Cafouillages franco-français dans l’affaire des moines de Tibhirine

Charles Pasqua accuse Juppé d’avoir fait capoter leur libération

Cafouillages franco-français dans l’affaire des moines de Tibhirine

par M. S., Le Quotidien d’Oran, 29 août 2009

Alors que M. Marc Trévidic, le juge d’instruction en charge de l’affaire des moines de Tibhirine, a officiellement saisi trois ministères français d’une demande de levée du secret-défense, l’ancien ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, dans une interview mise en ligne sur le site d’Omega TV, évoque les cafouillages franco-français dans la gestion de l’affaire.

Sous des dehors bonhomme, de celui qui fait mine de ne «raconter que ce qu’il sait», l’ancien ministre de l’Intérieur accuse pratiquement l’ancien Premier ministre, Alain Juppé, d’avoir fait échouer une tentative sérieuse d’obtenir la libération des 7 moines de Tibhirine. Charles Pasqua, qui n’était plus ministre de l’Intérieur au moment de l’affaire des moines, raconte qu’il avait été contacté par Jean-Charles Marchiani, préfet du Var et ancien des services secrets français, qui lui a affirmé disposer des contacts nécessaires pour mener des négociations avec les preneurs d’otages islamistes et que ces derniers étaient prêt à discuter d’une éventuelle libération des religieux. Il rappelle qu’à la même période les «terroristes avaient fait passer un message à l’ambassade de France qui allait un peu dans le même sens». Charles Pasqua dit en avoir parlé au président français Jacques Chirac qui a donné son feu vert. Marchiani qui, à l’époque, n’était plus dans les services secrets a «pris les contacts nécessaires d’une part avec les services algériens et aussi, me semble-t-il, avec les preneurs d’otages». Les choses «semblaient se développer normalement», indique l’ancien ministre de l’Intérieur jusqu’à l’intrusion d’Alain Juppé. Celui-ci, «énervé d’apprendre que Jean-Charles Marchiani» a fait une déclaration publique qui a complètement fait capoter l’entreprise.

Règlements de comptes

Charles Pasqua explique que Jacques Chirac n’a pas informé Alain Juppé car, la règle dans ce genre d’opérations est de ne pas en dire au-delà de ce qui est nécessaire. Selon lui, Juppé a dû poser la question sur le rôle de Marchiani à Alger à Jacques Chirac, qui a dû répondre de manière évasive qu’il n’en savait rien. Cette réponse de Jacques Chirac aurait poussé Alain Juppé à en parler de manière publique. «Il a fait une déclaration en disant, je ne comprends pas ce que fait Marchiani, le préfet du Var, en Algérie, et qu’en tout état de cause, il n’est chargé d’aucune mission par le gouvernement, la suite on la connait… Je veux dire que les preneurs d’otages ont considéré qu’ils avaient été menés en bateau ou bafoués par le gouvernement français… Est-ce que cela était suffisant pour qu’ils assassinent les moines, je n’en sais rien…». La formule de prudence utilisée par Charles Pasqua n’enlève rien au fait qu’il incrimine bel et bien l’ancien Premier ministre d’avoir, pour des raisons d’amour propre, fait perdre une opportunité de sauver les moines. Les propos de Charles Pasqua confortent la thèse d’un conflit de prérogatives entre les services français dans la gestion de l’affaire. Charles Pasqua règle en tout cas ses comptes en accusant implicitement Alain Juppé d’avoir eu une part de responsabilité dans la mort des moines de Tibhirine. Ces propos devraient, en tout cas, intéresser le juge d’instruction en charge de l’affaire qui a demandé aux ministères français de la Défense, des Affaires étrangères et de l’Intérieur de lui remettre les documents classés secrets sur l’affaire. La levée du secret-défense devrait permettre au juge d’instruction d’accéder notamment aux notes et rapports que le général François Buchwalter affirme avoir transmis au gouvernement français à l’époque des faits et dans lequel il évoquait la thèse d’une «bavure de l’armée algérienne». Le magistrat demande aussi à accéder aux rapports rédigés éventuellement par le général Philippe Rondot, qui a enquêté en Algérie sur l’affaire pour le compte de la DST. Le juge chercherait à savoir si le fait que l’enquête judiciaire n’ait été ouverte qu’en 2004 est dû à des «pressions politiques». Pour l’instant, ce qui transparait de l’affaire prend l’allure d’un règlement de comptes entre acteurs français.