Abderrazak El Para devant la justice
Abderrazak El Para devant la justice
Révélations sur l’itinéraire d’un chef terroriste
El Watan, 25 juin 2011
Arrêté au mois de mars dernier, Abderrazak El Para, de son vrai nom Amari Saïfi, né en avril 1966 à Guelma, est actuellement en prison. Les révélations, qu’il aurait faites durant son audition, constituent une mine d’informations qui pourraient compléter les pièces manquantes du puzzle de ce personnage et son itinéraire terroriste, depuis qu’il était militant du parti dissous en 1990, à Guelma.
Soudeur de métier, il rejoint l’Armée nationale populaire en 1985 et signe un contrat de 4 ans au sein des forces spéciales. Après une formation de six mois, il obtient le grade de caporal et se fait muter à la 4e Région militaire, plus précisément à Laghouat. C’était vers 1988, et c’est là qu’il rencontre Hassan Hattab, alors qu’il passait son service militaire dans la même caserne. Les deux vont tisser des relations très étroites. Début 1991, Abderrazak est muté à la 1re Région militaire, exactement à la résidence (El Afia) du ministre de la Défense, Khaled Nezzar, où il occupe le poste de sentinelle. Quatre mois plus tard, son contrat avec l’armée prend fin. Il retrouve la vie civile. Il rejoint les rangs du parti dissous à Guelma. Deux ans après, il se retrouve sur la liste des personnes recherchées parce qu’il avait donné de l’argent à des terroristes. En 1994, il sera blessé à la jambe lors d’une tentative d’arrestation par les gendarmes. Il se déplace au quartier Benzerga, à l’est d’Alger, pour voir son ami Hassan Hattab, qui était déjà en activité dans les maquis du GIA.
El Hadja Yamina, la mère de Hassan, et son frère Amine, l’accueillent et lui organisent le contact. Un émissaire le dirige vers le maquis de Benzerga, le refuge de Hattab. Il y passe une longue période, durant laquelle il fait connaissance des Afghans algériens et assiste aux conflits internes apparus entre Djamel Zitouni, émir du GIA, et Halis, le chef de la zone II. Celui-ci est renvoyé à Jijel, et son poste confié à Hassan Hattab vers la fin 1995. Il prend part à des opérations criminelles dans la région de Bouira. En 1996, vu son «engagement» au sein du groupe, Djamel Zitouni le nomme conseiller militaire au sein de Katiba El Khedra (phalange verte), une sorte de garde prétorienne, il est chargé de la collecte des fonds au profit des différentes katibate. Après l’élimination de Zitouni par ses pairs, Antar Zouabri est autoproclamé émir sans le consensus des chefs de zone. C’est alors que l’émir de la zone II, Hassan Hattab, se retire et s’attire les foudres de son nouveau chef.
D’autres chefs annoncent leur dissidence avec Zouabri et tiennent une réunion pour créer le GSPC, vers la fin de 1998 dans les monts de Taghda, avec comme émir Abou Mossab Abdelwadoud, de son vrai nom Abdelmadjid Dichou. Abderrazak El Para rallie au GSPC les zones 5 et 4, ainsi que celle du Sud, dirigée alors par Belmokhtar.
L’été 1999, Dichou écarte Abou Ibrahim (Nabil Sahraoui) de son poste d’émir de la zone 5. Mais entre-temps, Dichou meurt dans une embuscade tendue par les forces de sécurité, et sa décision reste lettre morte, notamment après la désignation de Hassan Hattab à la tête du GSPC. Un poste qu’il avait assuré (par intérim) en 1998, juste avant la désignation de Dichou. En 2000, il nomme El Para à la tête de la katiba de Djebel Labiodh qui domine les monts de Ouastili, à l’est du pays.
L’émissaire yéménite de Ben Laden qui voulait rallier le GSPC à Al Qaîda
En 2000, il rencontre un Afghan yéménite en compagnie de Belmokhtar. L’invité a pour mission de rallier le GSPC à Al Qaîda de Ben Laden et de créer le Front du Sahel. L’idée l’emballe, mais il lui faut des moyens. En 2001, lors d’une embuscade qui a fait 12 morts parmi les militaires, et la destruction d’un hélicoptère, il est blessé et encerclé durant trois jours. Il réussit à s’échapper pour rejoindre son fief, Djebel Labiod à Tébessa.
Durant cette période, Abou Zeid est l’un de ses plus proches compagnons. D’opération en opération, il fait des dizaines de morts parmi les militaires, les douaniers et les gardes communaux. Après les attentats du 11 septembre 2001, l’idée de rallier Al Qaîda fait son chemin au sein de l’organisation. Hassan Hattab est très réticent. Il est acculé par Nabil Sahraoui, Abderrazak El Para et Mokhtar Belmokhtar.
Au début de 2002, Abderrazak arrive au nord du Mali, où il est pris en charge par Hassan Alam (abattu), un terroriste du GIA, installé dans la région du Sahara, qui connaît parfaitement le terrain où il a tissé des relations avec les chefs de tribus, aussi bien Touareg que Brébiches (arabes).
Il rencontre un notable, Baba Ould Sid Echeikh, qui lui propose un lot d’armement pour un prix de 20 millions de francs CFA. D’autres notables du Niger et de la Mauritanie lui ont fait des offres pour un lot de fusils AK pour 13 millions CFA, et des missiles air-sol (SAM) pour 5 millions la pièce.
En août 2002, il revient à Djebel Labiod, à Tébessa, doté d’importantes cargaisons d’armes. Il entre en conflit avec Belmokhtar, qui était de passage à Batna. En janvier 2003, Abderrazak, à la tête de la phalange de Taghda, composée de quelque 150 terroristes, organise l’assaut contre un convoi de parachutistes, à Batna, faisant 36 morts. Il récupère 34 kalachnikovs, un fusil mitrailleur, et laisse pour morts six de ses éléments. Belmokhtar, alors émir de la zone du Sahara, entre en colère contre lui. Il lui reproche de ne pas partager les armes d’une manière équitable.
Les Allemands ont payé 5 millions d’euros pour libérer les otages
Accompagné d’Abou Zeid et d’une vingtaine de terroristes, il se dirige vers le Tassili. L’endroit où il a toujours rêvé d’instaurer un émirat. Sur son chemin, il rencontre plusieurs groupes de touristes étrangers en bivouac entre Djanet et Tamarasset. C’était fin décembre 2002. Hassan Hattab est mis devant le fait accompli. Il est contre l’opération. El Para n’en a cure. Il enlève les touristes et les fait prisonniers dans deux endroits différents, l’un à Tamanrasset et l’autre à Djanet. Il contacte par téléphone le P/APC d’Illizi pour lui faire part de son acte. Le groupe d’otages détenus à Tamanrasset (14 personnes) est libéré, en juillet 2003, par les forces de sécurité. L’autre groupe (17 personnes), est dirigé par Abderrazak vers le nord du Mali. Baba Ould Sidi Echeikh et Ayad Ag Ghali, le capitaine des services maliens Lamana (tué il y a deux ans dans sa maison par des terroristes) et Bahanga offrent leurs services pour servir de négociateurs.
Au début des pourparlers, Abderrazak réclame 25 millions d’euros, mais à la fin accepte la somme de 5 millions d’euros. Une petite partie est partagée entre les négociateurs, et les otages sont libérés en août 2003. La même date où Hassan Hattab est évincé de son poste, pour être remplacé par Nabil Sahraoui. Il est maintenu en détention (jusqu’en 2007). Entre-temps, El Para, avec l’aide de Abou Zeid, étend ses activités en Mauritanie où ses déplacements commencent à être retardés à cause de la présence renforcée des troupes militaires maliennes du fait de la préparation du Rallye Paris-Dakar. Il contacte le défunt capitaine Lamana et lui demande d’intervenir pour éviter la présence des troupes sur son passage en contrepartie de l’argent. L’officier encaisse, mais le dispositif reste en place.
El Para diffuse alors un communiqué dans lequel il menace de passer à des actions terroristes. La décision d’annuler cette course est prise à Paris. Nabil Sahraoui est abattu par les forces de sécurité en juin 2004. Abdelmadjid Droudkel le remplace et, quelques semaines plus tard, El Para envoie la première cargaison d’armes achetée avec la rançon versée par les Allemands. Le convoi est repéré et pilonné par l’ANP. L’autre partie est restée au nord du Mali, où Abderrazak réussit à acheter le ralliement de nombreux Maliens, Nigériens et Mauritaniens à ses rangs. Ses déplacements entre ces pays deviennent courants.
Salima Tlemçani
Au Tchad, il était l’invité d’honneur et non le prisonnier
Avec une colonne de plusieurs dizaines d’hommes, il décide d’aller au Tchad, il arrive au Tibesti, là où se trouve le fief de l’opposition armée.
Il est reçu comme invité avec ses 47 éléments, avant d’être installé, avec armes et bagages, par le président du MDJT (Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad), Hassan Abdellah Mardigué en personne, à une quarantaine de kilomètres des lieux. Les discussions entre les deux hommes concernent le projet d’installation d’une base arrière pour l’achat et l’acheminement des armes du Soudan.
Le chef du MDJT lui propose des Stinger, ces missiles redoutables qui étaient chez les talibans et que les Américains recherchaient. Mais un avion US de type Jaguar survole la région.
La position de Abderrazak est détectée. Quelques jours plus tard, des hommes de Hassan le désarment, lui mettent des menottes et procèdent à son arrestation. Il apprend plus tard, de la bouche d’un officier rebelle, que Hassan négociait avec les Américains son extradition. L’officier l’aide à fuir en l’hébergeant chez lui durant 15 jours. Durant cette période, il veut à tout prix revenir au Mali. Il reçoit des notables qui lui font des offres de service. Parmi ces derniers, Brahim Bahanga, leader de la rébellion malienne, qui lui promet de rejoindre Kidal après une halte à Agadez au Niger. Entre-temps, l’officier tchadien arrive à réconcilier le chef des rebelles avec Abderrazak, qui revient à son campement. La contrepartie, c’est de laisser venir une équipe de télévision française le filmer, les mains menottées. L’objectif est de faire la propagande au profit du mouvement. L’interprète, qui a joué le rôle d’intermédiaire, est un agent des services libyens infiltré dans les rangs de la rébellion.
Après le passage de l’équipe de télévision, ce dernier lui promet de l’aider à rejoindre le Mali avec tous ses accompagnateurs. Une dizaine seulement resteront au Tchad. Les autres prennent le départ avec l’espion libyen qui les mène droit vers son pays, où les services les prennent en charge dès leur arrivée. Abderrazak est pris à part. Trois officiers supérieurs des renseignements lui proposent de prendre la direction du MDJT. Il refuse. Il passe d’une caserne à une autre jusqu’à ce qu’il soit remis à l’Algérie. C’était le 27 octobre 2005.Depuis, aucune nouvelle sur son sort n’a été donnée.
Salima Tlemçani
La libération du sénateur Bediar a coûté 30 millions de dinars
La première prise d’otage a été celle qui a ciblé le sénateur Mohamed Bediar, en 2003 sur la route reliant Tébessa à la Tunisie.
Le sénateur était accompagné de deux autres personnes. Abderrezak décide de libérer ces deux dernières, d’enlever le sénateur et de réclamer une rançon de 3 milliards (30 millions de dinars) de centimes à sa famille, dont deux milliards en devises.
Un certain Hadj Mesbah lui ramène le montant exigé, auquel manquait la somme de 20 000 DA, payée quelques jours plus tard.
Après 26 jours, l’otage est libéré. En fait, l’idée de dresser des faux barrages pour «racketter» les gens et d’enlever des personnalités pour les rançonner a été retenue après cette opération. Le but, amasser le plus d’argent et aller au Mali pour acheter des armes et des véhicules tout-terrain.
Salima Tlemçani
Hattab a participé aux assassinats de Matoub et de Merbah
Fin juin 1998, Abderrazak est toujours dans la région de Sidi Ali Bounab. Il est formel.
L’assassinat du chanteur Matoub Lounès est l’œuvre de Hassan Hattab. C’est lui qui l’a organisé et participé à son exécution, et ce, en application de la fetwa émise par Abou Mossaâb Dichou. Celle-ci condamnait à mort Matoub pour les propos qu’il tenait au sujet des terroristes. Il a revendiqué l’attentat, mais la réaction de la population lui a fait peur au point d’être allé voir la mère de Matoub, pour lui dire que le GSPC n’avait rien à voir avec le crime.
C’est ce qui l’a poussé à rendre public un autre communiqué, qui a suscité la colère au sein de son organisation. Hassan Hattab a pris également part à l’embuscade ayant visé Kasdi Merbah, en août 1993, le tuant sur le coup, avec son fils Hakim âgé de 25 ans, son chauffeur, Hachemi Aït Mekidèche, son frère, Abdelaziz Khalef, et son garde du corps, Abdelaziz Nasri. Il était aux côtés de Hakim, Toufik et Zoheir. Deux groupes se sont chargés de cette opération. Le premier a loué une villa mitoyenne de celle du défunt Kasdi Merbah pour guetter ses mouvements ; puis, dès que son véhicule est arrivé, le signal a été donné aux exécuteurs pour le cribler de balles.
Salima Tlemçani