Djamel Beghal affirme qu’on l’a torturé pour provoquer ses aveux

Djamel Beghal affirme qu’on l’a torturé pour provoquer ses aveux

Le Monde, 10 janvier 2005

Soupçonné d’avoir préparé des attaques contre des intérêts américains en France à la demande d’Al-Qaida, Djamel Beghal comparaît avec cinq autres hommes devant le tribunal correctionnel de Paris depuis une semaine. Lundi 10 janvier, il a détaillé les tortures que lui auraient infligées des inspecteurs des Emirats arabes unis, à la suite desquelles il aurait avoué.

Djamel Beghal, le principal prévenu d’un procès d’islamistes soupçonnés d’avoir projeté un attentat contre des intérêts américains en France, a contesté lundi 10 janvier avoir pu avouer un tel projet et dénoncé « des tortures atroces » de la part d’enquêteurs des Emirats arabes unis.

M. Beghal, 39 ans, a, selon l’accusation, fait des aveux circonstanciés sur un projet d’attentat à la voiture-suicide qu’il avait eu pour mission de mettre au point contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris et sur les complices qui devaient y participer, citant nommément ceux qui sont aujourd’hui à ses côtés dans le box.

Djamel Beghal avait déjà contesté ces déclarations dès son retour en France et son interrogatoire par le juge d’instruction antiterroriste Jean-Louis Bruguière, le 1 er octobre 2001. Mais il avait seulement évoqué des pressions et n’avait pas détaillé les tortures qu’il a évoquées durant une demi-heure devant le tribunal correctionnel de Paris sans être interrompu.

« J’AI MÊME DEMANDÉ LA MORT, MAIS ÇA NE S’ARRÊTAIT PAS »

« Le scénario, c’est le leur ! Les déclarations, c’est les leurs ! » , a tonné le prévenu, parlant des enquêteurs qui l’ont interrogé après son arrestation à Dubaï, le 28 juillet 2001. « La méthode d’interrogatoire est la seule chose qui ne figure pas » sur le PV, a-t-il ajouté.

La défense de M. Beghal l’a rappelé plusieurs fois : ces aveux, ou « supposés tels » , avaient été faits devant des enquêteurs des Emirats arabes unis qui l’avaient arrêté le 28 juillet 2001. Il était alors en transit à Dubaï, entre l’Afghanistan, où il était en formation dans les camps d’Al-Qaida, et le Maroc.

Selon l’accusation, Djamel Beghal était sur le chemin d’un retour définitif en France en vue de cet attentat prévu pour « courant 2002 » .

Devant le tribunal correctionnel, M. Beghal a décrit avec précision les « tortures atroces » qui l’ont conduit « à répéter les réponses qu’on (les enquêteurs émiratis) m’imposait » .

Il a ainsi affirmé avoir reçu « des coups » sur les pieds, avoir eu « les doigts tordus » avec un outil « ressemblant à un décapsuleur » , les ongles partiellement arrachés, avoir ressenti les « douleurs les plus atroces jamais vécues » alors que des choses « comme des aiguilles à tricoter » lui étaient introduites « dans les parties les plus intimes » . « J’ai même demandé la mort, mais ça ne s’arrêtait pas » . A ses côtés dans le box des accusés, Kamel Daoudi a les yeux rougi, le visage tordu, comme s’il ressentait lui aussi les tortures.

Selon lui, ses tortionnaires lui répétaient que « tout ce (qu’il) avait subi n’était rien en comparaison avec ce (qu’il) allait vivre (s’il) n’acceptait pas le scénario proposé » .

« Quel choix j’ai à ce moment-là ? » , interroge le prévenu.

Le président du tribunal, Philippe Vandingenen, a alors souligné que lors de son premier interrogatoire par le juge Bruguière, il avait certes contesté certaines déclarations mais en avait confirmé d’autres, comme l’identité de musulmans rencontrés dans les camps d’Oussama Ben Laden. « On aurait compris que vous contestiez tout » , insiste le magistrat.

IL PARLE DES « PRESSIONS » DU JUGE BRUGUIÈRE

Djamel Beghal a alors expliqué avoir subi des pressions de la part du juge Bruguière, qui lui aurait fait comprendre qu’il savait « où est sa famille » et qu’il n’y aurait « pas de problème, si je maintenais mes aveux » .

Il a également affirmé que les « pressions » se sont poursuivies lors de son incarcération à la maison d’arrêt d’Osny (Val-d’Oise).

« Dans le dossier ne figure aucun élément qui corrobore » ces déclarations, a souligné M. Vandingenen, « y compris l’examen médical » réalisé dès l’extradition du prévenu.

Djamel Beghal, considéré comme le chef du réseau, comparaît avec cinq autres hommes devant le tribunal correctionnel de Paris jusqu’au 16 février pour « association de malfaiteurs à finalité terroriste » .

Ils sont soupçonnés d’avoir constitué un groupe terroriste en vue de s’attaquer, à la demande d’Al-Qaida, à des intérêts américains en France. Ils encourent dix ans de prison.

Avec AFP