Archives sonores algériennes de la phonothèque d’Aix-en-Provence : Un patrimoine immatériel à écouter et à étudier
par Nordine Azzouz, Le Quotidien d’Oran, 3 mai 2012
L’intérêt de l’opinion publique pour les archives lui fait souvent oublier qu’il s’agit avant tout d’un métier et de spécialités qui mobilisent de nombreux chercheurs dans les domaines de l’Histoire et des mémoires. En France, à Aix-en-Provence, il existe même un fonds d’archives sonores dont le siège est à la phonothèque de la maison méditerranéenne des sciences de l’homme. Dans ce centre créé en 1979 et que dirige Mme Véronique Ginouvès, archiviste du son et ingénieur de recherche au CNRS, se trouve un «fonds algérien» où est conservée une partie de notre patrimoine immatériel auquel ont accès les étudiants et les universitaires. Son contenu et l’usage intellectuel auquel il est destiné devrait donner lieu à une coopération avec le centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH). Entretien.
Le Quotidien d’Oran : Qu’appelle-t-on archives sonores ?
Véronique Ginouvès : Le terme «enquêtes orales provoquées» renvoie aux chercheurs en sciences humaines et sociales qui utilisent l’enregistrement sur leur terrain d’enquête en appui pour leurs publications ou leurs investigations. Histoire, anthropologie, ethnolinguistique, ethnomusicologie, géographie, sociologie, psychologie, géographie : toutes ces disciplines – et d’autres encore – sont susceptibles de créer de «l’archive orale» ou encore «archives sonores». A ces enquêtes du monde académique, s’ajoutent celles réalisées par des associations à vocation patrimoniales ou culturelles qui ont, elles aussi, enregistré de nombreuses heures et créé des centres documentaires accessibles à un large public.
Ces enregistrements sonores ont été fixés sur des supports analogiques jusque dans les années 1990 puis directement en numérique. Mais, qu’ils soient gravés sur des supports ou qu’il s’agisse de fichiers numériques, ce sont des documents uniques. Ils n’ont pas été créés dans un but de commercialisation ni de reproduction industrielle. Ils documentent un moment particulier né de la rencontre entre un enquêteur et son informateur. Jean-Claude Bouvier, le fondateur avec Philippe Joutard de la phonothèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, définissait l’enquête de terrain enregistrée comme ce «moment privilégié qui s’ouvre et se ferme sur cette poignée de main échangée avec les informateurs». C’est cet instant, et son contexte bien évidemment, que les archivistes du son documentent. Les seuls éléments de type catalographique dont ils disposent sont ceux que l’enquêteur aura fournis : soit l’enquêteur les aura directement inscrits sur l’emballage s’il y a un support, soit il aura annoté le fichier numérique soit il aura fourni des documents annexes au moment du dépôt,… Parfois il n’y a plus rien pour les contextualiser et ces enregistrements deviennent muets.
Ces entretiens enregistrés, catalogués et conservés, entrent dans ce qu’on appelle aujourd’hui communément le patrimoine immatériel. Ce terme a été définit avec précision dans la convention adoptée en 2003 par l’UNESCO.
A partir de quel moment un document enregistré sonore devient-il archive ?
Les archives sonores désignent (à la phonothèque de la MMSH) des documents enregistrés sur le terrain par des chercheurs des sciences humaines et sociales qui s’appuient sur l’entretien pour leur recherche. D’abord source pour leur publication, ils déposent à la phonothèque de la MMSH leurs documents sonores pour qu’elle les numérise, les conserve, les analyse, les mette à la disposition du public et les valorise.
Quelle est dans le fonds d’archives dont vous vous occupez les parts qui concernent l’Algérie coloniale et l’Algérie indépendante ? Quelles sont les sources des archives sonores «algériennes» ? Et quels contenus ont-elles au juste ?
Les archives sonores qui intéressent l’Algérie sont nombreuses et vous pouvez interroger pour cela la base de données Ganoub http://phonotheque.mmsh.univ-aix.fr
Il n’est pas toujours facile de séparer «fonds colonial» et «fonds algérien» du fait que certaines recherches ont été faites sur des thématiques qui se croisent comme par exemple «Les Européens restés en Algérie indépendante», «Les refus civils et militaires pendant la guerre d’Algérie», «Récits de vie de harkis. Nous avons sinon aussi des témoignages d’appelés ou de pieds-noirs. D’autres enquêtes portent sur la musique algérienne, et en particulier la musique touarègue et la musique à Constantine, l’artisanat du bois.
Les plus anciennes archives «algériennes» datent de quelle période ?
Elles datent des années 1960 et portent sur le Sud Algérien et en particulier sur la musique et la poésie touarègue. Il s’agit des enquêtes de l’ethnologue Marceau Gast.
Quelle est la quantité de ces archives ?
Environ deux cents heures.
Y en a-t-il qui ont été «physiquement» rapatriées en France après la fin, en 1962, de l’Algérie française ?
Aucune.
Ont-elles la même importance au point de vue de l’histoire ? Y a-t-il, en revanche, parmi ces archives des «pièces» d’une valeur historique autre, c’est-à-dire exceptionnelle pour le témoignage ou la recherche historique ?
Pour une phonothèque qui gère la parole des anonymes, cette question n’a pas vraiment de sens puisque chaque collection est liée à une recherche scientifique, chaque enregistrement y a sa place. Peut-être que les archives musicales sont plus faciles à écouter que les autres pour le grand public.
Est-ce que toutes ces archives sont libres à consulter ? A quel usage servent-elles ?
Tout dépend des autorisations de diffusion et d’utilisation qu’aura donné le chercheur déposant. Un contrat est signé pour chaque corpus sonore qui établit les différentes autorisations. Ces archives sont conservées pour l’administration de la preuve de publications qui s’appuient sur l’entretien de terrain, pour leur fonction patrimoniale, pour permettre à d’autres chercheurs de les réutiliser pour d’autres recherches, pour la consultation du public et toute utilisation de valorisation pour les musées, les centres d’archives, les associations…
Y a-t-il une forme de collaboration entre l’institution dans laquelle vous travaillez et une quelconque autre en Algérie ?
Je travaille avec le centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) dirigé par Slimane Hachi, et en particulier avec Mme Maya Saidani, ethnomusicologue. Une convention est en cours de préparation.