Les surprises du nouveau code de la famille

Le mystère de l’article 11

Les surprises du nouveau code de la famille

Le Quotidien d’Oran, 7 mars 2005

Le communiqué du Conseil des ministres annonçant les modifications dans le code de la famille ne disait pas tout. Les islamistes ont peut-être crié victoire trop vite et ceux qui se désolaient du recul du Président pourraient nuancer leurs propos en lisant les dispositions de la nouvelle ordonnance présidentielle.

Le maintien du wali était un contre-pied, la manière dont est rédigé le texte en est un autre.

Le nouvel article 11 dispose que la «femme majeure conclut son contrat de mariage en présence de son «wali» qui est son père ou un proche parent ou toute autre personne de son choix». La rédaction est léonine et risque, à défaut d’une directive de la chancellerie, d’entraîner des lectures différentes. Certains juristes pourraient en effet voir dans l’énumération des walis contenus dans l’article un ordre de préséance: le père l’emportant sur le frère et celui-ci sur toute «autre personne». Dans ce cas, on serait dans le cas de figure d’une femme majeure sans parents mâles.

Ces juristes qui feraient une lecture qui serait dans la continuation de ce qui a prévalu jusqu’ici, pourraient faire valoir que si le législateur laissait toute latitude à la femme majeure de choisir son «wali», il n’aurait pas éprouvé le besoin de citer le père ou le proche parent. Il aurait tout simplement indiqué que la femme majeure conclut son contrat de mariage en «présence du wali qui est toute personne de son choix».

Le fait d’avoir expressément mentionné dans l’article 11 le père et un proche parent introduit une hiérarchie dans l’ordre de représentation et limiterait le recours à «toute autre personne» à la situation particulière d’une femme sans parents mâles. Ce serait une lecture conservatrice, conforme à la pratique dominante qui veut que la conclusion d’un mariage soit une affaire de familles. Mais un juriste plus libéral pourrait choisir de faire une lecture textuelle.

L’article 11 n’introduit pas une hiérarchie et la femme majeure même si elle a un père ou un frère peut choisir une autre personne pour assumer le rôle de wali.

Ce juriste libéral ferait valoir que l’article 11 ne dispose pas que la femme majeure a recours à toute personne de son choix à défaut d’un père ou d’un proche parent. Il introduit une égalité totale: la femme majeure peut faire de son père «ou» de toute «autre personne» le wali qui sera «présent» lors de la conclusion du contrat de mariage. Dans cette lecture, la femme majeure n’a plus un «wali» naturel ou religieusement préétabli, elle acquiert le pouvoir de le désigner.

Dans le code de 1984 les choses sont clairement désignées: le wali est soit le père, soit le frère, soit un proche parent ou, à défaut, le juge. Seul l’Etat, incarnation de la communauté, avait le pouvoir de se substituer à la famille.

D’ailleurs cette disposition est reconduite dans le cas du mariage du mineur: le wali est soit le père ou l’un des proches parents et à défaut ce sera le juge.

Pour la femme majeure, la désignation de ceux qui sont habilités à être des «walis» n’est plus limitative. A telle enseigne que le juge – qui exerce ce rôle par défaut dans le code 1984 – n’est plus cité comme un wali possible.

Dans cette lecture, le wali est officiellement maintenu mais la latitude laissée à la femme majeure de le choisir le réduit à une représentation de pure forme. Mais ce qui semblera le plus grave aux yeux des conservateurs et des religieux est que cet article 11 permet à une femme majeure de pouvoir contracter un mariage en dehors de toute présence familiale. A défaut d’annuler le wali, on rend toute personne mâle choisie par la femme majeure apte à le devenir. Les religieux, les islamistes et les conservateurs y verront sans le moindre doute une atteinte directe aux liens familiaux et une manière déguisée de supprimer le «wali». Quand tout le monde peut devenir le wali, celui-ci perd de son sens. On n’est pas dans une dissolution juridique formelle du wali mais dans une dilution qui tout en maintenant une présence d’un mâle permet à la femme qui le souhaite de contourner les liens familiaux. Une possibilité juridique qui intéressera une minorité de femmes, la majorité d’entre elles continuant à considérer que le mariage est non seulement un contrat entre deux personnes mais aussi une alliance entre familles.

Ce sera la pratique des juges ou les directives de la chancellerie qui décideront en définitive du sens de cet article 11. Les députés islamistes tout comme les députés du FLN qui étaient hostiles à la suppression du wali sont totalement coincés: une ordonnance ne se discute pas, elle est soit adoptée, soit rejetée. On peut pronostiquer qu’ils voteront le texte et quand dans le meilleur des cas certains d’entre eux choisiront l’abstention. Les commentaires satisfaits de certains responsables islamistes au lendemain de la publication du communiqué du Conseil des ministres étaient hâtifs. Ils ont oublié le vieux proverbe allemand qui dit que «le diable se niche dans les détails». Il restera à écouter les imams du vendredi qui pourraient ne pas se priver de commenter l’ordonnance du Président et ce diable d’article 11.

M.Saâdoune