Djamel Beghal livre un récit détaillé de « tortures » infligées à Dubaï pour lui arracher des aveux
Djamel Beghal livre un récit détaillé de « tortures » infligées à Dubaï pour lui arracher des aveux
Le Monde, 12 janvier 2005
Mis au jour en septembre 2001, le projet d’attentat suicide contre l’ambassade américaine à Paris n’était-il qu’un « scénario » élaboré de toutes pièces et sous la torture par les autorités des Emirats arabes unis ? La voix tendue par l’émotion, Djamel Beghal a livré, lundi 10 janvier, un récit très convaincant des sévices qu’il aurait subis aux Emirats et des pressions exercées contre lui, en France, pour lui faire avouer son appartenance au réseau terroriste d’Al-Qaida. « Cet attentat n’a jamais existé, ni dans mon imagination, ni dans la réalité » , s’est offusqué le prévenu, soupçonné d’être le chef d’une cellule islamiste radicale, et jugé depuis le 3 janvier avec cinq complices devant le tribunal correctionnel de Paris.
Signalé par la direction de la surveillance du territoire (DST) depuis 1997, Djamel Beghal a été arrêté à Dubaï le 28 juillet 2001. Depuis son extradition en France, il a toujours contesté ses premiers aveux aux policiers émiratis, sur lesquels repose, en l’absence de toute preuve matérielle, l’essentiel du fragile dossier de l’accusation. Selon le rapport établi par les autorités de Dubaï et corroboré par la DST, le fondamentaliste musulman aurait déclaré avoir appris dans un camp afghan le maniement des explosifs, la pose de bombes à retardement ou encore les techniques de la guérilla urbaine. « J’ai bien suivi une formation à Kaboul, mais celle-ci ne portait que sur le maniement de la Kalachnikov et du pistolet Makarov, rien d’autre, corrige le prévenu. Cela a duré une dizaine de jours. Dans le contexte afghan, c’était tout à fait normal, voir indispensable, pour défendre sa famille, vu les turbulences. »
A l’issue de cette « formation » , Abou Zoubeida, lieutenant d’Oussama ben Laden, lui aurait donné pour mission de constituer en France une cellule terroriste destinée à attaquer l’ambassade des Etats-Unis à Paris, à la fin de l’année 2001 ou dans le courant de l’année 2002. Il devait, pour cela, créer une société commerciale servant de couverture aux activités du groupe, ouvrir un cybercafé pour communiquer avec la cellule Internet d’Al-Qaida, louer une maison, acheter un véhicule et procéder aux repérages. Quand il a été arrêté, la DST le soupçonnait de vouloir se rendre au Maroc récupérer les 50 000 euros nécessaires à la réalisation de l’opération. « Par quel enchantement aurais-je délivré, avec autant de facilité et de précision, cette profusion d’attentats, de noms, de projets, et même de choses contradictoires ? , ironise Djamel Beghal. Tout ce scénario a été préparé de façon savante, en enchevêtrant des choses bien réelles dans le faux. »
DÉCAPSULEUR AUTOUR DU DOIGT
A l’audience, son propre récit ne manque pas de crédibilité. « Dès mon arrestation, ils m’ont dit que la police française me cherchait, se souvient-il. Je ne savais pas pourquoi, alors ils m’ont bandé les yeux et je n’ai plus revu la lumière. Au bout de quelques jours, ils m’ont proposé un scénario d’attentat, qui devait d’abord avoir lieu aux Emirats, puis au Maroc, finalement en France. A chaque fois que je refusais, ils me disaient que je finirais par ne plus distinguer le vrai du faux. Et la torture a commencé. » Dans la salle d’interrogatoire, trois médecins auraient alors été chargés de contrôler le bon déroulement des sévices.
La voix devient rageuse, la description méticuleuse. La privation de sommeil et de nourriture, les coups sur les pieds, le « décapsuleur » passé autour du doigt puis retourné vers l’arrière, les morceaux d’ongles arrachés petit à petit, les pieds saignants trempés dans l’alcool… « Je me fous complètement de ce qu’il adviendra de moi, s’interrompt le prévenu. Mais ces choses-là doivent être dites. » Ces choses-là, c’est aussi la chaise amovible sur laquelle il serait resté sanglé, nu, pendant qu’on lui enfilait « du matériel sophistiqué » dans l’anus et le pénis. « Voilà le contexte, voilà comment ça se passe, lâche-t-il devant un tribunal silencieux. On m’a obligé à répéter les mêmes réponses des centaines de fois, avec le nom de tel ou tel. Si je refusais, ils ramenaient le matériel. »
Lors de son arrivée en France, le 1 er octobre 2001, Djamel Beghal avait perdu 30 kg. Il ignorait encore tout des attentats du 11 septembre. Après dix-huit heures de vol, debout, les mains attachées au-dessus de la tête, il a été aussitôt conduit devant le juge d’instruction, Jean-Louis Bruguière, qui l’a entendu près de quatorze heures d’affilée. « Il m’a directement proposé un marché, dénonce le religieux. Il m’a dit que ma famille était en danger en Afghanistan, mais qu’elle avait été repérée. Les Américains, nos amis, pouvaient les extirper si je maintenais les déclarations faites aux Emirats. Sinon, tout irait mal pour les miens. »
Djamel Beghal a confirmé une partie des faits, mais il a toujours nié le projet d’attentat, dont le juge ne lui aurait d’ailleurs « plus parlé » après sa première comparution. « Il semblait lui-même convaincu que la chose n’avait jamais existé » , soupire le prévenu.
Alexandre Garcia
Voir aussi:
D. Beghal affirme qu’on l’a torturé pour provoquer ses aveux (LM, 10.01.05)
Djihad, Takfir, Oui-Oui : la curiosité éclectique de Djamel Daoudi au procès du réseau Beghal (LM, 07.01.05)
Accusé de terrorisme, D. Beghal se raconte en « musulman à fond » (Le Monde, 05.01.05)