Affaire du général Hassan: Le procès qui scandalise

Affaire du général Hassan

Le procès qui scandalise

El Watan, 29 novembre 2015

Indéniablement, le procès du général Hassan au tribunal militaire d’Oran restera dans les annales de la justice algérienne.

Me Aït Larbi l’assimile à celui qui a conduit à la condamnation du colonel Chaâbani, il y a 51 ans à Oran. Le général Nezzar va plus loin et qualifie la décision du tribunal militaire de «criminelle».

L’arrestation de cet ancien responsable de la lutte antiterroriste comme un grand criminel, sa condamnation à la peine maximale sans bénéfice des circonstances atténuantes, balayant d’un trait sa carrière de 51 ans d’actes de bravoure et d’abnégation pour la sauvegarde de la patrie, qui a fait de lui le gradé le plus décoré de l’armée algérienne, sentent le règlement de comptes et donnent au verdict un caractère de châtiment exemplaire aux éventuels contestataires.

Deux chefs d’inculpation — «infraction aux consignes» et «destruction de document» — ont suffi pour détruire une compétence dont le pays a grandement besoin pour faire face aux nombreuses menaces terroristes qui pèsent lourdement à nos frontières.

Arrêté par une escouade de gendarmes qui avaient encerclé son domicile dans la nuit du 27 août 2015, le général Hassan a été transféré à Blida en exécution d’un mandat d’arrêt, qui était sous la main du juge depuis des mois, durant lesquels le général a fait plusieurs voyages à l’étranger pour se soigner sans être inquiété à la frontière.

Déféré devant le juge, la constitution de l’avocat qu’il a choisi, bâtonnier de son état, a été rejetée par le président du tribunal, qui n’a notifié sa décision que des semaines après sans aucune explication. Encore une autre violation du principe du droit à la défense.

Nombreuses violations de la procédure

D’autres avocats arrivent et soulèvent de nombreuses violations de la procédure. La plus importante est celle d’entendre comme témoins d’anciens subordonnés du général en leur faisant prêter serment. Une violation qui aurait pu conduire à l’annulation de la procédure, mais cela n’a pas été le cas.

Quelques jours après le mouvement très controversé dans les rangs de la justice militaire, notamment des procureurs (d’Oran, de Béchar, de Constantine de Blida, pour ne citer que ceux-là), le général Hassan est déféré devant le tribunal militaire d’Oran pour y être jugé. L’audience s’est déroulée à huis clos à la demande du procureur.

Après une délibération de quelques minutes, le président, M. Boukhari, et ses deux assesseurs, des généraux des forces aériennes et terrestres, décident de faire évacuer de la salle la famille du prévenu, alors que la presse était interdite d’accès y compris aux alentours du tribunal. La décision tombe tard dans nuit.

Comme l’a qualifié un des avocats du général Hassan, Me Bourayou, le verdict est un véritable châtiment : «A travers le monde, dans ce genre de procès, même si l’on considère que le général est coupable — bien que ce ne soit pas le cas — la raison d’Etat prend toujours le dessus pour déroger un peu à la loi. Or, cela n’a pas été le cas.»

La convocation du général Toufik refusée

«Le tribunal a infligé non seulement la peine maximale, mais ce qui est grave, il lui a refusé toutes circonstances atténuantes. La seule chose qu’il a entendue, c’est notre demande de refuser les déclarations sous serment des témoins qui, dans leur majorité, n’ont pas vraiment été à charge. Ils n’ont rien établi de manière formelle», ajoute Me Bourayou.

Le tribunal a fait appel à des témoins dont les déclarations sont subjectives, alors qu’il a refusé la demande de convocation du général Toufik introduite par Me Aït Larbi. «En joignant cette demande au fond, nous avions compris qu’il allait la rejeter», déclare Me Tayeb Ahmed Touphaly, encore sous le choc du verdict.

Il précise toutefois qu’il garde l’espoir de voir le procès revenir après le pourvoi en cassation que la défense compte introduire auprès de la Cour suprême.

Force est de constater que par sa décision, le tribunal militaire d’Oran n’a fait que confirmer que le général Hassan est bel et bien une victime collatérale de la guerre féroce ayant opposé le clan de la Présidence au patron du DRS, le général Toufik.

L’incarcération et la poursuite du général Hassan ont été décidées pour pousser le premier responsable du DRS à la sortie, une sorte de sanction contre le fait que son département ait enquêté sur les affaires de corruption au centre desquelles se trouvent les hommes les plus proches du Président, à l’image de Chakib Khelil, ex-ministre de l’Energie, mais aussi des membres de sa famille.

Même la lettre que le général Toufik a envoyée au Président, plaidant la cause du général Hassan qui agissait sous ses ordres et, de ce fait, en assume toutes les actions, n’a pas eu de réponse. La machine de la vengeance a eu raison de l’homme qui a grandement participé à sauver le pays du péril terroriste.

Salima Tlemçani


Déclaration de Maître Mokrane Aït Larbi

Du Colonel Chaâbani au Général Hassan : L’absence d’un procès équitable

El Watan, 29 novembre 2015

Le 3 septembre 1964, le colonel de l’ALN Mohamed Chaâbani a été condamné à mort par la cour martiale d’Oran et exécuté 2 heures après le verdict.

Le 26 novembre 2015, le tribunal militaire permanent d’Oran (quelle coïncidence !) condamne le général Hassan à la peine maximale. Le peuple algérien sait aujourd’hui pourquoi le colonel Mohamed Chaâbani a été exécuté.

Demain, il saura pourquoi le général Hassan a été condamné à huis clos. Sans évoquer les débats de l’affaire sur le fond, car le jugement est frappé d’un pourvoi en cassation, donc non définitif, je me fais le devoir de rappeler les violations des droits de la défense.
Ma position sur cette affaire — et toutes les affaires judiciaires — est publique et je n’ai jamais demandé à un journaliste de préserver mon anonymat. Je signe mes déclarations en ma qualité d’avocat.

Quand je veux faire de la politique, je ne me cache pas derrière ma profession, encore moins derrière un prévenu détenu et réduit au silence. Je fais de la politique comme un citoyen libre et responsable. Or, les déclarations politiques dans les affaires judiciaires avant le jugement peuvent certainement servir les intérêts d’un avocat, mais en aucun cas ceux d’un prévenu, bien au contraire. Enfin, l’avocat n’est pas l’attaché de presse de son client, ni un informateur des journalistes. A chacun de faire son métier loyalement, avec professionnalisme et dans le respect des règles de déontologie.

Les droits de la défense dans l’affaire du général Hassan sont violés, de son arrestation jusqu’au prononcé du jugement :

– arrêté chez lui à 21h30, il est resté sans l’assistance d’un avocat pendant plus d’un mois.
– Les ordonnances ne m’ont pas été notifiées pour exercer les voies de recours.
– Le procureur militaire n’a pas convoqué le général de corps d’armée Toufik. Et le tribunal n’a même pas statué sur ma demande de renvoi pour convoquer ce témoin capital.

– Les jugements du huis clos et de la condamnation n’ont pas été rendus en audience publique, en violation des principes élémentaires du code de justice militaire et du code de procédure pénale.

Quel que soit le risque à prendre, le devoir m’oblige à souligner que pour charger le général Hassan, la justice militaire a convoqué un grand trafiquant qui fait l’objet de plusieurs mandats d’arrêt et un officier mis en retraite par l’accusé pour des raisons que je ne veux pas évoquer, tout en refusant la convocation du général Toufik, chef hiérarchique du prévenu.

Je rappelle avec beaucoup de colère que les militants de la guerre de Libération, dont l’héroïne Djamila Bouhired, ont été jugés par le tribunal militaire colonial à l’audience publique avec des comptes-rendus dans la presse.

Quels sont les mérites du général Hassan, notamment en matière de Renseignement et de lutte antiterroriste ? Ce n’est pas à moi, qui l’ai rencontré pour la première fois au parloir des avocats de la prison militaire de Blida, de porter un jugement. Toutefois, je me réfère à la citation à l’Ordre de l’armée du général Aït Ouarabi Abdelkader par le chef d’état-major de l’ANP, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, du 17 juillet 2011 (ce document ne porte aucune mention prévue par le décret 84-387), dont voici quelques extraits : «Le chef d’état-major de l’Armée nationale populaire accorde une citation au général Aït Ourabi Abdelkader (…).

Vous avez pu, grâce à votre professionnalisme et l’engagement qui a de tout temps caractérisé votre travail et votre action dans le cadre de la lutte antiterroriste, faire échec à une machination terroriste ignoble, en l’occurrence le double attentat-suicide (…), épargnant ainsi de nombreuses vies humaines parmi les forces de l’ordre et les citoyens.

Ce comportement intelligent témoigne à la fois de votre expérience et de votre maîtrise du terrain et prouve, également, la bonne coordination établie entre vos services et les autres forces de l’ordre sur le terrain et votre coopération efficace avec elles, en communiquant des informations fiables de manière efficace, ce qui leur a permis de bien se disperser et réagir énergiquement pour éviter l’acte terroriste vilainement fomenté et faire échec au dessein des criminels qui tentent de semer la peur et l’anarchie au sein des citoyens jouissant de la quiétude et provoquer l’impact médiatique propagandiste. Tout en valorisant cet acte de bravoure qui mérite la citation, j’apprécie à leur juste valeur les efforts que vous ne cessez de consentir (…). L’institution militaire se vante de vous avoir (…).

Que cette citation soit considérée comme un témoignage de votre mérite.»
C’est ce général qui vient d’être condamné à 5 années de prison ferme par le tribunal militaire d’Oran. Il n’a même pas «bénéficié» d’un sursis pour lui permettre de se soigner dans un hôpital équipé et de suivre un traitement dans un environnement familial. En plus de son âge (68 ans), il est atteint de quatre maladies chroniques.

A chacun d’apprécier le sort qui est réservé au général Hassan, chef du Service de renseignement et de lutte antiterroriste.
Il y aura toujours des «spécialistes» de la justice militaire qui vont faire circuler à travers la presse des informations erronées tout en gardant l’anonymat. Je dis à ces «experts» : ou vous sortez de l’anonymat pour un débat serein et public, ou alors taisez-vous.