Alain Marsaud: « Un test pour la collaboration franco-algérienne »

L’information judiciaire sur l’assassinat des moines français en 1996 a été ouverte mardi

Alain Marsaud: « Un test pour la collaboration franco-algérienne »

Jean Chichizola, Le Figaro, 12 février 2004

Député de Haute-Vienne et ancien magistrat antiterroriste, Alain Marsaud a demandé dès 1996 l’ouverture d’une information judiciaire sur l’assassinat des moines de Tibéhirine.
L’ancien magistrat dénonce aujourd’hui les négligences françaises et s’inquiète de la future coopération judiciaire franco-algérienne essentielle à l’enquête.

LE FIGARO. – Pourquoi avoir attendu huit ans pour ouvrir une information judiciaire en France sur l’assassinat des moines de Tibéhirine?
Alain MARSAUD. – J’explique un tel retard par la négligence, par l’incompétence professionnelle et sans doute par d’autres motivations beaucoup plus diplomatiques. En 1996, j’avais envoyé deux courriers, restés sans réponse, au garde des Sceaux de l’époque, Jacques Toubon, pour recommander l’ouverture d’une enquête. Il me paraissait incroyable que la justice française ne fasse rien devant un tel crime. D’autant plus surprenant qu’une rumeur courait à l’époque sur la présence sur notre sol de membres du GIA ayant participé à l’enlèvement. Il m’avait été répondu que la justice française n’était pas compétente pour des attentats commis à l’étranger. J’ai donc fait voter un amendement de la loi antiterroriste permettant de telles enquêtes en présence de victimes françaises.

Qu’attendez-vous de l’information judiciaire ouverte mardi?
Que la vérité soit enfin faite sur cette affaire. Y compris sur d’éventuelles manipulations des services secrets algériens dénoncées dès 1997 par d’anciens militaires. En décembre 2002, je m’étais d’ailleurs étonné de l’absence de réaction des autorités françaises après les déclarations d’un ex-collaborateur de la DRS (ancienne Sécurité militaire algérienne). Et je remarque aujourd’hui que l’initiative vient des familles des victimes et non des autorités judiciaires.

Les accusations contre les services secrets algériens sont-elles fondées pour vous?
Je ne me prononcerai pas là-dessus. Là n’est d’ailleurs pas la question. L’important est que des magistrats français puissent enfin travailler sur la disparition de nos compatriotes. Sans tabou et sans obstacle.

N’est-il pas trop tard pour enquêter?
Il est évident que sept ou huit ans après les faits, de nombreuses preuves ont probablement disparu. Des témoins, des suspects sont morts et enterrés. D’où mon désarroi devant ce déni de justice, ce scandale qui a vu l’une des affaires les plus emblématiques de ces dernières années menée en dépit du bon sens.

Comment sortir de cette impasse?
Tout dépendra de la coopération judiciaire franco-algérienne, pour laquelle ce dossier consti-
tuera un véritable test. Nous verrons bien si elle constitue une réalité ou une pure fiction. Le passé n’incite pas à l’optimisme. J’ai par exemple le souvenir d’un Algérien membre d’Action directe réfugié dans son pays. La commission rogatoire délivrée à l’époque par le juge d’instruction Jean-Louis Bruguière avait été ignorée par Alger.

De nombreux Français ont été assassinés en Algérie depuis 1992. Faudrait-il, selon vous, ouvrir d’autres enquêtes ?
Pourquoi pas ? Je pense par exemple à l’assassinat de l’évêque d’Oran, Mgr Pierre Claverie, survenu quelques mois après celui des moines de Tibéhirine et sur lequel toute la lumière n’a pas été faite. Le rôle de la justice française n’est-elle pas de protéger nos ressortissante ? Ce que nous faisons aujourd’hui dans le cas d’attentats anti-français comme celui de Karachi en mai 2002, pourquoi ne pas le faire en Algérie?

Propos recueillis par J. C.