Les amendements du code de la famille sont trop timides

Mme Oussedik Fatma, sociologue, au Jeune Indépendant

Les amendements du code de la famille sont trop timides

par Nassima Oulbessir, Le Jeune Indépendant, 8 mars 2006

Mme Oussedik Fatma, sociologue et chercheur au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD), livre dans l’entretien qu’elle nous a accordé l’origine de l’avènement des différentes associations de femmes nées après l’ouverture démocratique en 1989.

Le Jeune Indépendant : Comment évaluez-vous le travail du mouvement associatif féminin depuis l’indépendance à ce jour ? Mme Oussedik Fatma : En tant que femme, au lendemain de l’indépendance, nous avons bénéficié d’une situation fabuleuse.

Le code de la famille, faut-il le préciser, n’est arrivé qu’en 1984. Et de 1962 jusqu’à cette date, les femmes ont vécu, sans scandale ni situation tragique, comme on est en train de le vivre aujourd’hui. Au contraire, durant cette période, nous avons vécu une égalité des droits.

Nous avions des droits civils et une vie religieuse très saine. Nous n’avons pas été plus «kofar», pas plus qu’aujourd’hui. Ensuite, il y a eu les années où des changements d’ordre économique et social sont intervenus. Des situations sociales nouvelles sont apparues et des alliances nouvelles ont également été enregistrées au niveau de la gestion de notre pays.

Il faut dire que sur les rapports entre les femmes et les hommes, constituant ce qu’on appelle les alliances d’une société, la majorité des femmes qui activaient dans les espaces publics (travail ou université) étaient issues de la petite bourgeoisie.

Nous, sociologues, nous appelons cela l’époque de la technocratie. C’est à cette époque-là que les femmes commençaient à accéder massivement aux universités. Cette catégorie de femmes, dont je fais partie, était convaincue qu’elle faisait partie d’une Algérie nouvelle.

A ce moment-là, des forces rétrogrades sont apparues, effrayées par cette sortie des femmes dans l’espace public. Pour les conservateurs, il était plus que nécessaire de contrôler ces femmes qui ont vite compris que l’Etat ne les protégeait pas.

Cette force a donc choisi la possibilité de faire d’autres lectures des textes religieux. C’est ainsi que sont venues les lois qui ont donné tous les pouvoirs aux hommes ! Une situation à l’origine de plusieurs problèmes sociaux. Pour faire face à ces alliances, nous avons enregistré la prise de conscience des femmes en dehors de l’Union nationale des femmes algérienne (UNFA) des années 1980 qui était une union de triste mémoire.

Elle n’a ni mobilisé les femmes ni défendu leurs intérêts. Les associations de femmes sont nées donc de cette incapacité de représentativité de leurs préoccupations dans la société. Et l’une des premières associations est celle des femmes enseignantes sous le parti unique.

C’est-à-dire que la naissance était terriblement difficile. Ce n’est qu’après que la loi sur les associations a vu le jour que le mouvement associatif a pu s’épanouir. Qu’ont accompli ces associations ? Le moins que l’on puisse dire à propos de ces associations c’est qu’il y a à boire et à manger.

Il y a de la manipulation, mais il existe des associations qui sont vraiment présentes sur le terrain jusqu’à aujourd’hui. Les femmes d’aujourd’hui ont vraiment changé la donne. Regardez la réalité : elles sont des stratèges ! Elles ont compris que l’école, par exemple, est le moyen de rester dans l’espace public.

C’est une révolution silencieuse. Elles rentrent de plus en plus dans le milieu du travail. En tant que sociologue, je dois dire qu’aujourd’hui, la distinction entre homme et femme n’existe plus sur le terrain des études ou du monde du travail.

Si vous voulez qu’on résume cela, je dis que les sociétés sont inégalitaires et les textes de loi ne peuvent être qu’inégalitaires. Les textes doivent enregistrer les réalités de la société. De toute façon, les associations les plus efficaces sont celles qui regardent vers la société et qui œuvrent sur le terrain, et non celles qui sont dans les positions de simple représentation.

Elles sont des institutions sous couvert d’associations. Peut-on parler alors de manipulation ? C’est exactement ce que j’ai remarqué au début de l’entretien. Tout cela reste un gain pour les femmes ; nous avons tellement été présentes que chaque parti politique veut son groupe de femmes, et ce, pour négocier sa place lors des élections, en disant que nous aussi nous privilégions les femmes dans nos formations.

Nous avons des femmes ministres qui ont été formées par le mouvement associatif et c’est à elles de poser cette question. Je dois également préciser qu’il ne faut pas confondre entre manipulation et engagement politique. Nous enregistrons, par contre, quelques difficultés avec le communautarisme.

Le mouvement des femmes est un mouvement par définition qui s’oppose au communautarisme. Toutes les règles de ce système jouent contre les femmes en les excluant de la vie sociale et politique. Donc les partis communautaires sont un danger pour les femmes et ces dernières ne s’en rendent pas assez compte.

Par ailleurs, la manipulation des partis politiques s’arrête toujours là où commencent les intérêts des femmes. Je dois également vous dire qu’il y a des associations de femmes qui ne sont pas affiliées à des partis politiques mais qu’elles sont, tout de même, manipulées.

Mais le mouvement associatif dans son ensemble, comme catégorie politique nouvelle en Algérie, est un progrès. Quelles sont les acquis arrachés par le mouvement féminin ? Si les associations donnent une image moderne de l’Algérie, les institutions jouent le jeu.

C’est le côté associatif qui plait ; elles ressemblent à des fiches publicitaires d’un pays. Les institutions veulent, à travers ces associations, expliquer au monde entier que nous aussi nous avons des femmes qui travaillent, des femmes cadres… c’est l’image de l’Algérie qu’on veut vendre sur le marché international.

Sur le plan intérieur, on se pose la question sur nos victoires. La victoire est ressentie à travers nos filles. Même s’il s’agit d’une situation dramatique de ne pas les voir présentes dans ce mouvement, elles se battent à leur façon : journalistes, enseignantes… Nous avons même réussi à briser le mur espace privé – espace public.

Ce mouvement vise l’émancipation de la femme ; on n’est pas loin du féminisme… Je crois qu’on veut faire peur aux Algériens en disant que ces femmes combattantes sont féministes, et ce, pour réduire leur combat. Ceux qui ne cessent d’évoquer ce concept visent seulement l’embrouillement des Algériens.

Le féminisme, pour ceux qui n’arrêtent pas de le critiquer, signifie que les femmes veulent s’identifier aux Occidentales. Par définition, le féminisme est la lutte menée «par» la femme «pour» la femme. Nous sommes des féministes algériennes avec tout ce que cela impose comme tradition historique.

Nous posons des problèmes à notre manière, sans exclure les hommes de nos visions. Y a-t-il d’autres combats à mener après l’amendement du code de la famille ? Il n’y a pas d’autres combats ; il s’agit toujours du même : celui d’avoir plus de droits.

Dans ce code, il y a d’autres droits à arracher. Car, il faut dire que ce qui a été fait dans ce texte est terriblement timide. Et malheureusement, nous enregistrerons encore des malaises dans les alliances de la société. N. O.