« La manipulation du Groupe islamique armé a mal tourné »
Algérie : Alors qu’une plainte a été déposée à Paris par des proches des moines de Tibéhirine, un « témoin-clé » nous livre sa vérité
« La manipulation du Groupe islamique armé a mal tourné »
Lakhdar Belaïd, France-Soir, 25 février 2004
Tel un fantôme, l’affaire hante les relations franco-algériennes depuis maintenant huit ans. En mars 1996, sept moines trappistes français sont enlevés dans leur monastère de Tibéhirine, près de Médéa. Deux mois plus tard, leurs têtes sont retrouvées dans la forêt. Officiellement, les religieux ont été les victimes du Groupe islamique armé (GIA). Depuis 1996, le dossier en était resté là. Même si, en Algérie, l’enquête se poursuit. En décembre dernier, coup de théâtre! Deux proches des victimes saisissent la justice française. Une plainte contre X avec constitution de partie civile est alors déposée à Paris.
La famille du père Lebreton et le père Armand Veilleux, ancien procureur de l’ordre des cisterciens, sont en effet troublés par les déclarations d’un certain nombre d’anciens membres des forces de sécurité algériennes. En juillet 2002, un ex-capitaine de l’Armée nationale populaire (ANP), le capitaine Ab-derrahmane Chouchane déclare, par exemple, devant un tribunal français que Djamel Zitouni était un agent du Département de recherche et de sécurité (DRS), l’ex-Sécurité militaire. Or, Zitouni, « émir suprême » du GIA, liquidé en 1996, est l’homme qui a toujours revendiqué l’enlèvement des moines.
Manipulation
De la même façon, en septembre dernier, l’ancien colonel du DRS Mohamed Samraoui affirme dans un livre que le GIA est largement contrôlé par les « services » et que Zitouni a été placé à sa tête par les chefs du DRS.
Enfin, surtout, en décembre 2002, un autre transfuge du DRS, AbdelkaderTigha, ancien adjudant du Centre territorial de recherche et d’investigation de Blida (dont dépendent Médéa et Tibéhirine), réfugié en Thaïlande, déclare dans Libération que l’enlèvement des moines a été commandité par ses services. Comme dans toutes les guerres civiles, les services algériens ont « infiltré » et « manipulé » des mouvements terroristes, explique-t-il. Mais, à Blida, la manipulation des GIA a « mal tourné ». Les moines ont été tués avant leur « récupération » planifiée par le DRS.
« En 1996, il est crucial pour Alger de discréditer les islamistes, poursuit Tigha. Notamment aux yeux des Chrétiens. » En décembre 1995, la communauté catholique de Sant Egidio a réussi à réunir les principales composantes de l’opposition algérienne, Front Islamique du Salut compris. » Pour la première fois, une issue politique à la guerre civile est possible. Mais Alger rejette la «plate-forme de Rome».
Dans l’interview exclusive que nous publions aujourd’hui, Abdelkader Tigha, en rétention aux Pays-Bas, revient sur l’exécution des moines de Tibéhirine et se dit « prêt à collaborer avec la justice française».
L.B.