Adlène Hicheur ou le procès de la tentation djihadiste
Par Soren Seelow, Le Monde.fr | 31.03.2012
Adlène Hicheur est accusé d’avoir évoqué dans des échanges de mails des projets d’attentat sur le sol français.
Pendant deux jours, jeudi 29 et vendredi 30 mars, à la 14e chambre du tribunal de Paris, « yahoo » se prononçait « wahou », les fichiers « word » se disaient « weuld », les documents compressés étaient qualifiés de « cryptés », un texte en arabe sur la « Décadence morale des musulmans aux XIe et XIIe siècles » rebaptisé « Faiblesse morale des militaires musulmans »… Aux imprécisions de l’enquête se mêlaient les approximations de la présidente. Dans le box des accusés, perdu dans un costume beige trop large, pupilles inquiètes et sourires crispés, le prévenu bouillonnait.
Adlène Hicheur, physicien franco-algérien du Centre européen de recherche nucléaire (CERN) de 35 ans, était jugé pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes ». Il lui est notamment reproché son activité sur des forums radicaux et d’avoir évoqué par mails des projets d’attentats terroristes avec un cadre présumé d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
Après deux ans et demi de détention provisoire, ce brillant scientifique s’était préparé à un débat contradictoire rigoureux. Il a saisi chaque opportunité qui lui était offerte pour dénoncer d’un ton ferme, parfois cassant, les « inexactitudes » de l’instruction, les erreurs de traduction et les méthodes policières « dégueulasses » d’une enquête menée « exclusivement à charge ».
Fier, offensif, « humilié » par le portrait qu’on dressait de lui devant ses proches réunis dans la salle, il a en revanche échoué à faire comprendre la motivation profonde de ses engagements et de ses mots. Adlène Hicheur est-il un intellectuel que la curiosité a poussé trop loin ? Un musulman indigné par le destin de ses « frères » afghans, irakiens ou palestiniens ? Un sympathisant hésitant du djihad ? Un « loup solitaire » en voie de radicalisation ? Son procès n’a pas permis de percer le mystère de sa personnalité ni la réalité de ses motivations.
L’information judiciaire et l’audience n’ont pas davantage suffi à déterminer avec certitude s’il avait contribué matériellement à l’action de groupes djihadistes (à travers notamment des transferts d’argent via l’ouverture d’un compte Paypal dont l’utilité exacte n’a pu être démontrée). C’est donc autour de ses échanges de mails avec un certain « Phoenix Shadow », rencontré sur le forum d’un site diffusant de la propagande d’Al-Qaida, qu’ont tourné l’essentiel des débats.
L’accusation a identifié ce pseudonyme comme étant celui de Moustapha Debchi, responsable médiatique présumé d’AQMI. Adlène Hicheur affirme avoir toujours ignoré l’identité exacte de son interlocuteur, et aucun élément de l’enquête ne permettra de le démentir. Trente-cinq mails ont été échangés entre les deux hommes de janvier à juillet 2009, qui constituent la pièce maîtresse de l’accusation.
Les mots rédigés par le physicien des particules sont durs, « critiquables », voire « inquiétants », de l’aveu même de son avocat Me Patrick Baudouin. Le 10 mars 2009, il proposait ainsi à son interlocuteur de cibler le 27e bataillon des chasseurs alpins de Cran-Gevrier pour punir la France de sa présence en Afghanistan. Dans un autre mail, le physicien indiquait : « Les CV, les diplômes, etc … Ça ne veut rien dire si ce n’est pas mis au service d’une cause ».
Mais à chaque fois que Phoenix Shadow le presse de s’engager sur un projet précis, le prévenu temporise. « J’espère te faire comprendre que je ne suis pas lâche, mais j’imagine un cadre général de l’affaire… », explique-t-il le 1er mars. Le 1er juin, après vingt-quatre messages, Phoenix Shadow accélère la discussion : « On ne va pas tourner autour du pot : est-ce que tu es disposé à travailler dans une unité activant en France ? » « Oui, bien sûr, mais il y a quelques observations… », répond Adlène Hicheur.
C’est toute l’ambiguïté de ce procès : on y juge l’expression d’une tentation djihadiste, une évidente sympathie idéologique, pas des actes. Une ambiguïté avec laquelle joue l’accusé. Adlène Hicheur rappelle qu’il n’a jamais dit oui. Le procureur lui reproche de n’avoir jamais dit non.
En l’absence du moindre projet opérationnel avéré, quel sens accorder à ces échanges de courriels ? C’était tout l’objet du procès, et de la passe d’armes qui a opposé Me Baudouin au procureur du tribunal de Paris, Guillaume Portenseigne. « Des mots, des mots », du « blabla », du « virtuel », a répété la défense durant deux jours. « Les mots ont un sens », a martelé le procureur tout au long de son réquisitoire.
« La virtualité des échanges n’est pas synonyme d’irresponsabilité pénale », comme le prouve la condamnation des pédopornographes, a souligné le procureur. « Si des propos excessifs et violents sont de nature à embastiller quelqu’un, les prisons françaises ne seront pas aptes à accueillir tout le monde », lui a répondu Me Baudouin.
Le procureur a requis six ans d’emprisonnement. Le jugement a été mis en délibéré au 4 mai.
Soren Seelow