Procès du projet d’attentat contre l’ambassade américaine
Procès du projet d’attentat contre l’ambassade américaine
«Ces questions, on dirait un tribunal de l’Inquisition!»
Djamel Beghal se dérobe quand le juge tente de définir son profil religieux.
Par Brigitte VITAL-DURAND, Libération, 04 janvier 2005
«Ce n’est pas un secret que Djamel Beghal est un pratiquant. Djamel Beghal est un religieux.» Il parle parfois de lui à la troisième personne, Djamel Beghal, né en Algérie dans la région de Sétif il y a quarante ans. «Je suis musulman. Je suis à fond musulman», répond-il quand le tribunal de Paris insiste pour savoir à quelle tendance de l’islam il appartient.
Ne serait-il pas salafiste ? Ou de la mouvance extrémiste Takfir wal Hijra (anathème et exil), comme le soupçonne l’accusation ? Le président de la 10e chambre correctionnelle, Philippe Vandingenen, cherche à savoir ce qui guide cet homme aux fines lunettes dorées, à la barbe soignée, aux yeux parfois perdus au loin. Il est accusé, avec cinq autres prévenus, d’avoir fomenté en 2001 un attentat-suicide contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris. Les six hommes sont jugés pour «association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme».
Arrêté aux Emirats arabes unis l’été 2001, Djamel Beghal avait avoué ce projet d’attentat où l’un des siens devait périr bardé d’explosifs avant d’être rendu à la France après le 11 septembre 2001. «Aveux extorqués sous la torture des policiers de Dubaï», redira-t-il hier. Djamel Beghal, comme ses coprévenus, clame son innocence. C’est, à le croire, un homme épris de liberté et aux aspirations élevées que le tribunal s’apprête à juger. Le président relève pourtant un lourd passé. Appartenance à la mouvance radicale islamiste de l’Essonne, où il habitait au début des années 90 ? Il répond de sa voix posée : «J’ai du mal à m’autoanalyser et à arriver au profil que vous venez de décrire.» Et ces gens qui faisaient passer des armes au maquis islamiste algérien, insiste le président citant quelques noms, les connaît-il ? «Selon moi, non.» Appartient-il au mouvement Takfir wal Hijra, qui juge impie la société des hommes ? «Je rejette cette taxation, s’indigne-t-il, c’est spécifique à notre magistrat instructeur», le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière.
Qui est-il alors ? «A quoi adhérez-vous ? Quels préceptes rejetez-vous ? Ce n’est pas compliqué de répondre», s’agace le magistrat devant tant de réfutations alambiquées. Mais si, c’est compliqué. Et «dangereux», en plus. «Ces questions sur mes convictions religieuses, répond Beghal, on dirait un tribunal de l’Inquisition !» Le président hausse le ton : «Quelle est votre spiritualité ?» «Etre musulman ne répond pas à votre question ?, ironise le prévenu. Je dirais que je suis en quête permanente de la connaissance religieuse.»
«Pressions». C’est donc un genre de docteur que le tribunal se résigne à questionner. Un salafiste ? tente une dernière fois le président. Réponse : «Il y a des définitions différentes du salafisme. Si vous m’en donnez une précise, je vous dirai si j’en fais partie.» «Ce n’est pas au tribunal à donner des définitions», soupire le magistrat passant aux questions concrètes. Pourquoi est-il venu en France ? Pour faire des études. Pourquoi a-t-il quitté la France ? «Les raisons sont multiples, je ne saurais en donner une prioritaire.» Il réfléchit : «Le fait de vivre ma religion en France me valait quelques pressions.» Pourquoi un premier parcours en Allemagne ? Encore un moment de réflexion. «Je voulais aller m’enquérir de mon ami Nabil Bounour, ici présent», dit-il en souriant à son voisin de box.
Chips. Un mois plus tard, il s’installe avec sa femme et ses deux enfants en Angleterre. «Qui vous a accueilli en Angleterre ?» reprend le président. Beghal hausse les épaules : «Vous savez comment ça se passe entre nous : c’est l’ami de l’ami de l’ami de l’ami.» C’est quand même une organisation de se déplacer avec femme et enfants, objecte le magistrat, infatigable. Il répond, patient : «Vous m’excuserez, monsieur le président, je raconte ce que j’ai vécu, je ne peux suivre le processus imaginatif qui est le vôtre.» Philippe Vandingenen bondit, indigné : «Le tribunal n’imagine jamais rien.» Et lui, poursuit, tout calme : «Je suis parti tout seul en tant qu’éclaireur. Je voulais d’abord trouver un boulot, ça s’est fait en deux temps.» Il a vendu des sandwichs et des chips en intérim pour faire vivre sa famille qui l’a rejoint. Son départ pour l’Afghanistan ? Les paroles sibyllines s’élèvent du box : «Les choses se sont imposées pratiquement par elles-mêmes.»
Et ses liens avec les autres prévenus ? «On peut parler de fraternité si ça vous fait plaisir. C’est un terme clair», lâche-t-il dans un grand sourire.
Le procès est prévu pour durer plusieurs semaines.