Lettre ouverte d’Annie Mecili à Christiane Taubira

Lettre ouverte d’Annie Mecili à Christiane Taubira

Rue 89, 7 juillet 2014

De 1987 à 2014, d’Ali Mécili aux moines de Tibéhirine, il faut se rendre à l’évidence : la mauvaise volonté des autorités algériennes perdure.

Fin mai, le voyage du juge Marc Trévidic à Alger, dans le cadre de sa mission d’expertise sur l’assassinat des moines français de Tibéhirine, a de nouveau été reporté sans explication de la part des autorités algériennes. Cela m’a interpellée.

Je reviens rapidement sur l’affaire Mécili : mon mari, l’avocat Ali Mécili – français et algérien à la fois, il s’appelait aussi André – a été assassiné le 7 avril 1987 à Paris sur ordre du pouvoir algérien. Il a combattu, avec Hocine Ait Ahmed, pour le respect des droits de l’homme et l’instauration de la démocratie en Algérie. Il en est mort.

27 ans après, nous réclamons justice

Très vite, le pacte du silence conclu entre Paris et Alger a conduit au renvoi en Algérie de l’assassin présumé, interpellé dès le 10 juin 1987 et expulsé en urgence absolue sur décision du ministre délégué à la Sécurité de l’époque, Robert Pandraud. Le principal suspect ayant ainsi été soustrait à la justice française au nom de la raison d’Etat, nous en sommes encore, 27 ans après, à réclamer justice.

Le juge d’instruction n’a jamais pu obtenir la coopération judiciaire de l’Algérie, tout comme, jusqu’ici, le juge Trévidic. Lors de la commémoration, le 30 mars 2007, du 50e anniversaire de l’assassinat de maître Ali Boumendjel pendant « la bataille d’Alger », Hocine Aït-Ahmed et moi vous avions entretenue de l’affaire Mécili et vous nous aviez écoutés avec beaucoup d’intérêt.

Désormais, il y a urgence : le nouveau juge d’instruction en charge de cette affaire nous a avisés que l’information lui paraissait terminée et qu’à l’issue des délais prévus, l’ordonnance de règlement pourrait être rendue. Comment peut-on l’envisager dans un dossier aussi complexe montrant clairement l’implication des services de sécurité algériens ?

A la suite des révélations de deux anciens responsables de ces services spéciaux, la justice s’est remise en marche : deux mandats d’arrêt internationaux ont été délivrés par le juge d’instruction en décembre 2007. Et l’on voudrait aujourd’hui clore le dossier, comme si on reconnaissait à un Etat étranger le droit de paralyser l’action judiciaire en France alors qu’il faudrait justement ne jamais cesser d’en exiger des réponses.

L’annonce par Laurent Fabius, de retour d’Alger, que le juge Trevidic pourrait enfin être autorisé à se rendre en Algérie atteste d’ailleurs d’une nécessité, d’une obligation de ne jamais renoncer.

Les pistes demeurent nombreuses

Mes enfants et moi, citoyens français victimes d’un crime d’Etat, risquons, si ce dossier est clos, de devenir des exclus du dispositif judiciaire, comme si le temps permettait d’effacer un assassinat et d’absoudre des tueurs. L’affaire Ben Barka, bien plus ancienne puisqu’elle remonte à 1965, n’a pas fait l’objet d’un tel traitement.

Madame la garde des Sceaux, je m’adresse à vous non pour que vous interveniez sur la décision d’un juge dont l’indépendance est au fondement de notre démocratie, mais pour qu’une loi vienne rendre impossible la clôture d’un tel dossier de crime politique. Qui plus est s’agissant d’une affaire où les personnes à entendre, à commencer par le tueur présumé de mon mari, et les pistes à exploiter demeurent nombreuses.

Il me semble que l’édification de la justice du XXIe siècle que vous avez appelée de vos vœux, lors du lancement d’un débat national, au palais de l’Unesco en janvier dernier, aurait tout à y gagner et les citoyens aussi. Vous aviez affirmé :

« Il est important pour nous de faire en sorte que cette justice […] force le respect parce qu’elle donne à voir la force de la loi. Nous la voulons donc de qualité, nous la voulons juste, nous la voulons comprise et acceptée, nous la voulons bien exécutée. »

Votre déclaration m’a confortée dans mon espoir de voir un jour justice rendue à Ali Mécili.