Amendements du code de la famille
Amendements du code de la famille
La confusion s’installe
El Watan, 24 février 2005
Le maintien de la tutelle matrimoniale pour la femme majeure afin de contracter mariage dans l’avant-projet d’ordonnance adopté en Conseil des ministres a provoqué une grande déception auprès du mouvement des femmes.
Elles sont unanimes à dire que son maintien constitue « une véritable régression en matière des droits des femmes ». « C’est une reculade scandaleuse du président de la République. Cela veut dire qu’on dénie à la femme la possibilité d’exercer son droit le plus élémentaire. » Est-ce que nous méritons moins ce droit que les Tunisiennes et les Marocaines ? », s’interroge Soumia Salhi, présidente de la commission des femmes travailleuses (UGTA), en signalant que « la présence du wali (tuteur) signifie que la femme est toujours inférieure à l’homme et (qu)’elle est incapable de conclure, seule, son mariage ». Dans le même ordre d’idée, la présidente de l’association SOS-Femmes en détresse, Meriem Ballala, se dit choquée par cette nouvelle disposition qui vient renforcer la discrimination dont souffre la femme algérienne depuis une vingtaine d’années. « On avait pensé que les amendements adoptés par le gouvernement étaient une avancée à travers la suppression de la tutelle, mais hélas tout a été remis en cause. Cela touche réellement à la dignité des femmes. C’est une réforme obsolète », dira-t-elle. Elle ne s’empêchera pas aussi de relever que la polygamie, qui est soumise à l’appréciation du juge, « est aléatoire et ne met pas à l’abri les femmes. C’est en fait un grand recul ». La juriste Nadia Aït Zai, qui s’est exprimé dans notre édition d’hier, tient à préciser que sa déclaration concernant la tutelle a été faite « sur la base de l’amendement adopté par le gouvernement ». Quant à cette nouvelle mesure, la juriste s’interroge sur la nature du maintien du tuteur. Elle a cherché également à savoir si la présence de celui-ci est simplement symbolique ou s’il lui est donné la possibilité par la loi d’apposer sa signature pour valider le contrat de mariage. Pour Mme Aït Zai, il est clair que la femme peut conclure son contrat de mariage contrairement à ce qui était contenu dans l’article du code de la famille de 1984. Elle considère qu’il y a des « petites avancées », mais que ce point, qui a été remis en cause, « peut signifier une concession faite aux islamistes ». « Il s’agit d’un compromis avec les islamistes, encore une fois, sur le dos des femmes. Mais nous attendons toujours la nouvelle mouture pour mieux interpréter les choses », indique-t-elle. Pour la présidente de l’association AITDF, Ouardia Harhard, ces amendements ne constituent « nullement » une avancée. « Le maintien de la tutelle nous renseigne sur la volonté du Pouvoir algérien de faire des concessions aux islamistes. Nous, nous continuons à dire que seule l’abrogation du code de la famille et son remplacement par une loi civile et égalitaire constitueront une véritable avancée pour la femme algérienne. Cela fait huit mois que les femmes algériennes sont leurrées et embarquées dans des promesses jamais tenues », a-t-elle fait remarquer. Pour Ourida Chouaki, présidente de l’association Tharwa n’Fadhma n’Soumeur, l’article en question amendé et adopté par le gouvernement était l’une des rares propositions qui présentait vraiment une avancée : « Cette nouvelle disposition montre bien qu’il y a un recul du président de la République par rapport à ses engagements concernant les droits des femmes. On est loin de l’égalité entre l’homme et la femme, comme cela est consacré par la Constitution algérienne, par l’exposé des motifs des amendements et des lois internationales en matière de lutte contre les discrimination. » Pour la psychologue, Houria Djaballah, l’adoption de cette disposition est encore « une violence à l’égard de la femme et de la famille. C’est un demi-droit consacré à la femme ». D’après elle, il y a des maux sociaux réels qu’il faut régler pour avoir une famille équilibrée. « Mais ce n’est pas en déniant le droit à un des fondateurs de cette famille qu’on peut résoudre tous ces problèmes. On attendait un peu plus que ce qui a été proposé et nous avons eu beaucoup moins »,regrette-t-elle. Akila Ouared, présidente de l’association ADPDF et ancienne moudjahida, n’y est pas allée avec le dos de la cuillère. « La lutte continue pour l’abrogation du code de la famille. Nous continuons à exiger une loi civile et égalitaire. Le maintien de la tutelle n’est en fait qu’une concession faite aux islamistes. Ainsi, la femme est toujours considérée mineure ou frappée d’incapacité mentale. C’est encore une discrimination », déplore-t-elle.
Djamila Kourta
Projet d’ordonnance portant code de la famille
Les appréhensions des femmes
Le président Bouteflika a adopté, lors du dernier Conseil des ministres tenu mardi dernier, un avant-projet d’ordonnance modifiant et complétant la loi n°84-11 du 9 juin 1984 portant code de la famille.
Au plan de la forme, tous les projets d’amendement proposés par la commission nationale de révision du code de la famille et adoptés en août 2004 par le Conseil de gouvernement ont été retenus à l’exception de la proposition relative à la suppression de la tutelle matrimoniale pour la femme majeure. L’avant-projet d’ordonnance énonce, à cet effet, « le maintien du tuteur pour le mariage de la femme, y compris majeure, en précisant que celle-ci conclut son contrat de mariage en présence de son tuteur ». Ce constat pourrait renseigner sur le fait toutefois que dans le fond rien d’important n’a changé. Ambigu, l’avant-projet d’ordonnance passé au crible en Conseil des ministres ne précise pas, à ce propos, le « poids » juridique du tuteur à l’aune de la réforme du code de la famille. En clair, il n’est pas dit si le tuteur légal d’une prétendante au mariage peut exercer un « droit de veto », comme cela a été le cas par le passé. Des lectures pessimistes donnent parfois même l’illusion que le texte de loi examiné par Bouteflika et son gouvernement aggrave, en certains points, la discrimination qui s’est jusque-là manifestée à l’égard des femmes. Le maintien du fossé n’aurait évidemment pas de sens dans la mesure où la réforme est supposée apporter un plus. C’est du moins ce qu’il y a lieu d’espérer. Mais en attendant, des questions restent sans réponse. Pour beaucoup, le caractère confus de la reformulation de l’article « revu et corrigé » reconduit le déni de droit contenu dans l’ancien article (11) du code de la famille qui stipule : « La conclusion du mariage pour la femme incombe à son tuteur matrimonial qui est soit son père, soit l’un de ses proches parents. Le juge est le tuteur matrimonial de la personne qui n’en a pas. » Le maintien de cet article est à la source des craintes exprimées par les associations féminines. Cela d’autant qu’il devait être supprimé. C’étaient là, du moins, l’avis et la décision de la commission de révision du code de la famille. En remplacement, cette structure avait proposé un amendement octroyant à « la femme majeure la pleine capacité pour contracter mariage ou déléguer ce droit à son père ou à l’un de ses proches ». Cela a amené, d’ailleurs, les associations de femmes et des militantes à applaudir ces amendements et à les qualifier de grande « avancée ». Pour elles, la suppression de la tutelle matrimoniale pour la femme majeure constituait un élément capital dans l’évolution du droit de la famille. « C’est ainsi que l’avant-projet de loi adopté par le gouvernement s’est inspiré de la solution la plus libérale qui est donnée par le rite hanafite en la matière et qui considère le mariage de la femme majeure sans tuteur comme conforme à la loi coranique. En plus de cet argument tiré du rite hanafite, d’autres arguments d’ordre sociologique, juridique et économique militent pour la suppression du tuteur », est-il souligné dans un document comparatif avec les amendements du code de la famille marocain élaboré par des militantes des droits des femmes. Le maintien de la tutelle est, selon ces militantes, aberrant d’autant que la Constitution a consacré l’égalité des citoyens en droits et devoirs. Elles rappellent, en outre, que l’Algérie a ratifié toutes les conventions qui suppriment les formes discriminatoires à l’égard des femmes. Il est, par conséquent, regrettable, disent-elles, de maintenir cette disposition qui relègue la femme à un statut inférieur.
Kourta Djamila
Les juristes divisés
L’avant-projet d’ordonnance modifiant et complétant la loi n°84-11 du 9 juin portant code de la famille sera-t-il débattu à l’Assemblée populaire nationale (APN) ? Fera-t-il l’objet uniquement d’un vote, sans que les députés aient la possibilité de le « retoucher » ? La problématique ne semble pas encore tranchée.
Pour preuve, la question divise profondément les juristes. Ceux que nous avons pu joindre hier n’ont pas pu s’entendre, en tout cas, quant à la procédure à suivre pour faire adopter le texte. La formulation retenue par le Conseil des ministres pour qualifier l’ordonnance du chef de l’Etat – l’avant-projet d’ordonnance – et qui, semble-t-il, n’existe pas dans le jargon juridique algérien, serait à l’origine du tournis des juristes. La seule chose sur laquelle il y a consensus concerne le fait que le président de la République a toute latitude, dans certains cas prévus par la loi, de promulguer des ordonnances. Contacté par nos soins, M. Chihoub, juriste réputé pour ses connaissances en matière de droit constitutionnel, a souligné que le président de la République a le droit de légiférer par ordonnance entre deux sessions du Parlement et que l’Assemblée procédera uniquement au vote. « Lorsque l’on parle d’avant-projet d’ordonnance, cela sous-entend que le président a légiféré par ordonnance. Cela implique que les députés n’auront qu’un avis à émettre : voter pour ou contre. » D’autres juristes ont abondé dans le même sens. C’est le cas de Mme Nadia Aït Zai qui insistera aussi sur l’idée que « le président a les compétences pour promulguer une ordonnance entre les deux sessions ». En revanche, ce n’est pas l’avis de M. Fekair, membre de la commission juridique à l’APN. Ce député est d’accord sur le fait que le premier magistrat du pays a le droit de légiférer par une ordonnance législative entre les deux sessions du Parlement. Dans ce genre de situation, explique-t-il, le rôle des députes se borne à rejeter ou à accepter en bloc l’ordonnance proposée. Cela sans qu’ils puissent avoir la possibilité de la débattre. Celle-ci, selon lui, n’a valeur de loi qu’une fois approuvée et publiée dans le Journal officiel. Mais dans le cas du problème posé par l’avant-projet d’ordonnance adopté mardi en Conseil des ministres, M. Fekair estime que celui-ci empruntera le même parcours que celui suivi par les projets de loi. « L’amendement du code de la famille a suivi une procédure légale prévue par la constitution, qui est celle relative aux propositions de lois. L’avant-projet d’ordonnance sera inévitablement débattu à l’Assemblée », dira-t-il. Sur un ton tranché, le député affirme : « Cette loi fera l’objet de débat à l’Hémicycle. » La position de M. Fekair présente de l’intérêt en ce sens qu’elle émane d’une source officielle. Et ce statut pourrait permettre sans doute de trancher le débat sur les conditions dans lesquelles sera adopté le texte et de passer à une analyse de fond de l’avant-projet d’ordonnance.
Nabila Amir
Réaction des partis
MDS
« Le MDS réitère sa position sine qua non de l’abrogation du code de la famille et la mise en place des lois civiles égalitaires. » De l’avis de M. Teguia, chargé de communication du MDS, pour que les garanties des réformes aillent à leur terme, il faut procéder à la réforme de la Constitution, en particulier l’article 2 qui proclame l’Islam religion de l’Etat. A ses yeux, c’est au nom de cet article que les islamistes demandent que le code de la famille reste enfermé dans le cadre de la charia. Il faut aussi, a-t-il ajouté, changer la loi sur les partis. Car, selon M. Teguia, tant que l’islamisme, seul courant de résistance qui contrarie tout progrès, est au pouvoir, on ne peut aspirer à une avancée. C’est dans les appareils qu’il y a de la résistance, mais pas dans la société, selon Teguia. Au même titre que le code de la famille, pour M. Teguia le code de la nationalité est aussi enfermé dans le cadre étroit, c’est-à-dire entre l’article 2 de la Constitution et l’existence des partis islamistes. Les forces islamo-conservateurs sont là pour contrarier tout progrès, aux yeux du responsable du MDS.
PT
Le Parti des travailleurs considère qu’il n’y a aucun changement. Dès lors, le PT, selon Djelloul Djoudi, exige toujours l’égalité des citoyens. A ses yeux, dans le code de la famille établi en 1984, nul n’ignore ses conséquences. La femme a trop souffert, selon lui. « C’est pourquoi, ajoute-t-il, nous avons toujours demandé l’abrogation de ce code. »
Islah
« Dans le code présenté par la commission de la réforme du code de la famille, nous avons émis 25 réserves sur 36 articles que compte le code. Or, nous remarquons qu’il n’y a que l’article sur le tutorat qui a été pris en considération. Dès lors, ce code ne profite pas à la femme et à la société algériennes. Il compte plusieurs contradictions avec les coutumes et la charia. On n’est pas contre l’enrichissement de ce code, nous sommes pour des amendements allant dans le sens de la charia. Cela dit, nous militons toujours au sein des institutions de l’Etat afin d’introduire des amendements allant dans le sens du respect de la famille. »
Rabah Beldjenna