Pour en finir avec l’affaire du tribunal suisse
KHALED NEZZAR
Pour en finir avec l’affaire du tribunal suisse
Le Soir d’Algérie, 13 août 2012
On m’écrit pour me dire que le «redressement républicain de 1992» n’aura servi à rien puisque «l’Algérie, et après toutes ces années de lutte contre l’intégrisme, applique à la lettre le programme d’Ali Belhadj». On me dit aussi qu’il faut parler de ce jeune Algérois de 20 ans tué par les chars de Khaled Nezzar en Octobre 1988. Enfin, reviennent les questions lancinantes du pourquoi de la présence de M. Nezzar en Suisse (qui serait évidemment liée à l’argent) et de l’assassinat de Boudiaf.
Janvier 1992 : les prévisions faisaient état de 60 000 morts
Entendons-nous bien : il y a deux camps et pas trois. Il y a ceux qui auraient voulu voir s’installer un Etat islamiste et ceux qui trouvent que l’armée a bien fait d’intervenir pour sauver le système républicain, aussi imparfait soit-il. Il n’y a pas de troisième voie. Suivre certains intellectuels qui, par coquetterie et pour mimer les faiseurs d’opinion d’en face, préfèrent rester sur un nuage au nom de l’objectivité, de la neutralité et du devoir d’informer, ne me paraît être ni utile, ni constructif. Tout au plus, quelques gesticulations intellectuelles dont tirent profit généralement les ennemis de la démocratie. Personnellement, j’ai gueulé mille fois ici même que je n’étais pas objectif et que je ne crois pas à l’objectivité dans notre métier. Il n’y a qu’à voir les choix et la manière dont sont traités les sujets les plus graves dans notre planète pour réaliser que cette objectivité est une chimère. Donc, il y a ceux qui soutiennent l’intervention de l’armée en tant qu’option pouvant épargner au pays un voyage sans retour. Cette intervention n’était pas une œuvre de broderie. Je me souviens du jour où notre directeur de la publication avait été invité au ministère de l’Information dirigé alors par feu M. Belkaïd. Il assistait à cette réunion où l’on récoltait les avis des patrons de presse sur le prochain et imminent arrêt du processus électoral. A son retour, il nous appela en urgence (les actionnaires du Soir d’Algérie) pour nous mettre au parfum. Et je me rappelle qu’il avait dit que les prévisions faisaient état de 60 000 morts. C’est-à-dire qu’au moment où les auteurs de ce redressement républicain s’apprêtaient à agir, ils savaient qu’un grand nombre d’Algériens allaient mourir. Et ils étaient loin du compte. On parle aujourd’hui de 200 000 morts. C’est autant dire que cette époque ne fut pas exempte d’erreurs, de dépassements, d’exécutions sommaires, de tortures, etc. Il se trouve qu’à ce moment, le chef de l’armée s’appelait Khaled Nezzar. Doit-il aujourd’hui payer pour avoir agi dans le seul intérêt de la République ? En nous élevant contre la décision d’un tribunal suisse, nous ne défendons pas l’homme. Nous défendons l’idée, l’œuvre et l’institution qui restera toujours respectable malgré les comportements de certains de ses dirigeants. Nous n’avons aucun lien avec Khaled Nezzar, ni de près, ni de loin.
L’armée et 1999
Si n’importe quelle justice au monde veut juger Nezzar pour d’autres délits que celui de s’être opposé au projet intégriste, nous ne réagirons pas. Et nous ne savons pas si Nezzar a de l’argent en Suisse ou pas. Ce n’était pas notre propos. Quant au 5 Octobre, l’armée a eu le courage de reconnaître que, préparée pour protéger le pays contre un danger extérieur, elle n’avait jamais pensé qu’il viendrait un jour où on l’appellerait pour rétablir l’ordre dans les rues de nos villes. L’armée n’a pas tué délibérément ; elle avait à l’époque assumé et regretté qu’elle en fût arrivée à tirer sur des jeunes pour rétablir l’ordre et éviter le chaos. Il est vrai que les choses auraient été meilleures pour tout le monde si l’on avait institué une commission d’enquête indépendante pour faire la lumière sur ces drames. Par ailleurs, l’armée a cédé le pouvoir aux civils en 1999 et si l’on peut critiquer la manière peu démocratique dont elle l’a fait – en parrainant un candidat sur sept, ce qui a provoqué le retrait des six autres —, on ne peut aussi la rendre entièrement responsable d’une situation catastrophique qui plonge le pays dans l’incertitude par la faute d’un pouvoir qui s’acharne, depuis 1999, à détruire tous les secteurs de la vie économique et sociale et à s’allier aux forces rétrogrades et obscurantistes ! Enfin, on a tendance à oublier de citer le courage et la détermination de Mohammed Boudiaf, patriote de la première heure qui a pris la responsabilité de dissoudre le FIS le 4 mars 1992 et de donner les pleins pouvoirs à l’armée pour rétablir l’ordre et la sécurité dans un pays ébranlé et au bord du chaos. Les commanditaires de son assassinat sont à chercher dans d’autres cercles qui géraient directement les déplacements présidentiels. Qui était responsable du dispositif qui a permis à Boumarafi de s’infiltrer parmi les éléments se trouvant aux premières lignes de la sécurité présidentielle ? Je ne crois pas à la thèse de l’acte isolé. Il y avait un complot, c’est certain ! Il suffisait de bien voir la tribune présidentielle, quelques minutes avant le drame, pour s’en rendre compte. Je sais, pour avoir accompagné le président Boumediène des dizaines de fois à l’intérieur du pays, et pour avoir suivi à la télévision les déplacements des autres chefs d’Etat, qu’un président de la République est toujours accompagné du ministre de l’Intérieur et d’autres membres du gouvernement. A la tribune, il y a avait le wali d’Annaba, quelques responsables locaux et des jeunes. C’était déjà suffisant pour comprendre qu’il y avait complot. C’est ma conviction mais ni mon avis, ni ceux des lecteurs ne peuvent être pris pour argent comptant. Là aussi, il faut une commission qui, à défaut d’enquêter – c’est trop tard — tentera de rétablir la vérité. Une commission indépendante, cela va de soi.
Vérité et justice
Tant que nous n’aurons pas compris qui est derrière l’assassinat de Boudiaf et pourquoi il a été tué, tant que les parents des victimes d’Octobre 1988 ne connaîtront pas les circonstances exactes et les véritables responsables de la mort de leurs enfants, tant qu’on ne fera pas toute la lumière sur les disparus et les torturés de l’après-janvier 1992 et tant que les auteurs des crimes perpétrés à l’encontre de 127 jeunes Kabyles n’auront pas été punis, il restera ce voile opaque qui continuera de jeter le doute sur les acteurs de ces événements et à faire courir les rumeurs les plus folles. Il nous faut la vérité. Il nous faut surtout la justice. Mais, ici, chez nous car il s’agit de questions de souveraineté nationale
M. F.