’avocat devant le conseil de l’Ordre». «Il y a également la convention internationale des droits de la défense qui stipule que l’avocat dispose au cours de l’audience d’une liberté totale d’expression. Il ne peut être inquiété ni poursuivi en raison des actes accomplis dans l’exercice de sa mission de défense et l’Etat doit assurer sa défense. Maintenant, si l’intervention est de donner plus de pouvoir au procureur a pour objectif de minimiser le champ d’intervention de l’avocat, là se pose un véritable problème pour la préservation du droit de la défense». Pour sa part, l’avocat Miloud Brahimi dira que si cela venait à être vrai, «il s’agira d’un recul énorme du rôle de la défense». «Les acquis de la défense sont irréversibles et il est inadmissible qu’on les remette en cause. Le parquet et l’avocat sont deux parties constituées dans une même affaire. Dans tous les cas, ce n’est pas dans l’intérêt de la justice et du justiciable que ce genre de texte voit le jour. D’un côté, on veut consacrer la réforme de la justice et de l’autre, on veut remettre en cause le rôle de l’avocat», a souligné Miloud Brahimi. Me Zoubir Allouche dira, pour sa part qu’«avec cette loi, on veut réduire le rôle de la défense et faire d’elle une simple façade». «Si cela venait à se concrétiser, il s’agira d’une véritable atteinte à la démocratie. Il faut que les avocats se mobilisent pour faire face à cette démarche. C’est un texte qui va nous mener droit dans une situation catastrophique pour la justice. C’est une remise en cause des acquis de la démocratie», a-t-il plaidé. Enfin, Me Chorfi Chérif conclut en déclarant que «les droits de la défense sont des acquis irréversibles de la démocratie».A. B.