Djihad, Takfir, Oui-Oui : la curiosité éclectique de Djamel Daoudi au procès du réseau Beghal

Djihad, Takfir, Oui-Oui  : la curiosité éclectique de Djamel Daoudi au procès du réseau Beghal

Le Monde, 7 janvier 2005

Fondamentalistes musulmans, sans aucun doute. Terroristes, cela reste encore à prouver. Après trois journées d’audience, la 10 e chambre du tribunal correctionnel de Paris a pu mesurer, mercredi 5 janvier, l’ampleur du casse-tête à résoudre pour établir, sans preuve matérielle, la responsabilité de Djamel Beghal et de cinq complices dans un projet d’attentat-suicide contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris.

Les prévenus se sont jusqu’à présent tirés sans trop d’encombre des interrogatoires menés par le président, Philippe Vandingenen. Détendus, parfois souriants, ils n’ont pas davantage été inquiétés par le procureur Christophe Tessier, qui a gardé le silence pendant deux jours.

Présenté comme un pilier du groupe terroriste, Kamel Daoudi, 30 ans, affiche le plus grand naturel quand il évoque les raisons de sa présence en Afghanistan, quelques mois avant son arrestation en octobre 2001. « Je voulais sentir l’atmosphère, savoir ce que sont ces fameux talibans , a-t-il expliqué, mardi 5 janvier, au tribunal. Pour moi, l’Afghanistan, c’est une terre un peu mythique, où l’islam est au pouvoir. Je tenais à vérifier que la réalité sur le terrain était bien conforme à l’idée que je m’en faisais. »

Intelligent, cultivé, l’Algérien se définit comme un « autodidacte » , qui a multiplié les lectures sur l’islam et adopté une pratique religieuse « plus rigoureuse » à la suite « des événements tragiques en Algérie » . Il a bien incité sa femme hongroise, convertie à l’islam, à porter le voile, à cesser d’écouter de la musique ou de voir des amis. « Je ne l’ai pas obligée » , précise l’informaticien, qui a finalement divorcé.

Lors de son interpellation en Angleterre, les policiers ont retrouvé dans le disque dur de son ordinateur une série d’écrits radicaux, sur le djihad (guerre sainte) ou le mouvement salafiste Takfir, qui prône le retour aux sources de l’islam et la rupture avec une société jugée impie. « Monsieur le Président, ce n’est pas parce qu’on lit Le Capital qu’on est marxiste ou membre d’Action directe, s’offusque le prévenu. S’il m’est arrivé de consulter des documents sur Internet, c’était pour enrichir ma connaissance de la religion et de ses diverses tendances historiques ou géostratégiques. Je suis quelqu’un de très curieux. Il m’est même arrivé de lire Oui-Oui. »

Takfir, djihad, Oui-Oui ? Comme il l’avait fait la veille avec Djamel Beghal, le président veut savoir quels sont les préceptes de l’islam auxquels Kamel Daoudi adhère, et ceux qu’il rejette. Sur la guerre sainte, son « questionnement profond » s’inscrit dans l’histoire : le prévenu remonte à la chute de l’Empire ottoman, « quand l’homme malade a été découpé en morceaux par la puissance coloniale » . Le magistrat s’impatiente, réclame « des réponses précises » de Kamel Daoudi. Son avocat, M e Frédéric Bellanger, intervient : « Qui se dérobe à ce débat ? Est-ce le tribunal ou mon client ? » Le président suspend l’audience. Fin du round d’observation.

A la reprise, quelques minutes plus tard, une clarification s’impose. « Le procès n’est pas le lieu d’un débat idéologique et de cours religieux, mais d’un débat juridique » , rappelle Philippe Vandingenen, qui clôt l’ « incident » en assurant que les prévenus seraient « jugés non pas sur leurs idées mais sur les faits » . Daoudi reprend la parole : « Le mot djihadiste a énormément de significations. Je ne me reconnais pas dans son acception occidentale de terroriste. Moi, j’ai fait un parcours spirituel, mais on ne peut pas dire que je me sentais mobilisable pour un combat. »

Dans les camps militaires afghans, à la frontière pakistanaise, Kamel Daoudi comme Djamel Beghal assurent d’ailleurs n’avoir jamais eu affaire à ces cadres d’Al-Qaida qui assuraient la formation des volontaires étrangers, comme Abou Zoubeida, lieutenant d’Oussama Ben Laden. « Je n’en ai jamais entendu parler » , assure le premier. « Je ne l’ai jamais, jamais rencontré » , jure le second.

Pourtant, au début de l’enquête, alors qu’il était interrogé en septembre 2001 par des policiers de Dubaï qui venaient de l’arrêter, Djamel Beghal avait indiqué que c’était Abou Zoubeida qui lui avait donné pour mission de constituer un groupe capable de commettre, courant 2002, un attentat-suicide contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris. Extradé en France, il était revenu sur ses déclarations, qui, assure-t-il, lui avaient été extorquées sous la torture. « Vous voulez savoir si son nom a effleuré mes oreilles ? , soupire le chef présumé du groupe. Je dirai oui. Il était connu pour être celui qui aidait les orphelins et les veuves des combattants. »

Alexandre Garcia