Code de la famille: Compréhension et tolérance

CODE DE LA FAMILLE

Compréhension et tolérance

Ali Yahia Abdennour, El Watan, 25 septembre 2004

La réforme du code de la famille, déjà très timide, rencontre une résistance farouche, qui la fait vider de son sens et fait reculer le pouvoir. Ce dernier a un choix à faire, ouvrir la porte de la réforme ou la fermer, mais pas les deux ensemble et en même temps. Les amendements proposés sont insuffisants et dégagent une impression de légèreté et de futilité.

Ils ont toute l’âpreté des fruits verts qui sont condamnés à ne pas mûrir. Les critiques vont de la réserve polie à l’artillerie lourde. La famille est le lieu de composition des liens de la conjugalité, de la filiation et de la parenté, indispensables à la construction de la société. Face à la crise qui perdure, à l’insécurité, au chômage et à la pauvreté, la famille apparaît comme une valeur refuge, le ciment de la société. La société traditionnelle est conçue autour du religieux communautaire. Le poids de la tradition a transformé le débat sur le statut de la femme en querelles, en polémiques et en affrontements. Pour parler de leurs adversaires politiques, les Algériens utilisent les mots de la politique, plutôt que ceux de la morale ou de la religion. La société traditionnelle mérite sûrement des critiques, mais elle a des aspects positifs. Lorsqu’on s’attaque à elle, les gens la défendent parce qu’ils ont peur de perdre ce qu’ils ont et de ne pas trouver mieux, car il y a des paramètres de la société moderne qu’ils ne maîtrisent pas. La société agraire traditionnelle est non seulement riche de courtoisies qui naissent de la proximité entre les êtres et des conventions sociales assez strictes, mais elle abrite l’hospitalité, le sens de l’honneur et de l’héroïsme. S’il faut demeurer fidèles à nos valeurs et à nos racines, nous devons aussi épouser notre temps, celui du XXIe siècle. On a souvent vu la société refaire la loi, mais on n’a jamais vu la loi refaire la société. La tradition ne doit pas être transformée en idéologie, où l’avenir puise sa nourriture. Le XXIe siècle sera celui de la tradition et de la modernité. Il y a des manières d’abroder le code de la famille, de face ou à reculons. Il réclame dans son approche science et conscience, modestie et prudence, compréhension et tolérance. Trouver les faiblesses du code de la famille, les mettre à découvert, les analyser et s’instruire auprès d’elles, voilà ce que doit faire aussi l’homme politique, que le théoricien politique. Il faut comprendre et suivre le débat qui a lieu au sein du pouvoir, de ses alliés et ralliés, mais il ne faut rien espérer de positif, car il donne raison non pas à ceux qui présentent les meilleurs arguments, mais à ceux qui crient le plus fort. Faut-il faire un triste état des lieux de la condition féminine qui cumule tous les facteurs négatifs. Ce que les sociologues appellent la complémentarité inégalitaire des sexes, réserve aux femmes la sphère domestique et aux hommes la sphère sociale, celle de la politique. La femme est associée à la nature, l’homme à la culture et à la loi qu’il incarne. La différence biologique entre les sexes a été exploitée pour justifier les inégalités sociales entre les hommes et les femmes. Le fondement de l’inégalité est culturel. La femme n’est pas la moitié de l’homme mais un être entier. Ses performances intellectuelles sont égales à celles de l’homme. La matière grise n’a pas de sexe. La femme n’est ni supérieure ni inférieure à l’homme mais son égale, qui sait le soutenir et le réconforter. La célèbre formule de Jean-Jacques Rousseau dans Emile est toujours d’actualité : «En tout ce qui ne tient pas au sexe, la femme est homme.» La qualité de la femme n’est pas seulement la féminité, mais son intelligence, son bon sens proche des réalités. Elle est porteuse de renouveau à sa manière, en douceur. Un proverbe tchèque dit : «L’homme est la tête du foyer, la femme en est le cou.» Le cou oriente la tête dans la direction qu’il lui a assignée. La femme a le rare privilège de pouvoir écouter sans entendre. Dieu lui a fait ce don pour lui permettre de supporter un homme toute sa vie. Le temps est fini où c’est la famille qui marie, et où on se marie avec la famille. Si une Algérienne aime à partager son lit et sa vie avec un homme, si elle veut donner un père à ses enfants, elle doit le faire en toute liberté. La polygamie est en régression. Aucune statistique n’a été réalisée pour évaluer le nombre de cas de polygamie. L’autorisation de la première épouse devant le juge est requise, dans le but de contrôler l’exercice de la polygamie, qui n’est, faut-il rappeler, ni un droit ni une obligation, mais seulement une autorisation. La polygamie et la répudiation sont, selon le code de la famille, le privilège de l’homme. Pour une infime minorité d’hommes, la femme qui se rapproche de la ménopause n’est plus désirable. Il cherche à créer avec elle une association amicale librement consentie, autour des enfants. Pourtant, une femme de 50 ans demeure à la fois le charme et le luxe de l’existence. Le polygame demande à ses épouses d’être fidèles, des ménagères de qualité qui ne peuvent extérioriser leur personnalité que dans la confection des plats cuisinés et des pâtisseries. La femme algérienne ne peut accepter un avenir qui prolongerait le passé. Le problème de la femme est devenu une question majeure de la société et du débat politique. Feu Abdelmadjid Meziane, président du Haut Conseil islamique, a préconisé au cours d’un colloque la révision du code de la famille dans l’ensemble et dans le détail. Ses positions sur le statut de la femme, l’abrogation de la polygamie, le droit de la femme au divorce et le choix de son tuteur lors de son mariage ont été critiqués et rejetés par les membres du Conseil islamique. L’égalité devant la loi en matière de mariage, de divorce, de partage équitable du patrimoine commun en cas de divorce, le droit de la femme au logement quand elle a la garde des enfants, la substitution de l’autorité paternelle sont de droit. Le lien à l’enfant demeure le symbole, le monopole maternel. Il n’y a rien de mieux pour une mère, que «ce bien-être monotone où l’on regarde les enfants grandir». Les femmes sont en marge de la vie publique, alors qu’elles ne cherchent ni monopole ni position dominante, mais seulement leur place, toute leur place. Pour les partisans du statu quo, la femme a ses droits et sa place dans la société, sans autre alternative que celle du respect des principes islamiques. Quand elle n’a pas son indépendance économique, la femme est dépendante de l’homme à toutes les étapes de sa vie, en qualité de fille, d’épouse, de sœur et de mère. Il faut élargir dans cette société masculine l’espace de liberté de la femme. Il est vrai que la femme comme l’homme participent à la domination masculine. Le nombre de foyers dont la responsabilité incombe à la femme augmente de manière constante. La société connaît de nombreux drames dus à de mauvaises relations conjugales. Dans un pays où battre sa femme ne constitue par un délit mais une preuve de visibilité et de caractère, un lien de sujétion et de subordination, la violence généralisée que vit une grande proportion de femmes à l’intérieur du foyer est assimilable à la torture et doit être sanctionnée comme telle par la justice qui agit dans ce domaine avec un grand laxisme. Il est difficile pour une femme de se marier quand elle a dépassé la trentaine, elle s’affole, baisse ses prétentions et épouse le premier venu. Le nombre de vieilles filles est très élevé du fait que les hommes de moins de trente ans ne peuvent pas se marier dans leur majorité, compte tenu de leur situation sociale. La moyenne d’âge actuellement pour le mariage est de 31 ans pour les garçons et de 29 ans pour les filles. La solution n’est pas dans la polygamie mais dans la lutte contre le chômage et dans la construction de logements sociaux. La revendication de demain pour l’Algérienne, qui n’accepte pas le mariage forcé et ne se résigne pas à subir la polygamie ou la répudiation, ne sera pas la parité mais la mixité. Chaque étape de la vie nationale doit être marquée par l’accès aux responsabilités et une plus grande participation féminine.

Par Me Ali Yahia Abdennour