Les avocats de la famille de Ali Tounsi dénoncent : « Nous faisons face à une justice des puissants »

Les avocats de la famille de Ali Tounsi dénoncent : « Nous faisons face à une justice des puissants »

El Watan, 6 juillet 2010

Après la réaction des avocats de l’auteur présumé de l’assassinat de Ali Tounsi, ancien directeur général de la Sûreté nationale, c’est au tour de la défense de la famille de ce dernier de dénoncer ce qu’elle qualifie de « justice des puissants ».

Une réaction qui fait suite au refus du juge de convoquer l’ex-ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, son secrétaire général et des cadres de la Sûreté nationale pour les entendre sur le dossier. Dans une déclaration faite à la presse hier, maîtres Khaled Bourayou et Fatima-Zohra Chenaif, constitués pour défendre les intérêts de la famille du défunt se sont insurgés contre le refus du juge de convoquer certaines personnes jugées « importantes » pour l’éclatement de la vérité. « Pour lever le voile sur la vérité, nous avons estimé importante l’audition de certains cadres de la DGSN, comme le directeur de la police judiciaire ou encore celui des renseignements généraux, ainsi que le secrétaire général du ministère de l’Intérieur en tant que tutelle de la Sûreté nationale.

Nous avons essuyé un rejet de la part du juge d’instruction, sous prétexte que la demande était sans objet et la décision a été confirmée par la chambre d’accusation. Nous avons alors introduit une seconde demande, cette fois-ci concernant l’audition de l’ex-ministre de l’Intérieur Yazid Zerhouni, nous avons eu la même réponse. Or, Zerhouni a fait des déclarations importantes », souligne maître Khaled Bourayou. Et de préciser : « Quatre heures après le crime, le communiqué du ministère faisait état d’un assassinat commis par Chouaïb Oultache, sans témoin, à la suite d’une crise de démence, précisant aussi que l’auteur présumé a par la suite tenté de se suicider. Sur quelle expertise psychiatrique le ministre avait-il basé son affirmation ? La seconde déclaration est intervenue le 2 mars, soit une semaine après le crime.

Là encore, le ministre a fait une déclaration sur le mobile de l’assassinat, en expliquant qu’il s’agit d’un problème personnel entre la victime et Oultache sur l’état de santé de l’auteur présumé, en le présentant comme en état de démence, mais aussi sur le mobile de cet acte en affirmant, le 2 mars (une semaine après le crime), qu’il s’agissait d’un problème personnel entre la victime et son tueur présumé », indique encore l’avocat. Ceci et de noter : « Nous aurions aimé que le ministre nous donne plus de détails sur ces problèmes, afin que nous puissions connaître la vérité. Là encore, le juge d’instruction a rejeté notre demande, alors que le ministre lui-même avait exprimé sa volonté de répondre à la justice si elle venait à le convoquer pour l’entendre sur le sujet. Pourquoi alors ce rejet ? Et pourquoi ce zèle de la justice ? Des journalistes ont été convoqués et entendus juste parce qu’ils ont écrit des articles sur le sujet. Alors pourquoi ne pas entendre un ministre et des cadres de la Sûreté nationale ? Nous sommes devant une justice des puissants », s’offusque Me Bourayou. Il regrette qu’à chaque fois qu’un ministre est demandé pour aider à l’éclatement de la vérité, la justice oppose son refus. « Si le défunt était vivant, la procédure aurait pris une autre tournure. Mais il est devenu un cadavre. Il n’a plus son pouvoir, alors tout est fait pour bâcler le dossier », déclare Me Chenaif.

« La justice n’est là que pour préserver l’ordre établi et non pas la vérité »

Interrogé sur la version de la défense de Oultache, qui réfute l’existence d’un mobile, Me Bourayou, tout en insistant sur le refus de toute polémique, pose la question suivante : « Peut-on tuer quelqu’un juste parce qu’il a refusé de reporter une réunion ? » Et de poursuivre : « Nous pensons qu’il est de notre intérêt à tous de chercher le pourquoi de ce crime. » Pour lui, il y a une transaction (ndlr : marché de l’équipement informatique) à l’origine de l’enquête interne déclenchée par le défunt au niveau du département de Oultache, qui ne ressort pas dans l’instruction. « Nous n’avons rien au sujet de cette enquête et, à ce jour, aucun membre de la commission chargée de cette mission n’a été entendu. Pourquoi ne veut-on pas aller loin dans cette affaire ? », dit-il. Il refuse de « penser que le juge ait pu subir des pressions ou qu’il ait tout simplement eu peur », préférant plutôt noter que le code de procédure pénale lui confère tous les pouvoirs de recourir à tous les moyens afin d’aboutir à la vérité. Les deux avocats de la partie civile insistent sur le contexte dans lequel l’assassinat a eu lieu. « Il y avait un conflit latent entre le défunt et le ministre de l’Intérieur. Nous ne disons pas qu’il y a un complot, mais nous avons droit de nous poser des questions sur tout ce qui a précédé l’acte et pourquoi ce dernier a été commis », déclarent-ils. Me Bourayou va plus loin en affirmant avoir constaté « une volonté délibérée de fermer le dossier rapidement » et il se demande « si le juge a utilisé toutes les voies que lui confère le code de procédure pénale ».

Il ajoute : « A ce jour, nous ne savons pas si la transaction est l’une des causes de ce crime et si vraiment elle a un lien avec lui. » A propos de la reconstitution des faits du 26 juin dernier, Me Bourayou relève de nombreuses insuffisances « du fait que le juge n’avait pas transcrit sur procès-verbal une partie importante des déclarations de Oultache » et dont certaines ont fait l’objet d’une plainte de ses avocats. « Nous n’avons pas eu de vraies investigations sur le timing, par exemple, qui nous permet de reconstituer, minute par minute, les faits de cette journée, combien de temps est resté Oultache au bureau du défunt, à quelle heure a-t-il tiré ou encore pourquoi le coupe-papier était tordu ? Nous regrettons que dès le début de cette affaire, la justice soit restée muette. Elle a été totalement écartée puisque la seule déclaration du ministre de la Justice est tombée bien après celle du ministre de l’Intérieur pour dire que Oultache était bien soigné à l’hôpital. » La défense ne semble pas convaincue par la thèse de l’existence d’un deuxième auteur du crime, tel que supposé par les avocats de Oultache. Me Chenaif, explique à ce titre, que « les preuves techniques ne mentent pas. La police scientifique a très bien ficelé le dossier en recourant aux analyses de l’ADN, de la balistique, etc. Les preuves disent qu’il y a eu deux balles tirées dans la tête et qui ont provoqué la mort de la victime. L’une a traversé la joue, le palais, le larynx et s’est logée dans le thorax, et l’autre est rentrée par l’oreille et sortie de la tête.

L’expertise balistique a démontré clairement que ce sont les deux balles tirées de l’arme de l’auteur présumé ». Me Bourayou rappelle le contenu de l’expertise psychiatrique, élaborée par trois psychiatres, à savoir deux chefs de service, de Annaba et d’Oran, et un troisième, un privé de Bouira, qui fait état des déclarations de Oultache, selon lesquelles il dit « avoir tiré avec son arme tout en étant conscient de son acte. Nous n’accusons personne. C’est au tribunal d’accuser, mais nous sommes pour la recherche de la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ». En fait, la défense de la partie civile précise qu’elle refuse de tomber dans ce jeu de déclarations et de contre-déclarations, préférant se consacrer à ce qu’elle juge plus important. « Il est très malheureux que la justice puisse rater l’occasion de se crédibiliser en étant absente à chaque grand procès. Nous voulons faire éclater la vérité. Nous ne voulons pas être les complices. Nous ne sommes pas face à un dossier banal. C’est une affaire d’Etat. Il y a trop de zones d’ombre imposées par ceux qui veulent que le dossier aboutisse à un assassinat sans cause et sans mobile. »

Sur la question de savoir si le fait que l’enquête préliminaire soit confiée à la police, les avocats relèvent qu’il s’agit « d’un moindre mal ». Le juge, expliquent-ils, a les pouvoirs de tout refaire et de ne pas prendre en compte, ce qu’il pourrait juger comme étant suspicieux. « Mais tout ce manque de transparence, cette frilosité, ces refus du magistrat instructeur d’entendre des personnes-clés dans le dossier ne peuvent que confirmer le sentiment de doute. Il est malheureux de constater que la justice n’est là que pour préserver un ordre établi et non pas pour rechercher la vérité. »

Par Salima Tlemçani

 


Me KHALED BOURAYOU, AVOCAT DE LA PARTIE CIVILE, RÉVÈLE

Affaire Tounsi : l’audition de Zerhouni rejetée

Par : NEÏLA B., Liberté, 6 juillet 2010

Le juge d’instruction, chargé du dossier de l’affaire de l’assassinat de Ali Tounsi, avait rejeté la demande de la défense de la partie civile concernant l’audition de l’ex-ministre de l’Intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni.

Le magistrat avait justifié cette décision par le fait que “Zerhouni n’a aucun lien avec l’affaire”. C’est ce qu’a révélé hier Me Bourayou Khaled, l’avocat de la partie civile (la famille Tounsi), lors d’une conférence de presse à Alger. Et d’ajouter : “Zerhouni se serait présenté s’il avait été convoqué”.
“J’en suis persuadé”, dira l’avocat, arguant du fait que l’ex-ministre de l’Intérieur avait déclaré officiellement “qu’il était disponible pour témoigner”.
“Mais on est devant une justice de puissants et il y a une volonté de fermer le dossier sans que toute la vérité ne soit dévoilée”, a regretté Me Bourayou. Le rôle du ministère de la Justice a été écarté, selon lui. “Nous regrettons que la justice soit restée muette, il y a une volonté de réduire l’affaire à deux personnes, il y aura toujours des zones d’ombre et cela n’honore pas la justice qui a raté sa sortie dans les grands procès”. Me Bourayou a également précisé que le juge d’instruction a aussi rejeté la demande de la partie civile concernant la convocation de plusieurs cadres de la DGSN en l’occurrence le directeur de la Police judiciaire qui assure actuellement l’intérim du DGSN, le directeur des renseignements généraux, et aussi le secrétaire général du ministère de l’Intérieur. “Ces demandes ont été rejetées pour des causes qui n’étaient pas convaincantes”, affirmera le conférencier.

La justice veut étouffer l’affaire
L’avocat est longuement revenu sur l’affaire Tounsi assassiné dans son bureau le 25 février dernier en affirmant qu’il s’agit d’abord de chercher la vérité et le mobile de l’assassinat. Mais force est de constater que cet objectif que doit s’assigner la justice est loin d’être atteint. Bien plus encore, dira Me Bourayou, “il y a une volonté de fermer ce dossier sensible”. Et à la question : c’est par qui ? L’avocat réplique : “Je n’accuse personne, mais on veut limiter le crime à deux parties, l’assassin et la victime. Le colonel Oultache est bien l’assassin mais il n’a pas dit toute la vérité”.
Me Fatma Chnaïf, membre aussi de la défense de la partie civile, a relevé de son côté les contradictions dans les déclarations de Oultache qui avait affirmé dans un premier temps qu’il a tiré 2 balles sur le défunt Tounsi et que ce dernier n’était pas “armé” d’un coupe-papier avant qu’il se rétracte et avoue avoir tiré 4 balles sur le DGSN.
Selon des déclarations rapportées par la presse, Oultache aurait prétendu avoir entendu une voix dire : “Achevez les tous les deux”, mais les avocats de la défense affirment que cela ne correspond pas aux éléments contenus dans le dossier.
Me Bourayou revient aussi sur les faits le jour de l’assassinat tout en commentant le communiqué officiel du ministère de l’Intérieur publié 4 heures après le crime. “Le communiqué a porté un jugement sur l’état mental du présumé assassin alors qu’il n’y avait ni rapport psychiatrique ni aucune preuve sur sa démence”, a encore ajouté Bourayou.
De même qu’il a contesté la déclaration de Zerhouni qui a parlé d’un conflit personnel, “alors que l’affaire était en instruction”. Me Bourayou est revenu à la charge en abordant le rejet par la justice de l’audition de l’ex-ministre de l’Intérieur. “Je remarque qu’à chaque fois qu’on demande l’audition d’un ministre, la justice refuse. On ne comprend pas ce zèle de la justice. Je le dis et je le redis, on veut limiter l’affaire à deux personnes alors que c’est un crime d’état, ce n’est pas un crime banal”, soulignera avec force l’avocat.
Pour lui, l’audition de quelques ministres dans l’affaire Khalifa servait à crédibiliser les hautes autorités.

On ne connaît toujours pas le mobile de l’assassinat de Tounsi
Interrogé sur le mobile du crime, l’avocat a indiqué qu’“on ne tire pas sur un homme à cause du report d’une réunion”. Oultache aurait déclaré que le refus du défunt DGSN de reporter la réunion l’a mis dans un état de colère, ce qui l’a poussé à sortir son arme et tirer sur son chef ! Le juge d’instruction devait travailler sur les circonstances de l’assassinat commis dans un contexte sensible, explique Me Bourayou d’autant que l’été 2009 a été marqué par un malentendu entre le défunt DGSN et le ministre de l’Intérieur. “On ne croit pas à la thèse du complot et le communiqué du 25 février du ministère de l’Intérieur s’inscrit dans le souci d’écarter cette thèse”, dira Me Bourayou. Pour ce dernier, le magistrat devait élargir l’enquête sur la transaction qui peut être une des causes du crime. “Mais à ce jour, on ne connaît pas la vérité et l’enquête ne l’a pas cherchée”, déclare-t-il.
La reconstitution des faits a été marquée par des insuffisances d’autant qu’Oultache a été auditionné sur la procédure et pas sur le fond. “Ses déclarations n’ont pas été mentionnées sur le PV sur-le-champ alors que le greffier était présent”, fera remarquer de son côté me Chnaïf.
“Il y a quelque chose derrière cet assassinat”, dira-t-elle, avant d’ajouter que l’instruction n’a pas été complète. “On n’a pas mentionné le timing”, on ignore quand Oultache est sorti du bureau du défunt, ni combien de temps il est resté avec lui. “Le timing est important d’autant que Oultache serait resté dans le bureau après l’assassinat. Le timing peut être d’une grande signification dans le pourquoi de l’acte”, affirmera-t-elle.

Tounsi assis et désarmé a été assassiné par deux balles
Le défunt Tounsi a été assassiné par 2 balles, confirme Me Chnaïf selon le rapport de l’autopsie et l’expertise de la chemise du défunt. Il a été touché à la joue par une balle qui a glissé jusqu’au thorax et une autre sur le visage. Il était assis au moment du crime et ne s’attendait pas au geste de l’accusé qui est “son homme de confiance”. Oultache a déclaré 3 fois dans un PV signé le 11 mars dernier qu’il a tiré 2 balles et qu’il était conscient avant qu’il ne revienne sur ses premières déclarations le 26 mai en déclarant à nouveau avoir tiré 4 balles, alors que tous les rapports confirment que le défunt a été atteint par 2 balles.
Les déclarations d’Oultache ont été contestées par sa femme et son entourage qui ont affirmé qu’“il ne portait jamais d’arme”. Ce qui prouve la thèse de préméditation de son acte.
Le pistolet a été bloqué après les 2 balles tirées, selon le rapport de l’expertise balistique, qui a confirmé que 4 balles restantes ont été bloquées dans l’arme. Oultache avait déclaré qu’il n’a pas utilisé cette arme depuis l’année 2004.
Les enquêteurs ont saisi le coupe-papier qui était tordu “ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas été tordu par le défunt”, affirme notre interlocuteur, avant de s’interroger : “Est-ce-que Oultache était au courant des articles de presse qui ont rapporté que le défunt aurait provoqué l’assassin en l’agressant par ce moyen ?” Le rapport de l’enquête judiciaire a affirmé que la justice a utilisé tous les moyens. Ce qui a suscité l’ire des avocats de la défense qui s’interrogent sur “ces moyens” devant tant d’insuffisances. “On ne cherche pas la justice qui préserve l’ordre mais celle qui cherche la vérité !”, ont-ils conclu.


Le chef de sûreté de wilaya d’Alger se constitue partie civile

Par : N. B., Liberté, 6 juillet 2010

Le commissaire divisionnaire Abderabou Abdallah, chef de sûreté de wilaya d’Alger, s’est constitué partie civile dans l’affaire de l’assassinat du défunt Tounsi ex-DGSN, apprend-on de source sûre. Le chef de sûreté de wilaya d’Alger, auditionné comme témoin, serait, selon notre source, constitué partie civile pour “tentative de meurtre”. Il a été blessé à la tête par la crosse du pistolet d’Oultache qui avait son arme bloquée après avoir tiré sur Tounsi. Le chef de sûreté de wilaya d’Alger s’est déplacé au bureau du défunt DGSN le jour de l’assassinat avec autres cadres convoqués pour une réunion de travail, et ce, suite à la demande de Oultache par le biais du secrétaire du défunt. Ce dernier ignorait ce qui s’est passé dans le bureau et déclarera au juge d’instruction avoir entendu deux tirs à l’intérieur du bureau, mais il les a confondus avec l’explosion de simples pétards.