Audition de M. Hocine Aït-Ahmed, à la requête de la défense

Audition de M. Hocine Aït-Ahmed, à la requête de la défense lors du procès de « La sale guerre »

4 juillet 2002

M. Stéphan, président. — Bonjour, Monsieur, je vais d’abord vous demander vos nom, prénoms, âge, profession et domicile.

M. Aït-Ahmed. — Je m’appelle Aït-Ahmed Mohand. J’ai l’habitude d’être appelé Hocine, car sur l’état civil je suis Mohand Ouel Hocine. Je suis né en Haute-Kabylie en 1926, l’année du krach économique aux États-Unis. J’ai donc soixante-seize ans. Je suis domicilié à Alger. Mais comme je suis devenu le Juif errant de la période de la guerre de libération, je voyage pour essayer d’expliquer et surtout de démystifier…

M. Stéphan, président. — Donnez simplement les indications d’état civil.

M. Aït-Ahmed. — Je suis marié. J’ai deux garçons et une fille.

M. Stéphan, président. — Et votre profession ?

M. Aït-Ahmed. — Ma profession ? Juriste. C’est écrit dans mon passeport… En fait, j’ai quitté mes études après avoir eu mon premier bac. Je passe sur mes tribulations politiques… Après l’Indépendance, j’ai voulu créer un parti. J’ai été emprisonné pendant quelques années. Après m’être évadé, j’ai fait mon droit à Lausanne. J’ai soutenu une thèse à l’université de Nancy sur « Les droits de l’homme dans la charte et la pratique de l’OUA37 ». C’était vers 1977, au moment où les droits de l’homme n’étaient pas une mode.
J’ai voulu m’inscrire dans un barreau. En Algérie impossible, en Tunisie impossible, au Maroc impossible, en Libye impossible… J’aurais voulu défendre les gens poursuivis pour délit d’opinion, ayant été victime moi-même d’un procès à la stalinienne, au cours duquel une cour criminelle révolutionnaire m’avait condamné à mort. Je n’ai donc pas été en mesure d’exercer comme avocat, mais j’ai été élu politique en Algérie.

M. Stéphan, président. — Et actuellement, vous êtes ?

M. Aït-Ahmed. — Je suis pour l’instant à Lausanne, mais je fais le tour des pays…

M. Stéphan, président. — Et vous dirigez un mouvement politique ?

M. Aït-Ahmed. — Oui, j’ai été élu président du Front des forces socialistes à plusieurs reprises. Le dernier congrès s’est tenu il y a trois ans38.

Le témoin prête serment.

M. Stéphan, président. — Merci M. Aït-Ahmed. Je laisse donc la parole à Me Comte qui vous a fait citer pour vous interroger.

Me Comte. — M. Aït-Ahmed était dans l’avion de 1956, avec M. Ben Bella et M. Boudiaf notamment. C’est donc une figure historique, dès cette période et d’ailleurs avant, de la révolution algérienne. Mais les questions que nous voudrions lui poser du côté de la défense sont extrêmement précises.
M. Aït-Ahmed, est-ce qu’il y avait une alternative, dans la période 1990-1991, à l’interruption du processus électoral ? Avez-vous rencontré M. Nezzar pour en parler éventuellement avec lui et quelle est votre position sur une alternative à ce que moi j’appelle un coup d’État ?

M. Aït-Ahmed. — Je ne veux pas vous ramener au Déluge, mais force est de rappeler qu’après les événements tragiques du 5 octobre 1988, où des dizaines de jeunes Algériens ont été tués à la mitrailleuse lourde, on espérait une ouverture. D’autant que le mur de Berlin allait tomber et que le système para- ou proto-stalinien qui s’était imposé dans notre pays imitait le système stalinien dans ce qu’il avait de plus mauvais, à savoir la police politique (bien que dans le système soviétique il y ait un parti communiste qui contrôle l’armée et le KGB ou la Stasi).
Donc, nous espérions une ouverture lors du sixième congrès du FLN39, dont on disait qu’il allait reconnaître les sensibilités à l’intérieur même du FLN… Pour ma part, j’avais créé un parti en 1963, après avoir été député à l’Assemblée constituante, lorsque cette Assemblée a été dessaisie de sa compétence : celle d’élaborer une Constitution. Un groupe de militaires et de personnalités connus ont fait une Constitution ailleurs… C’est dans la théâtralité, dans un cinéma que la première Constitution algérienne a été rédigée avant qu’on la fasse cautionner par l’Assemblée. On sauve toujours ainsi les apparences, et cela nous renvoie à la capacité de dissimulation, à la faculté de manipulation des régimes totalitaires. J’étais en écrasante minorité à l’Assemblée. Nous étions dix personnes à essayer de nous exprimer pour tenter d’animer un débat politique, essayer de sortir de cette guerre civile larvée qui avait commencé déjà au lendemain de l’Indépendance.
Par exemple, ce n’est pas inintéressant de vous dire que j’avais eu une mésentente avec Boudiaf qui, comme moi, avait été élu député et qui ne voulait pas siéger. Il avait créé un parti : le PRS40. J’ai eu une longue discussion avec lui et je lui ai expliqué : « Ton parti, c’est une petite verrue, le FLN a la légitimité intérieure et internationale. Le mieux que l’on puisse faire, au stade actuel, c’est de faire connaître nos idées démocratiques, de rappeler que le but de guerre qui est inscrit dans la déclaration du 1er novembre41, c’est de créer une république démocratique sociale, évidemment en invoquant le respect des principes de l’islam. Donc, viens combattre, viens animer le débat à l’Assemblée… »
Chaque fois que je faisais des propositions, j’étais battu, c’est vous dire qu’un « historique » acceptait de se faire battre ! Par exemple, on proposait que l’âge de la majorité pour les jeunes soit descendu de vingt et un à dix-huit ans. Eh bien, le responsable de la jeunesse a voté contre… Mais je disais : il faut qu’on explique ce qu’on peut faire parce que, moi, j’y crois. Pour moi, il n’y a d’« historique » que les promesses faites par la révolution. Il n’y a d’« historique » que l’auto-mobilisation des Algériens et des Algériennes qui a conduit notre pays à la victoire.
J’espérais donc que ce congrès du FLN de novembre 1988 allait « ouvrir ». Or cela a été la fermeture totale. Les militaires ont même obligé Chadli à reconnaître que c’était lui qui était responsable des carnages d’octobre 1988.
Puis subitement, il y a eu une espèce d’ouverture par effraction. Des jeunes, des élites ont commencé par des réformes économiques. Certains, dont vous avez certainement entendu parler – leur leader était Mouloud Hamrouche –, ont réussi à convaincre qu’il fallait sortir du système économique stalinien, centralisé, et qu’il fallait par conséquent aller aussi vers une ouverture sur la société. D’où l’élaboration et le vote de la Constitution de février 1989 qui reconnaissait les « associations à caractère politique ».
Là aussi, j’évoque la mémoire de Boudiaf – et chaque fois que je l’évoque, c’est très douloureux, parce que j’ai vu comment il a été assassiné, comme un gangster de Chicago. Avant de rentrer en Algérie, j’étais allé au Maroc lui dire : « Mohamed, je crois que c’est le moment de cesser de jouer de la trompette à l’étranger, il y a une possibilité maintenant chez nous. » Il m’a dit : « Tu penses, tout cela c’est faux, c’est un simulacre, d’ailleurs, la formulation qu’ils ont choisie, c’est la reconnaissance des “associations à caractère politique”. » J’ai dit : « Je sais, c’est un concept franquiste, mais c’est un concept, c’est une enveloppe vide qu’il nous appartient de remplir. Il y a une brèche et comme j’ai un parti, un parti qui a souffert, dont des militants ont été torturés – et certains d’entre eux assassinés –, j’ai des devoirs. » Je croyais sincèrement que cette brèche pouvait être élargie.
Mon parti a été le dernier à être reconnu (on a reconnu le FIS très rapidement42). Le pouvoir, les services secrets de M. Nezzar ont même « retourné » des militants pour présenter de faux dossiers d’agrément du FFS. Finalement, dès que mon parti a été reconnu, je suis rentré en Algérie avec un discours fondé sur trois axes : je ne veux pas que les islamistes aient le monopole de l’opposition politique, je ne veux pas qu’ils aient le monopole de la moralisation de la vie publique, il faut réhabiliter le politique. C’était mes messages.
J’ai réussi quand même à redresser mon parti. Je ne veux pas m’étendre là-dessus, mais les parasitages n’ont pas cessé. Ceux qui ont un peu vécu dans cette ouverture par effraction ne se sont pas gênés pour créer des partis. Nous avons eu soixante partis, comme autant de versets du Coran…
On a assisté à la multiplication de parutions journalistiques, de quotidiens… Tout cela visait à montrer que tout le monde parlait, c’était la cour du roi Pétaud : voyez la démocratie, voyez tous les partis, les femmes peuvent sortir dans la rue… Je sors alors souvent dans la rue, je parle avec les gens, contrairement aux dignitaires du pouvoir qui restent cloîtrés dans leur milieu. J’ai demandé un jour à quelqu’un : « Comment vois-tu la situation ? » Il m’a dit : « Écoute, hier il y avait un seul parti, et vois ce qu’on a fait de nous ; aujourd’hui, nous avons soixante partis, c’est soixante fois plus de problèmes ! »
Cela vient du fait que les gens n’étaient pas préparés. Il y avait des parasitages. J’en parle parce qu’il y a eu sept millions d’abstentions aux élections de décembre 1991. Ces sept millions ne croyaient pas du tout en ces élections. Ils disaient : « Tu votes, tu ne votes pas, c’est la même chose, ce sont les mêmes qui passent, ce sont les mêmes qui décident des députés qui vont passer ou pas. »
Les premières législatives – cela, M. le président, vous l’ignorez sans doute – ne se sont pas déroulées en juin, comme elles le devaient. Mais figurez-vous qu’en juin le FIS était perdant, du fait du découpage électoral, de la loi électorale et de notre présence dans la population, parce que nous avons non seulement des élites mais surtout un enracinement, pas seulement en Kabylie, mais dans la plupart des villes algériennes.
On parlait déjà d’une coalition entre réformateurs et FFS. Tous les sondages donnaient les islamistes perdants. C’est alors que les champions de la manipulation de la Sécurité militaire ont réussi à convaincre les deux chefs du FIS de demander d’arrêter le processus législatif et d’en appeler à des élections présidentielles. Ce qu’ils ont fait. Ils ont d’autant plus été convaincus que la base du FIS ne voulait pas de ces élections. Pour eux, c’était une « innovation » de l’Occident, donc c’était contre l’Islam. Ceux qui ont voulu les convaincre leur ont dit : « Et si vous perdez, en plus vous allez perdre votre base. »
D’où l’appel du FIS aux élections présidentielles et à la grève générale, grève générale qui a eu des moments assez durs d’affrontement, mais qui était vraiment maîtrisée par le Premier ministre Hamrouche. Nous-mêmes, nous avions constitué des brigades pour défendre les commerçants à Alger, pour qu’on ne les oblige pas à fermer, pour permettre aux étudiants dans les facultés de poursuivre leurs études, alors que le FIS ne le voulait pas.
Il y avait donc là une occasion. À l’époque, quand j’ai vu les manœuvres du FIS, je me suis dit, derrière il y a le bruit des bottes. J’ai donc demandé à voir Hamrouche. Il était tout à fait d’accord sur la nécessité de faire face à la situation, conscient que l’enjeu maintenant était d’arrêter le processus législatif, peut-être aussi le processus démocratique. Je lui ai alors demandé : « Laissez-moi faire ma manifestation, laissez-moi prouver qu’Alger n’est pas Téhéran. » Nous avons fixé la date au 6 juin, nous avons tout organisé. Nous avions un service d’ordre de cinq mille militants – je m’excuse de donner des détails de ce genre. Tout ce qu’on demandait à Hamrouche, c’était de maintenir à sa place le FIS, de le cantonner sur les deux places qu’il occupait. Pour moi, cette manifestation était une grande responsabilité, parce que non seulement je pouvais être confronté à des provocations islamistes, mais aussi à celles de certains manipulateurs.
Le 5 juin, l’armée décrète l’état de siège. M. Hamrouche est limogé, M. Sid Ahmed Ghozali est désigné Premier ministre par ceux qui l’ont amené : l’armée. L’état de siège a donc été proclamé et, à partir de là, le découpage a été fait par Ghozali43. Nous avons eu un découpage électoral qui a abouti à cette victoire du FIS qu’on aurait pu éviter si on avait retenu la proportionnelle que j’avais proposée, par exemple.
Bref, il y a eu ce succès et là-dessus M. Nezzar a demandé à me rencontrer. D’habitude, c’est un principe dans notre parti, on prend les contacts officiels à deux ou trois, c’est plus responsable. Je me suis dit que quand même c’était important, que s’il y avait une chance après le premier tour d’éviter la catastrophe, il fallait la saisir. Donc j’ai eu un très long débat avec M. Nezzar.
En fait, je n’avais pas compris le but de sa démarche. C’est par la suite qu’on m’a dit que peut-être il désirait que je sois à la tête du pays parce que je suis un « historique », parce que si on allait chercher Boudiaf au Maroc, loin, en négligeant ceux qui sont sur place, ce ne serait pas compris des gens. Ou bien m’inclure dans le Haut Comité d’État. Je n’ai pas compris, c’est par la suite qu’il y a eu des interprétations. Bref, mon souci c’était de lui dire : « S’il vous plaît, n’intervenez pas. »
M. Nezzar, nous sommes sous serment, je suis sous la foi du serment. Je vous ai dit alors de ne pas intervenir. Vous m’avez dit : « Nous n’interviendrons jamais. » Je vous ai dit : « Non, pas jamais. Si on a au préalable utilisé la loi, la Constitution, nous avons un président, nous avons ce qu’on appelle un retranchement constitutionnel, si un Parlement vote une loi liberticide ou attentatoire aux principes constitutionnels, si cette loi passe en deuxième lecture, il y aura dissolution. Nous avons donc cette possibilité. »
La deuxième possibilité, c’est le deuxième tour. C’est vrai que le FIS avait pris un très grand avantage, mais là aussi nous avions la possibilité d’un troisième tour grâce aux cent cinquante à cent soixante recours déposés. Nous-mêmes avions déposé auprès de la Cour constitutionnelle trente dossiers de recours pour fraude contre le FIS, avec des documents, des preuves.
Il y avait donc cette possibilité. Mais puisque de toute manière les islamistes auront la majorité relative, c’est à ce moment-là, lorsqu’ils seront au Parlement, qu’ils seront divisés. C’est facile de faire des manifestations de rue au nom de l’islam en disant « Le Coran est notre Constitution », mais quand il s’agit de proposer des programmes culturels, des programmes économiques, c’est un autre problème.
Or j’ai découvert au sein du FIS Abdelkader Hachani, qui était une véritable tête politique, qui pensait que l’Algérie n’était pas mûre pour la République islamique. Lui en particulier et ses hommes voulaient trouver un canal d’expression. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, après l’arrestation des deux grands chefs en juin44, il a convoqué un congrès à Batna au mois d’août et il a exclu tous les violents du FIS. C’est vous dire qu’il y avait des chances d’impliquer politiquement une partie du FIS et d’éviter surtout une interruption des élections.
Alors, M. Nezzar, vous avez fait le coup d’État. J’ai fait une conférence de presse le lendemain et j’ai dit : « Appelons un chat un chat. La façon dont tout s’est déroulé, c’est un vrai coup d’État. » Vous pourrez m’interroger sur les détails si vous le voulez. J’ai dit : « C’est une catastrophe. Comment faire ? D’abord agir auprès du FIS pour qu’il ne mobilise pas ses troupes dans la rue et se lance dans des violences. »
J’ai eu le malheur de demander à rencontrer d’abord les dirigeants du FLN. À l’époque, c’était Abdelhamid Mehri, un homme de parole, respectable. Ensuite, j’ai rencontré les trois dirigeants du FIS en leur disant : « Vous nous avez déjà fait une aventure en juin : vous avez donné à l’armée l’occasion d’intervenir. Aujourd’hui si vous défilez, non seulement on vous frappera, mais c’est nous tous, c’est le peuple algérien qu’on frappera. Donc s’il vous plaît, demain vendredi, jour de la prière, ne sortez pas dans la rue. » Ils nous ont obéi. J’ai parlé à Hachani à sa sortie de prison, quand il a été libéré. Je l’ai félicité – je connaissais son père avec qui j’ai milité à Constantine. Il m’a dit : « Vous savez, j’ai évoqué au tribunal, la première et dernière fois où j’y ai comparu, notre rencontre et j’ai évoqué notre accord implicite : pas de violences. »
Quelques jours après le coup d’État, M. Nezzar demande à me voir de nouveau. Je dis alors : « Non, moi je ne viens pas tout seul, je viens avec mes camarades. Et puis, où doit-on se rencontrer ? » Il m’a dit : « Ici, à la Défense. » J’ai dit : « Pourquoi vous ne venez pas au siège du parti ? » Évidemment, c’était une prétention de ma part, je le savais, c’est même indécent, mais c’est une manière de casser la langue de bois, de dire qu’on ne veut pas apparaître dès qu’on appuie sur un bouton. Il a dit : « Bien. On va venir. »
Effectivement, on nous a envoyé des voitures, mais pour nous amener. On nous a fait faire des tours du diable pour nous conduire de notre siège à la Défense nationale, pour « tromper l’ennemi parce que le FIS est partout », alors qu’il n’y avait même pas encore de violences. Arrivés à l’entrée de la guérite, on a fait baisser la tête à mes amis pour que le soldat de faction ne les reconnaisse pas. J’ai refusé. C’est toujours ces décors à la Potemkine ! Montrer que le GIA est partout, qu’il a une direction politique importante, qu’il a des réseaux partout !
Nous avons eu de très longues discussions, très sereines, n’est-ce pas, M. Nezzar ? Vous avez parlé, j’ai parlé. Vous m’avez dit : « Qu’est-ce qu’il faut faire ? » J’ai dit : « Négociez maintenant, avant que la violence n’apparaisse, et je connais des gens qui sont assez modérés pour jouer le jeu. » Vous n’étiez pas d’accord.
Et puis à la fin – souvenez-vous bien, je suis sous serment – vous m’avez dit : « Donnez-moi les noms des dirigeants du FIS que vous considérez modérés. » Je vous ai dit : « Mon général, s’il y a une déclaration publique de votre part affirmant votre volonté de négocier, eh bien là je vous donnerai leurs noms. » Alors, y avait-il une possibilité de régler politiquement le problème qui existait ? Elle était réelle, il suffisait de le vouloir.
Il y a deux façons de faire face au terrorisme. Il y a une façon « civilisée », c’est celle par exemple du gouvernement italien quand il a eu affaire aux Brigades rouges : il les a jugés, poursuivis, condamnés, sans toucher à la population civile, sans toucher aux libertés, sans toucher à l’État de droit. Il y a aussi l’exemple turc : Erbakan a eu sa victoire, mais on l’attendait au tournant, on a laissé faire, puis on a manipulé et l’armée est intervenue à un moment donné pour se débarrasser légalement de l’hypothèque islamiste. La Turquie a un long passé étatique, un long passé de laïcité. Nos généraux, nos colonels, je ne sais pas comment les appeler, ne l’ont pas du tout… Le pouvoir, qui est né de l’Indépendance, était déjà un pouvoir usurpateur car ayant fait une Constitution à sa manière, n’ayant pas de fondement démocratique solide… Or, l’État algérien trouvait sa légitimité dans le droit à l’autodétermination. On n’était pas une dynastie, une monarchie. L’État algérien était né du droit du peuple algérien, arraché de haute lutte, pour créer son État.
Avec une Constitution imposée, l’État était parti pour se disloquer. Je pense que c’est toute la gestion de cette époque qui a fait émerger le FIS, qui a créé les conditions. Hannah Arendt a dit que le phénomène nazi, la destruction industrielle des Juifs, n’était pas un phénomène de génération spontanée : il a commencé quand on leur a enlevé le droit à la citoyenneté. Donc, l’État étant mal parti, il s’est créé une véritable mafia. Il y a eu du vol, des espèces de niches clandestines et, derrière, un pouvoir absolu avec l’impunité, incontrôlable.
« Ils » ont arrêté les élections de juin parce qu’un Parlement risquait d’apparaître et de contrôler la gestion politique et les finances. On dit qu’ils ont arrêté les élections de décembre pour « éviter un bain de sang à l’Algérie », mais ce n’est pas vrai : ils les ont arrêtées pour maintenir le régime.
C’est là où intervient la deuxième notion de la lutte contre le terrorisme, celle de l’Amérique latine, de l’Argentine, du Brésil, du Chili, qui ont fait de leur peuple un peuple de sacrifiés, qui ont eu recours aux pires exactions, aux pires atrocités, parce qu’ils ne s’inscrivaient pas, comme en Italie, dans une perspective de paix, dans une perspective de solution politique, dans une perspective démocratique. C’était des régimes militaires. C’est cet exemple-là que l’armée algérienne et la Sécurité militaire ont choisi, malheureusement, puisque c’est à partir de là que le pays a basculé dans la violence.

Me Comte. — Une question dans la droite ligne de ce que vient de dire le témoin, M. le président. On dit beaucoup, M. Aït-Ahmed, que la manifestation du 2 janvier 1992 était une manifestation en faveur d’une annulation du premier tour et d’une annulation du processus électoral. Pendant ce procès, on a beaucoup dit que la manifestation du 2 janvier 1992 à Alger était en réalité une manifestation par laquelle la population algérienne demandait l’interruption du processus électoral.

M. Aït-Ahmed. — On vous a dit ça ? Je n’en reviens pas ! Une des raisons qui m’ont poussé à rencontrer Khaled Nezzar, c’était de lui demander l’autorisation – obligatoire – de faire la manifestation du 2 janvier, parce qu’ils avaient arrêté celle de juin. Il m’a dit : « D’accord, je peux vous assurer qu’elle aura lieu. »
J’ai été très heureux d’apprendre que, pour la première fois, la télévision en parlerait. Qui a fait l’appel à la télévision ? C’est moi. Qui a organisé le service d’ordre ? C’est mon parti. Quels étaient les mots d’ordre hégémoniques ? « Ni État policier, ni République islamiste. » Il y avait peut-être quelques autres slogans, nous sommes tolérants… Mais je vous assure que, de A à Z, c’est nous qui l’avons organisée. D’ailleurs, le seul discours qui a été prononcé, c’était le mien ; et là, le souci était de ne pas rater le deuxième tour, de poursuivre ce processus, de nous mobiliser, de dire aux femmes « il faut se compter », de dire aux militants : « Vous n’avez même pas eu la décence de faire voter vos femmes, vous êtes encore plus conservateurs ! » D’où véritablement cet enthousiasme.
Les Algériens avaient été découragés par la fraude répétée. Mais lorsqu’ils ont vu la victoire du FIS, c’est là qu’ils se sont mobilisés. M. Nezzar, nous avions tout fait pour que vous n’interveniez pas, vous m’avez donné votre parole mais vous êtes intervenu et cela a été un très grand malheur.
Quand j’ai eu le contact avec les dirigeants du FIS, lorsque je leur ai dit très durement qu’on nous avait menés à une catastrophe en juin, Rabah Kebir m’a dit : « Je vais vous poser une question : cette manifestation, vous l’avez faite contre qui ? Contre le pouvoir ou contre nous ? » J’ai dit : « Est-ce que vous avez lu les mots d’ordre qui sont venus de Bône, d’Oran, de partout ? “Ni État policier, ni République intégriste”. » Il m’a dit : « Qu’est-ce que vous entendez par intégriste ? » J’ai répondu : « C’est la République iranienne avec une oppression politique, avec la torture, avec la domination politique. »

Me Comte. — Une dernière précision, toujours sur cette manifestation. Nous avons eu deux témoins aujourd’hui, Mme Aslaoui et M. Lounis, qui ne vous ont pas entendu faire de discours ce 2 janvier. Est-ce que vous avez fait un discours ou est-ce que vous ne l’avez pas fait ? Si oui, quel était le contenu de ce discours lors de cette manifestation du 2 janvier ?

M. Aït-Ahmed. — J’espère que ces personnes ont bien gardé leur ouïe, qu’elles ont une oreille bien portante… Ce discours, c’était un événement ! J’ai prononcé mon discours45…

Intervention dans le public de Mme Aslaoui.

M. Stéphan, président. — Madame, vous êtes un ancien magistrat, donc vous savez ce qu’est la loi et la procédure pénale, je ne peux pas vous autoriser à intervenir.

M. Aït-Ahmed. — Le but de cette manifestation, c’était de ne pas interrompre le processus électoral, parce que nous savions très bien – je connais leur système, je connais leurs pratiques – que nous allions à ce moment-là à la catastrophe, à la violence, une violence que personne ne pourrait maîtriser. Aujourd’hui, d’un islamisme « résiduel » à un autre islamisme « résiduel », nous sommes toujours dans la violence.
Le seul but de la manifestation était de mobiliser pour le deuxième tour et nous avons mobilisé les femmes dans les campagnes, pour qu’elles fassent des cartes d’identité, des photos… Quelques jours après, on a compris que si la marche avait été autorisée, c’était pour légitimer la thèse d’un coup d’État « à l’appel du peuple ».
Je peux vous assurer, M. le président, quelquefois je me demande si on est dans le même univers ! Cela fait quarante ans qu’on produit des mutants, qui mentent, qui ont le culot de vous parler en face et de vous embrasser et qui vous préparent une embuscade. Vous savez, l’Histoire nous a rendus familiers de cette capacité de dissimulation. Par exemple, Maxime Gorki faisait la propagande du régime soviétique en disant qu’il n’y avait pas d’exactions. Le président Herriot a demandé à ses hôtes de lui montrer une église. Qu’à cela ne tienne, on lui a montré une église où se trouvaient des tchékistes, et il a pu dire en revenant en France qu’il y avait la liberté confessionnelle… Je dois dire que nos services de sécurité en ont gardé des traces. Ils ont toujours les mêmes schémas appris auprès du KGB, de la police politique des pays de l’Est et de la Securitate.
On ne peut comprendre ce qui se passe en Algérie si on ne prend pas acte du fait qu’aujourd’hui en Algérie il n’y a pas d’information. Ils ont commencé par gagner la bataille de l’information, de la communication, en privant les Algériens de l’information, en coupant l’Algérie de la communication internationale, ce qui fait qu’ils pouvaient raconter n’importe quoi. Ce qui fait que de nombreux pays sont tombés dans le piège de la « lutte contre l’islamisme ».
Je peux vous assurer que, si on avait écouté Rome46, c’était la chance la plus importante d’aller à une solution politique. Quand je dis Rome, c’est le fait que nous avons réussi à faire un pacte avec la plupart des partis politiques de l’opposition. Nous avons même invité le RCD, qui nous a envoyé de la littérature contre les islamistes… Et nous avons fait un travail responsable. Nous étions un peu des artisans, nous ne voulions pas de simples déclarations platoniques, nous voulions un processus qui ramène la paix. La négociation a buté sur le fait que les islamistes disaient : « Nous sommes des belligérants. » Je me suis inscrit en faux, j’ai dit : « Ce n’est pas parce que nous sommes pacifiques que nous allons être pénalisés… Au contraire, notre présence dans la discussion donnera confiance à la population algérienne. » Tôt ou tard, ils allaient négocier directement avec le pouvoir, ce qui s’est d’ailleurs fait par la suite.
Il fallait donc ramener la paix, puis prévoir ensuite une période de transition pour mettre en place des instances, avec l’assentiment de tous, y compris de l’armée. Je l’ai dit au début, nous n’avons pas fait d’« alliance » à Rome. Évidemment, ceux qui ont tout géré en Algérie depuis des décennies voyaient que cette alternative prenait de l’importance sur le plan intérieur et sur le plan extérieur. Il y a des hommes politiques qui voient un avenir démocratique dans ce pays. Mais c’est parce qu’« ils » ne voulaient pas que cette alternative puisse prendre forme et être crédible à l’échelle internationale que l’armée, la Sécurité militaire en tout cas, a engagé contre nous ces mensonges hystériques, nous traitant de « valets du pape », de « catholiques », de « croisés ».
Quand j’ai fait ma campagne électorale pour la présidentielle, je leur ai expliqué : « On vous fait peur avec Sant’Egidio, alors que ce sont des lycéens qui se sont organisés en association et ont participé ensuite à la solution de plusieurs conflits… » La malchance de l’Algérie, c’est qu’à cette époque-là déjà l’État n’était même pas capable de payer les services de la dette. Il était en cessation de paiement. Malheureusement, c’est à ce moment-là que les autorités françaises ont fait le maximum, leur ont donné de l’argent…
Nous en sommes à la dixième année ! M. le président, nous avons eu sept années très dures avec toutes ces exactions.
J’ai suivi avec beaucoup d’émotion les « regrets » exprimés concernant les horreurs pendant l’époque coloniale. J’ai même écrit un article sur la torture. Les trois quarts de la jeunesse n’ont pas connu cette Histoire, ils ne sont pas anti-français. Alors, pour le peuple algérien, être ému des exactions qu’il y a eu il y a trente ans et ne rien faire pour arrêter cette guerre sans nom, qui a fait déjà plus de 200 000 morts, qui a cassé ce pays, qui pousse la jeunesse à se suicider…

Me Comte. — Je n’ai pas d’autres questions.

M. Stéphan, président. — Ces problèmes qui se posent appellent de très longs développements. Vous venez de citer le général Nezzar au sujet de la décision de l’interruption du processus électoral. Cela nous renvoie directement à la diffamation. Est-ce que vous dites qu’en réalité c’est lui qui a pris cette décision d’arrêter le processus électoral ? Dans quelles conditions ? Vous dites qu’il en est le principal initiateur. Y avait-il d’autres personnes avec lui ? Et, dans le prolongement, comment M. Chadli a-t-il démissionné et comment M. Boudiaf, dont vous venez de parler, que vous connaissiez bien avant de l’avoir vu au Maroc, a-t-il été amené à participer au Haut Comité d’État ?

M. Aït-Ahmed. — Sur le rôle de M. Nezzar, nous sommes dans les ténèbres. Nous savons qu’il y a des officiers de la Sécurité militaire, c’est-à-dire du DRS, des généraux, et aussi d’autres officiers du même grade ou de grades différents, mais nous savons qu’il y a toujours une direction collégiale occulte. C’est ce qui leur permet de dire : « C’est la mafia politico-économique. » Tout le monde dit cela. L’essentiel, c’est qu’on ne donne pas de noms. Ils ont tout banalisé.
Quand la décision d’abattre Boudiaf a été prise, on ne sait pas qui était présent, mais notre interlocuteur était M. Nezzar. Le fait qu’il soit venu me voir, qu’il ait pris des initiatives, qu’il ait joué un rôle ne prouve pas qu’il était le chef, on ne peut pas dire non plus qu’il était le « parrain ». Mais je suis persuadé qu’il assumait toute la responsabilité.

M. Stéphan, président. — Sur le départ de M. Chadli ?

M. Aït-Ahmed. — En ce qui concerne Chadli, il a été forcé à partir. On lui a passé le message à la manière mafieuse : « Fais attention ! » Comme il n’était pas libre de ses mouvements, il a simplement dit qu’il s’opposait aux « finalités politiques ».

M. Stéphan, président. — Et l’arrivée de M. Boudiaf au Haut Comité d’État ?

M. Aït-Ahmed. — L’arrivée de M. Boudiaf m’a surpris. Je l’avais vu et il ne voulait pas venir. Il m’avait dit : « C’est une fausse ouverture, mais tu les connais, ils sont malins, ils essaient d’ouvrir parce que cela s’ouvre partout, et après cela va se refermer contre nous. » J’en ai voulu, mais très relativement, à Boudiaf d’avoir accepté. Ayant donné son assentiment à M. Haroun, il s’est engagé à rentrer et après il a téléphoné à ses amis à Alger. Il leur a dit : « Voilà, qu’est-ce que vous en pensez ? » Ils lui ont répondu : « Écoute, tout ce qu’on t’a dit, c’est du festi – en Algérie, c’est le mensonge le plus grossier –, alors s’il te plaît ne rentre pas. » Alors Boudiaf a pris le téléphone et a dit : « Je ne rentre pas. »
C’est à ce moment-là que rentre en jeu Smaïn, le numéro deux du DRS, qui avait « investi » auprès de la femme de Boudiaf – je dis cela sans faire aucune allusion à la dignité de sa femme. Il a créé des liens et a dit à la femme de Boudiaf : « Il faut convaincre ton mari. On ne lui demande pas de rester, on lui demande juste de venir, il verra des femmes, il verra des jeunes, il verra des travailleurs… » Elle m’a raconté tout cela. Et elle m’a raconté aussi la façon dont on l’a « éliminée » du voyage à Annaba47. Ce voyage devait se faire mercredi, il s’est fait lundi et la personne qui préparait les bagages du président lui a dit : « Vous, vous ne venez pas. »
Pour elle, tout a été fait pour l’assassiner et il y a de très nombreuses raisons à cela. Si vous le désirez, je pourrai formuler quelques hypothèses devant vous, mais le fait est que la mise en place du dispositif était telle qu’il ne devait pas s’en sortir. Même l’ambulance qui le transportait n’était pas équipée. Même cette ambulance a reçu des balles de mitrailleuse. Donc c’était très clair, on voulait non seulement faire un show médiatique mais aussi donner un exemple aux autres.
Vous savez, il est mort dans un fauteuil à la Maison de la culture de Bône où j’ai fait quatre conférences, alors que j’avais en face de moi des gens du FIS. C’est une salle qu’on pouvait maîtriser. Je n’avais pas droit à la police, j’avais des karatékas du parti qui étaient là, donc c’était maîtrisable. Il est archi-faux de dire que Boudiaf a été tué par les islamistes. Personne n’y croit. Mais la capacité de cacher, de dissimuler est telle que la mémoire des exactions est un acte de résistance contre un pouvoir totalitaire.

M. Stéphan, président. — M. le bâtonnier, vous avez des questions ?

Me Farthouat. — M. Aït-Ahmed, il y avait eu des élections locales en 1990 qui avaient été gagnées par le FIS. Vous avez dit tout à l’heure que les militants du FIS n’étaient pas partisans des élections. Ils se sont bien présentés à ces élections et ils ont gagné des municipalités ?

M. Aït-Ahmed. — Oui.

Me Farthouat. — Ils se sont servis de cette victoire…

M. Aït-Ahmed. — Bien sûr.

Me Farthouat. — Ils s’en sont servi ultérieurement lors des élections législatives, notamment dans la fraude ?

M. Aït-Ahmed. — Il y avait aussi le fait que lorsque les produits de première nécessité ont été augmentés, la réaction a été rapide dans la population contre cette mesure antisociale. Le FIS a décidé de faire une action sociale, de distribuer de l’argent aux pauvres. C’est passé par leurs municipalités, ils ont eu ainsi la possibilité de se renforcer.
Maintenant, si vous voulez demander pourquoi on n’a pas participé…

Me Farthouat. — Ce n’est pas la question que je vous posais. Vous avez dit tout à l’heure que les élections législatives, si elles avaient eu lieu en juin, auraient été perdues par le FIS. Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer ?

M. Aït-Ahmed. — Eux-mêmes, puisqu’ils se sont retirés et ont demandé des élections présidentielles.

Me Farthouat. — Donc votre raisonnement, c’est qu’ils ont demandé les élections présidentielles parce qu’ils étaient sûrs de perdre les élections législatives, qu’ils auraient en définitive gagnées au mois de décembre ?

M. Aït-Ahmed. — Absolument.

Me Farthouat. — Donc, si j’ai bien compris votre position, dans les élections législatives après le premier tour, le FIS avait déjà une majorité relative, donc il n’était plus possible de gagner totalement les élections législatives parce qu’il était impossible de composer avec le FIS et de parvenir à une solution. Si ce pari avait été perdu, que se serait-il passé ?

M. Aït-Ahmed. — Le pari le plus logique, c’est de faire confiance à son peuple, de lui donner les moyens de s’exprimer, de s’organiser. Or, depuis l’Indépendance, qu’ont fait les responsables ? Ils ont fait de la prédation politique. Ils ont détruit tout le savoir, tous les acquis politiques de la population algérienne. Le contrôle de la société était assumé par la Sécurité militaire et c’était elle qui interdisait. Quand j’ai créé un parti, aussitôt on m’a envoyé l’armée sous prétexte que la 7e région militaire de Kabylie échappait à l’état-major… Il y a eu de la prédation.
Donc, on a tout fait pendant ces trente dernières années contre les mouvements démocratiques. On a utilisé les islamistes. La preuve, c’est qu’un pouvoir qui se dit laïc a fait passer tous ses décrets sur la révolution industrielle, la révolution culturelle et agricole par les mosquées. L’islam a été proclamé religion d’État. On a dit en France qu’une espèce de vide politique s’était créé sans en chercher les causes, que l’armée algérienne, c’était comme l’armée turque. Cela n’a rien à voir.

Me Farthouat. — Je crois que vous avez été candidat à la présidence de la République en 1999, mais, d’après ce que j’ai lu à l’époque, des problèmes de santé vous ont conduit à renoncer à cette candidature. Mais votre mouvement a été candidat dans d’autres élections. Quel est son poids électoral ?

M. Aït-Ahmed. — Je pense, Maître, que vous faites erreur. Je me suis présenté aux élections présidentielles après avoir eu l’assurance de Liamine Zéroual48 que ces élections seraient libres et transparentes. Je voulais qu’il me donne des garanties. Vous savez pourquoi Zéroual est parti ? Parce que, encore une fois, si vous ne connaissez pas la nature du régime, vous continuez à ne rien comprendre. Le président en Algérie, c’est d’abord le président de la nomenklatura, il est là pour assurer des équilibres dans la distribution des prébendes, des rentes, dans la promotion des cadres dans l’armée, l’administration… Zéroual a été forcé de partir.
Et, plus grave encore, les carnages qu’il y a eu en Algérie, je le dis sur mon honneur, c’était la façon dont les différents clans à l’intérieur du pouvoir réglaient leurs affaires. Non seulement on confisque le pouvoir, ses richesses, la mémoire, mais aussi, quand « ils » veulent régler leurs problèmes internes, ils s’envoient des messages en ciblant des personnalités. On a ciblé notre trésorier, on l’a tué en pleine campagne électorale49.

Me Farthouat. — On vous demande en fait le score de votre parti.

M. Aït-Ahmed. — Par rapport au problème des élections présidentielles, j’y suis allé non pas pour briguer la magistrature suprême, mais pour centrer la campagne électorale sur les revendications pressantes et essentielles, à savoir l’appel à la démocratie et à la réconciliation. C’était mon but.
Je suis allé voir Zéroual pour demander une campagne électorale plus longue : l’Algérie, c’est grand, c’est une superficie de quatre fois la France. J’ai été jusqu’au bout. Deux jours avant de rentrer à Alger, j’avais déjà mal, mais je ne pouvais pas décommander ces dizaines de réunions qui m’attendaient. Nous avons fait une espèce de contrat avec tous les autres candidats, même l’islamiste50, pour essayer de contrôler ces élections : nous étions déterminés à faire cette campagne ; mais si on se rend compte que l’armée intervient…
Au moment où le scrutin a commencé, l’armée est intervenue dans plusieurs régions pour empêcher les électeurs de voter, pour se saisir des urnes. C’est le moment où j’ai été transporté en ambulance pour être opéré, mais c’est au siège de mon parti que se sont réunis les six autres candidats pour dire : « Nous nous désistons51. »

Me Farthouat. — Je n’ai toujours pas de réponse à ma question. Dans les autres élections auxquelles votre parti a participé, quel a été son poids électoral ?

M. Aït-Ahmed. — Aux élections de décembre, nous avons eu vingt-cinq sièges.

Me Farthouat. — Quel est le pourcentage de voix ?

M. Aït-Ahmed. — Cela, je ne peux pas vous dire. L’important est que nous avions vingt-cinq sièges52…

Me Farthouat. — Sur ?

M. Aït-Ahmed. — Je ne sais pas.

M. Stéphan, président. — Pas d’autres questions, M. le bâtonnier ?

Me Farthouat. — Non, M. le président.

M. Nezzar. — M. le président, je voudrais tout d’abord remercier M. Aït-Ahmed d’avoir été présent aujourd’hui. Par sa présence, il nous a permis déjà d’élever un peu le débat et de discuter des problèmes qui se sont posés en Algérie depuis le début et qui viennent de très loin.
J’étais jeune à l’époque, très jeune. J’ai fait l’armée et j’étais un des aspirants les plus jeunes. Des gens ont écrit : « Qu’il cite ses promotions. » Alors je cite, j’ai pris des notes, comme à l’école, comme cela on ne peut pas oublier. [Inaudible.]
J’étais jeune à l’époque, j’ai milité et j’ai rejoint le maquis en 1957. Depuis, je n’ai jamais quitté mes unités, et, je le dis sous serment, je suis arrivé à Alger le 1er janvier 1985. Tout mon temps, je l’ai passé dans des unités de combat. Je suis un homme de terrain. Moi, je ne fais pas de politique…

M. Aït-Ahmed. — C’est tout le problème !

M. Nezzar. — Ma conviction et les circonstances m’ont attaché à la politique, mais je l’ai quittée dès que j’ai pu, parce que je ne suis pas politique.
J’ai un souvenir douloureux. En 1962, le 19 mars, je me souviens, lorsque vous avez fait la réunion du CNRA… [Inaudible.] Et M. Ali Haroun, dans son livre, a repris cette phrase qui est très bonne et qui disait : « C’est dommage pour ce CNRA qui a fonctionné pendant toute la révolution et qui, au dernier moment, au lieu de ramener la clé pour ouvrir la porte… » C’est vrai, je suis d’accord avec lui, vous en êtes un peu responsable, beaucoup en sont responsables. Nous étions jeunes à l’époque. M. Aït-Ahmed, je vous respecte beaucoup, vous êtes un « historique » pour moi, vous êtes un chef…

M. Aït-Ahmed. — Je ne le suis plus.

M. Nezzar. — Je le vois comme cela. J’étais très jeune à l’époque. C’est ma manière de voir. Maintenant, revenons à la situation actuelle. J’arrive au début de 1985, je suis un troufion, un homme de terrain. En 1988, survient un tremblement de terre, c’est vrai. Ce n’est pas moi qui l’ai provoqué. Je suis un militaire, j’ai été investi d’une mission de maintien de l’ordre et j’ai essayé de faire mon possible pour sauver des vies humaines. Vous disiez tout à l’heure qu’on a tiré à la mitrailleuse : je m’inscris en faux, et mes avocats qui sont ici connaissent le président de l’association des victimes de 1988. J’ai écrit, j’ai dit : « Ce sont des victimes. » Les jeunes savent exactement d’où vient le mal, ce n’est pas de moi.
Maintenant, revenons à la situation de 1991. C’est vrai, je vous ai appelé, on s’est rencontrés et on s’est parlé. Je me souviens, vous êtes entré dans mon bureau, nous étions trois…

M. Aït-Ahmed. — Vous avez fait évacuer tous les officiers.

M. Nezzar. — Peut-être. La deuxième fois, on s’est vus. Je ne suis pas responsable de ce qu’ont fait les gens. Je suis honnête dans cette histoire, on s’est vus…

M. Aït-Ahmed. — … à la Défense.

M. Nezzar. — Vous disiez qu’on vous a obligé à baisser la tête. Je ne suis pas responsable, je vous ai appelé, j’ai dit que je voulais discuter avec vous. Mais ce qu’ont fait les gens, pour des raisons de sécurité ou autre, je n’en sais rien, honnêtement. Je me place un peu dans votre position, M. Aït-Ahmed, je suis un peu dans votre logique d’une certaine manière, sauf qu’entre nous il y a un écart extraordinaire. C’est vrai, il y a un écart extraordinaire…

M. Aït-Ahmed. — Il y a un fleuve de sang !

M. Nezzar. — Non, nous allons essayer d’en discuter et de dire les choses comme elles sont. Maintenant, le « fleuve de sang », l’Histoire jugera. Je m’excuse, parce que vous avez une vision des islamistes que je n’ai pas. Vous, vous étiez loin, les Algériens ont vécu les atrocités du FIS. Mais n’en parlons pas, vous avez une politique que je respecte.
À l’époque, j’étais jeune. Je pensais de la même manière mais j’avais une autre manière de réfléchir. Nous étions jeunes, nous étions en déséquilibre par rapport à ce qui existait, mais nous avons travaillé à certains niveaux de la formation. Si nous avons aujourd’hui des officiers de qualité, c’est parce que nous avons fait le nécessaire.
Vous voyez toujours la situation en fonction de l’époque, avant 1987, avant 1986… Je vous l’accorde, mais simplement je suis un spectateur de cette scène. J’étais responsable de la reconversion de l’armée, je suis tout à fait d’accord avec les idées que vous donnez, je les ai appliquées. Les services de sécurité dont on parle, parlons-en. Personnellement, je n’ai pas mis les œufs dans le même panier : j’ai créé la DGSE au niveau de la présidence, j’ai créé la DCE au niveau du chef d’état-major, j’ai créé le DRS au niveau du ministre de la Défense53. J’ai dit à l’époque à la police, parce que la police n’avait pas encore ce qui était l’équivalent de la DST ici en France : « Prenez le temps nécessaire de former votre unité. » J’ai voulu le faire d’une manière classique. Je n’ai rien inventé, je ne réinvente pas la poudre. J’ai appris dans les écoles, j’essaie d’appliquer…
J’ai mené le même combat que vous. J’ai cassé la chape de béton. J’ai vécu au niveau des unités, avec des jeunes, et il y avait une chape de béton. Vous le savez très bien, M. Aït-Ahmed, il y avait des roitelets, ils existaient. On a réussi quand même. Seulement les événements politiques, malheureusement, nous ont entraînés dans une spirale dont je ne suis pas responsable, que ce soit 1988 ou 1991.
Là, M. Aït-Ahmed, je m’inscris en faux quand vous dites qu’on a fait partir Chadli. Il y a des documents qui sont là. Le président Mitterrand a appelé le lendemain, deux fois, le président Chadli. Je le sais, j’ai été informé (c’est normal que les services fassent leur travail : savez-vous qu’à l’époque j’avais indiqué que pour faire des écoutes, seul le ministre de la Défense pouvait les signer ?).
Je vous parle en tant qu’homme qui a une conviction, qui a une éthique. Pourquoi aujourd’hui ne fait-on pas la différence entre le respect qu’on me doit, parce que j’ai essayé de faire mon travail le plus scrupuleusement, là où j’étais… C’est cela qui fait que les gens me respectent. Alors je dis, M. Aït-Ahmed, voilà un peu le parcours que j’ai eu. J’ai dit au début, je vais aller doucement, ce sont des compagnons. J’ai trouvé des difficultés, comme vous dites. J’ai trouvé des difficultés et puis je me suis dit : après tout, qu’est-ce que j’ai à perdre ? À ce moment-là, je prends la voie, cette voie, et s’il m’arrive quoi que ce soit, je démissionne et c’est tout. Malheureusement, les événements politiques nous ont rattrapés, en 1988, alors que je n’avais pas encore terminé la restructuration de l’armée. Mais j’avais réussi à centraliser. J’ai réussi à faire monter des jeunes au niveau de responsables. J’ai été le premier à désigner trois commandants des forces d’une même région. J’ai choisi les meilleurs et personne ne peut me contredire…
Revenons à 1991 et au mode de scrutin. J’étais avec M. Ghozali et M. Mohamed Abdeselem, l’actuel ministre de [inaudible]. Mais on n’a pas réussi – j’étais présent –, on n’a pas réussi à les faire changer d’avis, parce qu’ils voulaient gouverner avec le FIS. C’est cela le problème, et c’est pour cela que nous avons eu ce résultat catastrophique, parce que nous n’avons pas réussi à imposer le mode de scrutin qui allait donner les possibilités à tous les autres partis. On s’est retrouvés avec 189 sièges au premier tour pour le FIS et celui-ci en ballottage favorable. Un FIS avec lequel, je vous le dis, je ne suis pas d’accord sur l’approche de ce qui s’est passé. Ce sont des gens qui disaient : « Le cercueil ou le fusil. » Pendant quinze jours, la loi islamique, la charia, était appliquée : le Coran était dans la rue, entre les mains des gens. Les gens revenus d’Afghanistan étaient des commandos arrivés en avion qui défilaient devant nos portes.
En 1991, vous êtes venu me voir. Nous aussi, nous étions surpris de la démission de Chadli. C’était tout à fait normal qu’il en parle à un militaire. Donc, vous êtes venu me voir, vous m’avez dit : « C’est un coup d’État. » Je vous ai répondu : « M. Aït-Ahmed, ce n’est pas un coup d’État, il a voulu partir. » Je vous ai rencontré une deuxième fois, vous m’avez dit, c’est vrai : « Attention à la démocratie, c’est un plus. » Vous m’avez dit cela. Je vous ai dit : « M. Aït-Ahmed, il n’y a pas de présidence. » Vous m’avez dit : « Le président va dissoudre l’Assemblée. » Je vous ai dit : « Depuis 1988, il n’y a plus de président54. »

M. Aït-Ahmed. — Ça montre bien que c’est vous qui dirigez !

M. Stéphan, président. — M. Aït-Ahmed, vous avez la parole pour répondre, si vous avez quelque chose à dire, très brièvement.

M. Aït-Ahmed. — Ce que vient de dire M. Nezzar est l’illustration de tentatives personnelles au sein d’une armée organisée. Mais le problème qui se pose, c’est le fait que l’armée ait pris le pouvoir d’un commun accord avec la Sécurité militaire. Je vous donne un exemple. Pourquoi avez-vous fait un nouveau coup d’État contre Ben Bella55 ?
Vous savez, j’ai été condamné à mort56… Et puis, surréalisme, deux mois après on m’envoie des avocats pour me demander si je suis d’accord pour négocier. J’ai dit : « Oui, mais vous êtes en train d’enfoncer une porte ouverte, c’est parce que vous avez tout verrouillé que nous en sommes là. Donnez des laissez-passer, des passeports à mes amis de la direction clandestine, ils iront négocier. »
C’est ce qui s’est fait. Un accord a été réalisé avec le FFS et, le 16 juin 1965, la presse nationale a publié cet accord FLN-FFS qui a suscité un immense espoir : on sortait de la pensée unique, on sortait du parti unique. Avant le troisième jour57, ceux qui avaient négocié avec nos délégués sont venus nous voir à la prison. Ils m’ont dit : « Il faut dissoudre le FFS, car l’armée veut avoir quelque chose. » J’ai dit : « Qu’est-ce que vous me racontez là ? Nous sommes l’opposition, nous n’avons pas de moyens, nous sommes la partie la plus faible. Nous pourrions demain, si le rapport des forces change, changer notre attitude. Mais nous ne vous avons pas mis le couteau sous la gorge ! Vous me demandez de dissoudre un parti qui est un martyrologe. »
Là où nous sommes implantés, il n’y a pas d’islamisme. C’est quand il n’y a pas de moyens d’expression qu’il y a la misère, l’exclusion, qu’ils sont heureux de se défouler et que les prédicateurs demandent la tête des généraux. Cela ne les empêche pas d’ailleurs d’aller tout de suite après voir des films pornographiques à la télévision… C’est vous dire que nos jeunes cherchent un moyen de vivre. Ou de survivre.
Chaque fois qu’il y a eu une possibilité de changement, vous êtes intervenus. Chaque fois ! À cette époque-là, au moment des élections législatives, en décembre, c’était toujours la même raison. Il y a une direction occulte qui est là, qui s’impose à sa manière, qui intervient. Après, on fait des coups de force auprès de chaque parti. Le FLN, sous la direction du chef de la Sécurité militaire, a fini par se débarrasser de son secrétaire général, M. Abdelhamid Mehri, qui avait signé le « contrat de Rome ». La plupart des membres de sa direction étaient déjà pris en charge par la Sécurité militaire. Ils ont fait la même chose à d’autres partis.
Vous ne pouvez vous imaginer comment nous existons ! C’est un miracle d’exister quand on est à la fois sous la pression et la répression de la Sécurité militaire, du pouvoir et, de l’autre côté, des islamistes. Lors de notre dernier congrès, on a interdit aux commerçants de nous louer des chaises !… Le président lui-même nous a fait interdire de tenir ce congrès à Alger pour que les diplomates n’y assistent pas. On l’a donc tenu loin. C’est dire à quel point c’est vous qui décidez de tout maintenant.
Ce dont je suis fier, ce sont les deux années que j’ai passées à organiser l’Organisation spéciale58, dont le but était de préparer la révolution. Alors, quand j’ai rencontré pour la première fois M. Souaïdia après la publication de son livre, j’ai failli craquer : il m’a rappelé ces deux mille militants que j’ai choisis moi-même à travers le pays, pour en faire des cadres. Pour moi, c’est un de mes cadres : il est contre l’humiliation, il est contre l’arbitraire, il s’élève contre le fait que les jeunes n’ont pas le droit de vivre, n’ont pas le droit de vivre en famille, n’ont pas le droit de construire une société.
Vous savez à quelle conclusion, au bout de deux années, nous sommes arrivés ? Nous sommes arrivés à définir une forme de lutte – et vous allez voir que ce n’est pas une allitération. Nous avons condamné le terrorisme comme forme de lutte, parce que, à supposer que certains dirigeants soient des traîtres, nous avons une armée… D’autres préconisaient de faire comme en France, en disant : « Nous sommes quarante millions, chacun tue un Allemand et on règle le problème. » C’était assez simpliste. Il y avait aussi les levées en masse… Nous avons ainsi passé en revue tout ce qui ne devait pas être fait, et après nous nous sommes dit qu’il fallait former des cadres militaires qui puissent encadrer la population algérienne.
Aujourd’hui, je vous interpelle comme citoyen, quoique je ne sois pas citoyen : les Algériens n’étaient pas citoyens du temps de la France, ils ne le sont toujours pas parce qu’ils n’exercent pas leurs droits. La justice et le droit sont en complète déshérence. Alors, pourquoi ne pas négocier une solution politique, pourquoi ne pas dire : « Voilà ce qui ne peut pas sortir des élections truquées » ? Est-ce qu’une élection truquée peut faire la paix ? Il faut éliminer les solutions inefficaces avec lesquelles les dirigeants cherchent à gagner du temps et surtout à faire des vitrines démocratiques pour mieux cacher les mensonges de la mafia qui dirige ce pays.

Applaudissements dans l’assistance.

M. Stéphan, président. — S’il vous plaît ! Ce n’est pas une tribune politique. Les débats débordent inévitablement, ce qui n’est pas étonnant compte tenu de la nature de la diffamation qui nous est soumise. M. Aït-Ahmed, le tribunal vous remercie de votre témoignage. On va vous redonner votre pièce d’identité. Vous pouvez rester dans la salle pour suivre les débats, débats qui vont maintenant vers leur fin.
Nous avons entendu tous les témoins. Il y a des visionnages, je propose de les limiter autant que faire se peut. Est-ce même utile de le faire ou pas ?

Me Comte. — Nous y renonçons. Nous avons eu beaucoup de témoignages.

M. Stéphan, président. — De toute façon, les éléments sont soumis au tribunal. Le tribunal va délibérer, il voit bien les pièces qui lui sont soumises. À moins que vous ne souhaitiez absolument les visionner…

Me Gorny. — Pouvez-vous faire un duplicata de cette cassette ?

M. Stéphan, président. — Nous allons en rester là pour aujourd’hui. Demain vous avez prévu pour la défense quatre heures…

Me Gorny. — Nous allons essayer de réduire.

M. Stéphan, président. — Donc de 9 h 30 jusqu’à 12 h 30. Donc l’après-midi nous aurions le réquisitoire de Mme le procureur.

Me Comte. — M. le bâtonnier nous a dit qu’il commencerait. Il nous faudra une vingtaine de minutes.

M. Stéphan, président. — Très bien. L’audience reprendra demain à 9 h 30, avec les plaidoiries de la partie civile.

L’audience est levée à 18 h 55.

Notes

38. Le dernier congrès du FFS s’est en fait tenu du 24 au 26 mai 2000.

39. Qui s’est tenu en novembre 1988.

40. Voir supra, chapitre 4, note 3, p. 294.

41. 1er novembre 1954 : déclenchement de la guerre de libération algérienne.

42. Le FIS a été reconnu le 6 septembre 1989, et le FFS le 13 novembre 1989.

43. Le 15 septembre 1991, le gouvernement de Sid Ahmed Ghozali a présenté à l’Assemblée un nouveau projet de loi pour les élections législatives : par rapport à la loi élaborée sous le gouvernement de Mouloud Hamrouche, il prévoyait une réduction du nombre de députés de 537 à 373 (le chiffre finalement retenu sera de 430), un nouveau découpage donnant un député pour 80 000 habitants au Nord et 30 000 au Sud, une seule procuration autorisée par électeur, l’assouplissement des modalités pour les candidatures indépendantes. Cette loi sera finalement votée, avec quelques modifications, le 13 octobre. Le 3 novembre, les candidatures seront déposées : sur 5 712, 1 100 étaient des « indépendants » (Monde arabe Maghreb-Machrek, n° 134 et n° 135).Ce nouveau découpage a probablement été le fruit d’un compromis entre les différents clans du pouvoir, dont il reste difficile, à ce jour, de reconstituer parfaitement les rationalités respectives, dans une conjoncture alors très fluctuante et caractérisée par un haut niveau de désinformation et de manipulation, venant de tous les bords. Il semble que M. Ghozali espérait, au vu des informations (fournies par les services de renseignements) dont il disposait, pouvoir utiliser la représentation du FIS au Parlement (dans l’hypothèse où celui-ci se présenterait, ce qui était encore très incertain à la veille de ce vote) pour réduire le poids du parti historique, le FLN, selon le principe des « trois tiers » (voir supra, le témoignage de Mohammed Samraoui, chapitre 3, note 30, p. 233). Les décideurs militaires pilotés par les généraux Larbi Belkheir et Khaled Nezzar semblent avoir également promu ce scénario. Mais, sans doute mieux informés des tendances lourdes de l’électorat, ils s’étaient aussi préparés à l’éventualité d’une victoire du FIS, inacceptable à leurs yeux, ce qui justifierait ensuite l’interruption du processus électoral. C’est en tout cas ce qui s’est passé.Ce type d’interrogation se retrouve dans l’analyse du journaliste Abed Charef : « Ce long développement de la “guerre” de Ghozali conduit à se poser beaucoup de questions. Une stratégie électorale, après tout légitime, peut-elle justifier que Ghozali ait fait preuve d’un aveuglement aussi évident, pour attaquer les seuls partis qui étaient en mesure de contrer le FIS ? Ghozali se rendait-il compte qu’en les attaquant, il rendait service, objectivement, au FIS ? En se lançant dans la promotion des candidats indépendants qui ne pouvaient prendre des voix au FIS avec son électorat discipliné, Ghozali se rendait-il compte qu’il affaiblissait les concurrents les plus sérieux du parti islamiste ? Enfin, autre hypothèse, Ghozali l’a-t-il fait délibérément, en sachant que le jeu était truqué à l’avance ? Était-il partie prenante dans ce jeu qui allait préparer le lit du FIS et l’engrenage qui a suivi ? » (Abed CHAREF, Algérie, le grand dérapage, L’Aube, La Tour d’Aigues, 1994, p. 213).

44. Abassi Madani et Ali Benhadj.

45. Voici des extraits d’un compte rendu qu’en a donné un hebdomadaire algérien à l’époque : « Jeudi dernier, des centaines de milliers de personnes venues d’Oran, de Rélizane, de Kabylie, de Tindouf et d’ailleurs ont défilé quatre heures durant. La foule criait à en perdre la voix : “Vive l’Algérie libre et démocratique”, “Ni État policier, Ni État intégriste, mais État démocratique”, “L’Algérie n’est pas l’Iran”, “Main dans la main nous soutiendrons Da `Hocine”. Du haut du balcon, il appelle les Algériens à ne pas perdre espoir. Aït-Ahmed apparaît comme l’alternative. C’est vers lui que des centaines de milliers de gens, pas seulement ses partisans, sont venus chercher réconfort et protection. Entre un FLN discrédité et un FIS menaçant, le peuple démocrate se tourne vers lui : “Vous êtes là parce que vous êtes inquiets et consternés par les résultats du premier tour. Les jeux ne sont pas encore faits”, crie-t-il à la foule enthousiaste. […] “Nous défendrons la paix civile, et nous utiliserons toutes les ressources légales et constitutionnelles pour imposer la démocratie.” Aït-Ahmed refuse de suivre ceux qui préconisent de boycotter le deuxième tour : “Ce serait suicidaire. Les conséquences seraient dramatiques. Si on interrompt le cours électoral, ce serait faire le jeu du pouvoir.” M. H.A.A. écarte l’éventualité d’un coup d’État : “J’ai confiance en nos cadres civils et militaires.” En tout cas, la marche de jeudi dernier a fait de Hocine Aït-Ahmed le rempart contre l’intégrisme et l’hégémonisme du FLN » (« Marche du FFS, le peuple démocrate en marche. M. Aït-Ahmed a confirmé sa position de pôle démocratique mobilisateur », Algérie Actualité, n° 1369, 9-15 janvier 1992).

46. Le « contrat national » signé à Rome en janvier 1995 grâce au concours de la communauté Sant’Egidio, association caritative qui a étendu son champ d’action à la médiation de plusieurs conflits (voir supra, chapitre 1, note 30, p. 62).

47. Annaba, ex-Bône, est la ville où Mohammed Boudiaf a été assassiné le 29 juin 1992.

48. Prédécesseur d’Abdelaziz Bouteflika, le général Liamine Zéroual avait été élu à la présidence de la République en novembre 1995, et il a démissionné de ses fonctions en septembre 1998, ce qui a amené de nouvelles élections présidentielles, en avril 1999.

49. Le trésorier du FFS, M. M’barek Mahiou, a été assassiné le 4 novembre 1995 à Alger.

50. Le candidat islamiste à la présidentielle de 1999 était le leader du MSP, Mahfoud Nahnah.

51. Soupçonnant une fraude massive, tous les candidats autres qu’Abdelaziz Bouteflika se sont retirés, laissant ce dernier seul en lice.

52. Voir supra, chapitre 2, note 5, p. 98. Quatre cent trente sièges étaient à pourvoir. Le FFS a obtenu 510 661 voix, soit 7,40 % des suffrages exprimés.

53. En réalité, comme on l’a vu (voir supra, chapitre 3, note 45, p. 245), le DRS, constitué en septembre 1990 par le général K. Nezzar, ministre de la Défense, rassemblait sous sa seule autorité l’ensemble des services de renseignements : Direction du contre-espionnage (DCE), Direction de la documentation et de la direction extérieure (DDSE) et DCSA (Direction centrale de la sécurité de l’armée).

54. Formulation dont on peut remarquer qu’elle recoupe en partie celle de H. Souaïdia dans ses propos faisant l’objet du présent procès : « Les hommes politiques sont des généraux, c’est eux qui décident. Il n’y a pas de président. Cela fait dix années qu’il n’y a pas de président, plus même. »

55. Le 19 juin 1965.

56. Arrêté en octobre 1964, Hocine Aït-Ahmed a été condamné à mort puis gracié. Il s’est évadé en mai 1966.

57. C’est-à-dire à la veille du coup d’État du colonel Houari Boumediene qui allait renverser le président Ahmed Ben Bella.

58. L’OS (Organisation spéciale) a été créée en novembre 1947 au sein du PPA-MTLD, dans la clandestinité totale, pour « préparer la révolution » et en recruter les cadres. Elle a été dirigée de novembre 1947 à décembre 1949 par Hocine Aït-Ahmed (voir Hocine AÏT-AHMED, Mémoires d’un combattant. L’esprit d’indépendance, 1942-1952, Sylvie Messinger éditrice, Paris, 1983, en particulier p. 125 sq).