Accusé de terrorisme, Djamel Beghal se raconte en « musulman à fond »
Accusé de terrorisme, Djamel Beghal se raconte en « musulman à fond »
Le Monde, 5 janvier 2004
L’ambassade des Etats-Unis à Paris aurait été visée.
Les acteurs changent, mais le scénario semble immuable. A de rares exceptions près, les procès des islamistes radicaux soupçonnés d’appartenir à une organisation terroriste se résument à de longues joutes verbales, dans lesquelles les prévenus, généralement barbus, opposent avec un talent variable leur innocence aux éléments d’un dossier d’accusation souvent fragile.
Le procès de Djamel Beghal, qui s’est ouvert lundi 3 janvier devant la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris, n’échappe pas à la règle. Pendant deux heures, ce Franco-Algérien de 39 ans, chef présumé d’une cellule aux ramifications européennes soupçonnée d’avoir préparé un attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris, a clamé sa foi en esquivant toutes les questions gênantes.
Le fondamentaliste, qui comparaît avec cinq coprévenus, a ainsi donné au tribunal un premier aperçu des difficultés qui l’attendent, jusqu’au 16 février, pour percer à jour le fonctionnement et les objectifs d’un réseau qui aurait été dirigé par Al-Qaida. « Vous vous imaginez les choses, s’emporte d’emblée le prévenu. Moi, je les raconte telles que je les ai vécues, en passant outre certains détails qui peuvent perturber le processus imaginatif qui est le vôtre. »
Vêtu d’un survêtement sobre, la barbe fournie, Djamel Beghal aime parler de lui à la troisième personne. « Ce n’est pas un secret de dire que Beghal Djamel est un religieux », concède-t-il d’une voix affable au président Philippe Vandingenen, qui l’interroge sur sa personnalité. Benjamin d’une fratrie de dix enfants, cet étudiant en informatique de gestion a quitté l’Algérie au milieu des années 1980, pour poursuivre son cursus en région parisienne. Il s’est marié en 1990, puis a enchaîné les petits boulots avant de s’expatrier à nouveau, huit ans plus tard, sous la « pression sociale » qui l’empêchait de vivre sa religion « de façon complète, en respectant les préceptes islamiques ».
Après un mois passé en Allemagne, il s’est finalement installé en Angleterre, avant de gagner l’Afghanistan des talibans, en juillet 2000. « C’est le pays islamique où j’ai trouvé le plus de réponses et de possibilités à ce moment-là », précise-t-il sans plus de détails.
Djamel Beghal sera arrêté en juillet 2001 à l’aéroport de Dubaï (Emirats arabes unis), alors qu’il rentrait en France, après plusieurs mois d’entraînement religieux et militaire en Afghanistan et au Pakistan. C’est là que le projet d’attentat lui aurait été ordonné, au printemps 2001, par l’un des lieutenants d’Oussama ben Laden, Abou Zoubeida.
Lors de ses interrogatoires à Dubaï, le prévenu avait livré un récit circonstancié de son itinéraire et de ses projets terroristes. Il avait désigné l’ancien footballeur professionnel tunisien, Nizar Trabelsi, comme un « élément martyr » qui devait « se faire exploser dans l’ambassade américaine » à Paris, lui-même ayant été chargé des repérages autour du bâtiment. Extradé en France, il était revenu sur ses déclarations, évoquant à l’audience les « tortures » subies à Dubaï.
« TRIBUNAL D’INQUISITION »
La religion, Djamel Beghal explique l’avoir découverte à l’adolescence, « sans être sérieux dans la chose. » « Je ne faisais pratiquement pas mes prières, sauf celles de vendredi pour me réconcilier avec le Tout Puissant », se souvient-il. En 1997, il s’était toutefois signalé par « son engagement important » dans un mouvement radical islamique de l’Essonne, lui rappelle le président. « Je ne saurais vous répondre, s’excuse le prévenu.J’ai du mal à m’auto-analyser pour arriver aux mêmes conclusions que la direction de la sûreté du territoire. »
Le magistrat s’impatiente : n’a-t-il pas adhéré, à la mosquée de Leicester en Angleterre, au djihadisme international, cet appel au combat prôné par Abou el-Walid ? « Je vous prierai de me donner une définition du djihadisme international, parce que je n’en connais pas le sens, s’offusque le prévenu. Un exégète peut délivrer des fatwas allant des ablutions aux affaires politico-militaires. Certaines ne sont pas les miennes. D’autres restent discutables au nom de l’islam. » De quelle tendance, de quels préceptes se réclame-t-il donc ? « On dirait un tribunal d’inquisition », soupire le prévenu, sous les exclamations des magistrats.
Avec le même aplomb, le religieux conteste toute adhésion à l’idéologie du Takfir, qui prône le retour aux préceptes originels de l’islam, un « gros titre spécifique » que lui aurait collé au dos le magistrat instructeur. « Je suis musulman à fond », résume-t-il avec le sourire.
Alexandre Garcia