Stora à propos de la campagne contre «Hors la loi »
Stora à propos de la campagne contre «Hors la loi »
«Le refus d’assumer la guerre d’Algérie»
par Djamel B., Le Quotidien d’Oran, 9 mai 2010
L’historien français Benjamin Stora a dénoncé hier, la campagne menée contre le film «Hors la loi» du cinéaste Rachid Bouchareb. Dans un entretien accordé à l’AFP, Stora estime que «le refus d’assumer la guerre d’Algérie est très mal vécu par une part importante de la société française, aujourd’hui: il faut donc l’affronter». Pour l’historien français «il y a toujours eu une très grande difficulté à faire figurer l’Autre, l’ancien indigène du temps colonial, dans le cinéma français. Cette absence est manifeste, tant dans le cinéma de divertissement où l’on reste dans une représentation exotique de l’Autre, que dans le cinéma de dénonciation du colonialisme des années 60, où l’on ne montre pas le combattant d’en face.
Dès que celui-ci commence à agir par lui-même, cela devient problématique ». Bien plus proche qu’une lointaine colonie comme l’Indochine ou un simple protectorat comme la Tunisie, l’Algérie formait trois départements français et «était considérée comme la France », rappelle-t-il. De ce fait, précise Benjamin Stora, la séparation « n’a quasiment pas été représentée à l’écran comme la résultante de la volonté d’indépendance des Algériens. Elle a plutôt été vue comme le produit d’une trahison ou d’un abandon par les Français». Ainsi, précise-t-il, des événements tels que les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en 1945, ne figurent pas dans le cinéma français, même de manière elliptique, c’est un véritable trou noir.
Avec onze autres personnalités dont sept historiens, Benjamin Stora a signé un texte dénonçant la «campagne» contre «Hors-la-loi» menée par le député de droite Lionnel Luca (UMP) qui sans l’avoir vu, a taxé le film de « négationniste», l’accusant de «falsifier» l’histoire. Des associations de harkis, d’anciens combattants, de pieds-noirs ainsi que l’extrême droite, se sont aussi indignées. Le député s’est fondé sur un bref rapport rédigé par le service historique du ministère de la Défense qui relevait «erreurs» et «anachronismes» dans un scénario provisoire. Pour les pétitionnaires, «le travail d’un réalisateur n’est pas celui d’un historien et n’a pas à être jugé par l’Etat ». De son côté Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, commentant les polémiques qui ont éclaté avant même le début du festival sur certains films dont celui de Rachid Bouchareb, a émis l’espoir que la projection à Cannes de ces films recentrera le débat sur les qualités et les défauts du film, et s’éloignera du procès d’intention. «C’est le cas du film de Rachid Bouchareb, que personne n’a encore vu et sur lequel circule une fausse information». Cette fiction, dira t-il, ne relate pas les événements de Sétif du 8 mai 1945, c’est une saga qui commence dans les années 1930 et se termine en 1962. «Je sais bien que Cannes est une telle chambre d’écho que la tentation est grande de l’instrumentaliser pour s’y faire entendre, mais il est temps, dans ces deux cas, d’apaiser les discussions et d’attendre, pour les reprendre, que les films incriminés soient vus».
Le Festival de Cannes déroule mercredi son tapis rouge aux cinéastes du monde entier. Parmi les films les plus attendus figurent les dernières productions des Américains Woody Allen, «You will meet a tall dark stranger » et Oliver Stone «Wall Street 2». Mais c’est un film qui a provoqué le plus fort avis de tempête sur la Croisette : quatre ans après le sacre des acteurs «d’Indigènes» qui avaient reçu un prix d’interprétation collectif, la venue du cinéaste franco-algérien Rachid Bouchareb avec «Hors-la-loi» a suscité la polémique.
Ce long métrage suit, de la fin des années 1930 à l’indépendance algérienne en 1962, le destin de trois frères à travers les tumultes de l’histoire franco-algérienne. Une douzaine d’intellectuels ont réagi en dénonçant le «retour en force de la bonne conscience coloniale». Une polémique qui rappellera des souvenirs au cinéaste de la Nouvelle vague Jean-Luc Godard qui, à 79 ans, présente, hors compétition, son Film «Socialisme». Son film «Le Petit Soldat », tourné en 1959, avait été interdit jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie, en 1963, et un député nommé Jean-Marie Le Pen, qui n’était pas encore leader de l’extrême droite française, avait alors exigé l’expulsion du cinéaste suisse.