Affaire de l’assassinant d’Ali Mécili: La justice européenne bientôt saisie
Affaire de l’assassinant d’Ali Mécili
La justice européenne bientôt saisie
El Watan, 8 avril 2017
Trente ans, jour pour jour, se sont écoulés depuis la liquidation physique par balles de l’avocat et membre fondateur du Front des forces socialistes (FFS), Ali Mécili, en plein cœur de Paris un certain 7 avril 1987.
Depuis, l’instruction judiciaire pour élucider cet assassinat, répondant à tous les critères d’un crime politique, pâtit à cause de la «raison de deux Etats», algérien et français, dénoncée par la famille Mécili et ses avocats successifs. Malgré quelques rares rebondissements qui pouvaient laisser espérer le contraire, le dossier est en passe d’être définitivement fermé après le non-lieu prononcé le 17 novembre 2014, confirmé ensuite par la Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation.
Cela n’empêcha pas Annie Mécili, comme chaque année, d’appeler à un recueillement sur la tombe de son défunt époux au cimetière parisien Père Lachaise. Ce rassemblement annuel aura lieu cet après-midi. Au-delà de la déception et les revers judicaires, veuve, enfants et amis de Me Mécili gardent la foi qu’un jour la justice sera rendue et que ses assassins soient punis.
L’important en attendant, écrit Mme Mécili dans un communiqué, «c’est notre fidélité, et au nom de cette fidélité, qui que nous soyons, nous devons nous interroger sur nous-mêmes, en toute lucidité : qu’avons-nous changé dans nos pratiques quotidiennes, dans notre rapport à la politique dans son acception la plus noble pour être dignes d’Ali Mécili et de Hocine Aït Ahmed, deux hommes auxquels nous devons de ne jamais trahir le sens et la finalité de leur combat ?» Dans le même appel, elle a annoncé la saisine de la Cour européenne des droits de l’homme comme dernier recours après la confirmation par la justice française de l’ordonnance du non-lieu général.
Contacté par El Watan, Antoine Comte, avocat de la partie civile, a confirmé qu’il a effectivement entamé une démarche pour «déposer un recours auprès de la justice européenne car, du point de vue de la justice française, l’affaire est à ce stade terminée après la confirmation du non-lieu par la Cour de cassation». La Cour européenne sera ainsi appelée à statuer sur une question importante : à savoir si les autorités françaises ont tout fait pour que l’assassinat soit élucidé.
«Or, au moins trois commissions rogatoires ont été adressées aux autorités algériennes, et jamais celles-ci n’ont répondu. Les autorités françaises n’ont rien fait pour avoir des réponses alors qu’elles avaient les moyens de les exiger. Nous considérons donc que tout n’a pas été fait pour que les investigations aillent jusqu’au bout», explique Me Comte, pour qui «la raison d’Etat est si évidente, à ce propos, car si les autorités françaises voulaient une réponse sur une commission rogatoire, elles l’auraient eue».
L’avocat pénaliste croit fortement à l’éventualité de «la condamnation de la juridiction nationale française par la Cour européenne. Ce qui signifiera qu’on pourra reprendre intégralement la procédure». En dehors de ce recours, «il faut comprendre, dit-il, qu’un non-lieu n’est jamais tout à fait définitif. C’est-à-dire, dès lors que de nouveaux éléments seraient portés à la connaissance des autorités judicaires françaises, l’affaire pourrait reprendre.» L’une des raisons évoquées par la juge d’instruction, Anne Bamberger, pour justifier le non-lieu est, en effet, la lenteur de l’instruction et l’absence d’éléments nouveaux qui peuvent relancer le dossier.
Ghezlaoui Samir
Annie Mécili. Veuve d’Ali Mécili
«J’ai compris la valeur toute relative des droits de l’homme face à la raison des Etats»
Ce 7 avril, il y aura trente ans, jour pour jour, qu’Ali Mécili a disparu. Est-ce qu’il y aura un programme particulier pour marquer cette occasion ?
Pour ce trentième anniversaire, nous nous rassemblerons comme chaque année au cimetière Père Lachaise pour nous recueillir sur la tombe d’Ali (la cérémonie aura lieu ce samedi 8 avril, ndlr). Nous prévoyons d’organiser un événement plus tard au cours de l’année pour marquer ce trentième anniversaire.
Durant toutes ces longues années, vous avez fait preuve de persévérance dans votre combat contre l’impunité dont bénéficient les assassins du père de vos enfants. D’où tenez-vous cette énergie ?
Je tiens cette énergie de l’homme d’exception qu’était Ali, de sa force et de son courage. J’ai tout de suite été poussée par le sentiment d’un devoir à accomplir. C’est une question de dignité. Comment accepter que ce crime d’Etat demeure impuni ?
Croyez-vous donc encore en la tenue d’un procès un jour, malgré le non-lieu prononcé par la juge d’instruction dans cette affaire ?
L’ordonnance de non-lieu confirmée par la Cour d’appel de Paris et par la Cour de cassation n’est pas la fin de l’histoire. Le non-lieu ne signifie pas que le dossier est définitivement clos. Il peut être rouvert si des éléments nouveaux surviennent, et qui peut prévoir l’avenir ? Alors oui, j’espère toujours.
Et en tout état de cause, nous saisirons la Cour européenne des droits de l’homme qui jugera si, par leurs défaillances, les autorités françaises judiciaires et étatiques ont violé les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme.
En toute circonstance, il y a le meilleur et le pire. Est-ce qu’il en est de même pour vous qui avez été confrontée, dans un Etat de droit, à l’assassinat de votre mari, au nom de la raison d’Etat ?
Le pire aura sûrement été de réaliser qu’en France, pays des droits de l’homme, tout allait être mis en œuvre pour organiser l’enterrement de cette affaire. C’est-à-dire le silence de la classe politique, à droite comme à gauche, l’absence de représentants officiels de l’ordre des avocats lors des obsèques au Père Lachaise, et surtout le renvoi de l’assassin présumé en Algérie. Mais le meilleur est la fidélité de tous ceux qui nous ont soutenus pendant toutes ces années. Je suis fière du travail accompli. On n’a pas réussi à étouffer l’affaire Mécili et nous sommes debout.
Si vous deviez lancer un appel pour que la justice soit faite, à qui vous adresseriez-vous ?
Je crois qu’en trente ans, j’ai fait le tour de la question. Je me suis adressée à tous les présidents de la République qui se sont succédé et aucun d’entre eux n’a pu ou voulu obtenir de l’Algérie qu’elle réponde aux commissions rogatoires qui lui ont été adressées par les juges d’instruction. Ce qui a paralysé le cours de la justice. Alors, voyez-vous, je me demande vraiment si cela vaut la peine de s’adresser une énième fois à un énième président de la République pour obtenir justice. J’ai bien compris la valeur toute relative des droits de l’homme face à la Raison des Etats.
Ghezlaoui Samir