“Hors-la-loi” : le film qui fait trembler la France

La projection du film de Rachid Bouchareb sous haute surveillance à Cannes

“Hors-la-loi” : le film qui fait trembler la France

Par : Tarek Bey, Liberté, 22 mai 2010

Hors-la-loi de Rachid Bouchareb, le film qui a fait couler beaucoup d’encre durant plus de deux semaines à la 63e édition du Festival international de Cannes a été présenté, vendredi matin, devant plus de 4 000 journalistes et télévisions du monde entier.

Pour éviter tout incident, les organisateurs et le gouvernement français ont pris des mesures exceptionnelles pour le bon déroulement de cette projection très spéciale, menacée par l’extrême-droite. Très tôt le matin, des cars de CRS se sont installés aux abords du Palais de la Croisette.
Du jamais vu dans l’histoire du festival, nous expliquent les habitués. Un cordon de CRS a fermé également quelques rues adjacentes menant au lieu de la projection. Trois points de contrôle ont été installés pour les journalistes invités à la projection. Même les petites bouteilles d’eau étaient retirées à l’entrée. Dans l’immense salle de cinéma du Théâtre-Lumière, la polémique a enfin laissé place au débat constructif et surtout au cinéma…. le vrai.

Plus de 24 ans après la dernière image prémonitoire de Mohamed-Lakhdar Hamina, l’Algérie retrouve enfin la compétition pour la Palme d’Or. À cette occasion, une importante délégation algérienne était présente à la Croisette composée par les principaux cadres du ministère de la Culture, conduite par Mme Zahera Yahi, chef de cabinet de la ministre Khalida Toumi et Ahmed Bedjaoui, conseiller auprès de la ministre pour le cinéma. Étaient également présents l’un des principaux producteurs du film Hors-la-loi, Mustapha Orif, directeur de l’AARC (Agence algérienne du rayonnement culturel), mais aussi des réalisateurs venus d’Alger et de Paris, invités pour soutenir le seul film algérien présent au plus prestigieux festival du monde.

Car au-delà des fausses apparences, l’Algérie sera en force sur la Croisette, avec des journalistes dépêchés d’Alger, (en plus de ceux installés en France) représentant tous les médias (radio, presse écrite publique et privée et bien sûr la Télévision). Mais l’événement majeur pour la délégation algérienne, c’est surtout la présence de la comédienne principale du film, Chafia Boudraâ, qui plus de 44 ans après Keltoum qui était venue monter les marches en 1966 pour représenter Vent des Aurès de Mohamed Lakhdar Hamina, était là pour représenter, elle aussi, la douleur et le combat de la femme algérienne durant la guerre d’Algérie.

Comme son équipe nationale de football en Suisse, la délégation algérienne sera sous haute protection, et ce, pour éviter des débordements qui peuvent intervenir de la part de l’extrême-droite, le jour de la projection.

D’ailleurs, le maire de la ville de Cannes a invité les parlementaires de l’UMP et les associations de “rapatriés et de harkis” à déposer une gerbe de fleurs à trois kilomètres du lieu de la projection et à barrer toutes les routes qui mènent au Palais du Festival, et ce, pour empêcher l’arrivée de la marche silencieuse vers le lieu du festival. Au-delà du cachet politique du film, Hors-la-loi c’est aussi une production internationale dans laquelle l’Algérie a participé en force afin de rattraper probablement l’absence de l’Algérie dans la production de l’opus Indigènes du même Bouchareb. Ce film avait été entièrement financé par la France et soutenu par le Maroc, mais Bouchareb présentera sans rancune le film aux Oscars au nom de l’Algérie, ce qui a provoqué la colère des Français et des Marocains.
Résultat pour le film Hors-la-loi, l’Algérie a mis le paquet : 4 millions d’euros, soit 20% du financement global du film qui a été évalué à 19,5 millions d’euros. L’aide algérienne a transité via le Fdatic (500 000 euros), le ministère des Moudjahidine (1,5 million euros), l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (1 million d’euros), Sonatrach et Sonelgaz (750 000 euros) et l’ENTV (250 000 euros). C’est le plus grand montage financier pour un film algérien, mais aussi pour un film africain, bien plus que les Égyptiens, qui dominent la planète du cinéma arabe.

La presse française ne cesse de dire que la France est majoritaire dans la production du film de Bouchareb et pourtant en matière de financement public, l’Algérie reste majoritaire puisque les entreprises publiques françaises, le CNC (Centre national du cinéma représentant du ministère de la Culture française), n’a accordé qu’une aide sous la forme d’une avance sur recette de 650 000 euros. La commission de la diversité a apporté, quant à elle, 50 000 euros. Le reste de la production est soutenu par des opérateurs privés et semi-publics : France Télévision et Canal+, qui fournissent plus de 12 millions d’euros. Car l’objectif de ces télévisions, ce sont les reventes aux télévisions du monde. Plus de 20 pays avaient acheté l’opus de Bouchareb Indigènes.

UN FILM ÉPOUSTOUFLANT

Sur le plan cinématographique, Rachid Bouchareb a donné une dimension internationale et artistique pour le cinéma algérien avec ce film. Comme dans Indigènes et bien plus dans Hors-la-loi, le film de Bouchareb se rapproche beaucoup plus du cinéma américain de Coppola et de Sergio Leone que du cinéma français qui a été son formateur. Comme pour son film précédent, le film débute par une date historique 1925, début du mouvement nationaliste. Un plan large d’une contrée désertique, le Caïd joué par Larbi Zekal vient annoncer l’expropriation de la terre d’une famille de paysans algériens. C’est la seule scène du film qui est tournée en Algérie. La mère, jouée par Chafia Boudraâ et le père joué, par Ahmed Benaïssa nous rappellent le début de la fresque des Corleone de Coppola.
Quand Jamel Debouze vient tuer au couteau le Caïd, sur le balcon de son jardin comme l’avait fait Robert de Niro dans le Parrain 2. Rachid Bouchareb, qui est habitué aux Oscars, ne cache pas ses références cinématographiques américaines. Puis vient la scène de toute la controverse : les massacres de Sétif en 1945. Dix minutes ont suffi pour les milliers de journalistes présents pour comprendre le début du conflit historique et la source de la polémique entre l’Algérie et la France.

Sobrement filmé mais cinématographiquement réussi, le film ne s’attarde pas sur cet événement qui fait trembler la France. C’est à travers la saga de trois frères magnifiquement joués par Roshdy Zem, Jamel Debbouze et Sami Bouajaïlia et de leur mère Chafia Boudraâ, que Bouchareb raconte à sa manière l’histoire de l’Algérie entre 1945 et 1962.

Un scénario bien ficelé où Bouchareb joue l’équilibriste montrant aussi bien la lutte sans concession du côté FLN que la violence arbitraire du côté français. Le réalisateur, qui débute par une manifestation réprimée avec la violence et un match de boxe le 8 mai 1945, finit son film également par un match de boxe et une manifestation réprimée en 1961 dans la capitale française. Le tout à travers la parcours de trois frères que tout sépare mais que tout rapproche. Ce n’est pas un film de gangsters comme le disent certains nostalgiques de la France coloniale mais une saga familiale qui a pour fil rouge l’histoire de la Révolution algérienne. À la projection, c’est l’émotion, une jeune scénariste présente à nos côtés, très émue, essuie ses larmes.

Les journalistes français sortent en silence sans commentaire, les étrangers sont sonnés par la grande qualité cinématographique du film. Comme cette journaliste allemande Barbara Shweizorhof qui ignorait que l’Allemagne avait contribué au soutien du FLN en armes et munitions. Pas d’applaudissements dans la salle, mais des cris “Vive l’Algérie” comme dans un stade, lancés par quelques Algériens invités à la projection. Comme l’avait dit un réalisateur algérien à la fin du film, on a envie de refaire le 1er Novembre. Ne pas récompenser Hors-la-loi serait une injustice pour certains critiques, mais le film, selon d’autres observateurs, se trouve sur son chemin vers la Palme d’Or. Un autre film sur l’Algérie, Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, qui raconte l’histoire des moines trappistes assassinés par le GIA. Le film, qui ne prend aucune position politique sur l’affaire des moines de Tibhirine, a reçu un accueil favorable de la part des critiques à Cannes.

Ainsi, Hors-la-loi a été projeté malgré la paranoïa de ses détracteurs et les critiques injustes contre un film qui va être une œuvre référence en France. Pour les Français qui ignorent un pan entier de leur histoire coloniale en Algérie et surtout pour les jeunes Beurs qui risquent de comprendre parfaitement ce qu’avait nourri la Révolution algérienne, notamment dans sa lutte en France.


Conférence de presse des réalisateurs

“Le film n’est pas un champ de bataille”

Par : Tarek Bey

Quelques minutes après la projection du film Hors-la-loi, les centaines de journalistes qui ont eu juste le temps de savourer un café offert par un grand sponsor du festival, se sont rués vers la salle où a eu lieu la traditionnelle conférence de presse des réalisateurs.

Des dizaines de bodyguards en costume beige sont là pour vérifier les badges (rose pour la presse internationale, jaune pour la presse française). Là, c’est une véritable organisation qui se met en place. Les caméras sur un petit balcon, les journalistes assis et les photographes ont quelques minutes pour prendre des photos avant de disparaître.

Sur la tribune, l’équipe du film est au complet. Le réalisateur Rachid Bouchareb et les producteurs du film : Le Français Jean Bréhat, l’Algérien Mustapha Orif et le Tunisien Tarek Benamar. Et bien sûr les comédiens principaux du film : Roshdy Zem, Samy Boujailia, Jamel Debbouze et surtout Chafia Boudraâ qui est désormais passée du statut d’artiste national à celui de vedette internationale assumant des interviews en français. Cette conférence de presse très attendue a été ficelée par l’équipe de communication du film, comme un point de presse présidentiel.

Le politique pour le réalisateur, la coopération pour les producteurs, la comédie et la satire pour Debbouze, l’expérience pour Roshdy Zem et l’humain pour Chafia Boudraâ. C’est Rachid Bouchareb qui interviendra le premier en remerciant le délégué général du festival, Thierry Frémieux, qui a défendu et soutenu le film devant toute cette polémique.

Rachid Bouchareb dira à ce propos : “C’est exagéré, le film n’est pas un champ de bataille. Il y a un abcès et maintenant l’abcès a été percé… ouvrons le débat”. Le réalisateur déclare que “le passé colonial reste tendu, invitant les protagonistes à ouvrir le débat constructif vers l’avenir en regardant bien le passé”. Et d’ajouter : “Mon métier c’est de faire des films. Le film est là, alors discutons.”
Rachid Bouchareb a profité de cette première sortie médiatique pour dénoncer toutes les allégations sorties depuis la sélection du film au Festival de Cannes, indiquant qu’il n’a jamais reçu de pression de Matignon qui l’empêche de placer le film sous l’étendard algérien.
Il reconnaît toutefois qu’il a reçu des pressions de milieu d’extrême-droite, pour retirer le film du festival. Rachid Bouchareb ajoute que ce n’est pas du courage que de faire ce film, c’est plutôt faire du cinéma.

Jamel Debbouze, qui a beaucoup fait de cinéma lors de cette conférence de presse, a déclaré d’un ton sérieux que cette polémique est le fait que la république et le colonialisme ne font pas bon ménage. Enfin Chafia Boudraâ, lala Aïni de
Dar Sbitar, a, pour la première fois de sa vie de comédienne, reçu sa première salve internationale d’applaudissements quand elle a déclaré qu’“en Algérie, on m’a surnommée la mère de tous les Algériens à cause de mon interprétation dans un feuilleton, je suis en fait dans le film à travers ce rôle, la mère de toute l’humanité, car ce qui compte avant tout pour une mère, ce sont ses enfants”.
Rachid Bouchareb a enfin mis l’accent dans son intervention sur l’importance de la coproduction algéro-française, qui intervient quelques mois seulement après la signature de l’accord de coproduction entre l’Algérie et la France, précisant que le même scénario a été proposé aux deux parties sans que quelqu’un change une ligne du scénario. La conférence de presse s’est achevée sans incident et quelques journalistes qui demandaient la parole sont restés sur leur faim, puisqu’ils ont été empêchés par le modérateur Henri Béhar, de poser d’autres questions sur un film qui n’a pas encore fini de faire parler de lui.

 


Rachid Bouchareb à “Liberté”

“Mon film n’est pas fait pour provoquer des affrontements”

Par : Tahar Houchi

Liberté : Quel est votre sentiment sur le dispositif sécuritaire mis en place pour la projection de “Hors-la-loi” ?

Rachid Bouchareb : De prime abord, je tiens à remercier Thierry Fremaux pour avoir surmonté toutes les pressions et permettre au film d’être projeté à Cannes.
Je suis plutôt surpris par l’ampleur de la polémique et de la violence qu’il a suscitées. Je savais que le passé colonial provoque encore des réactions violentes entre l’Algérie et la France, mais je ne pensais pas que cela allait atteindre ces proportions. Cela est d’autant plus vrai, sachant que mon film n’est pas fait pour provoquer des affrontements. Je suis donc attristé. On oublie souvent que je suis cinéaste et non pas historien à qui je laisse la tâche d’écrire l’histoire.

Le film a dépassé les frontières cinématographiques pour ouvrir des blessures enfouies. Qu’en pensez-vous ?

L’abcès est maintenant crevé même si ce n’était pas mon intention au départ. Alors, je dis ouvrons, de part et d’autre, le débat dans la sérénité et le calme. Extirpons les démons du passé et passons à autre chose de plus constructif. Je dis et je répète : j’ai fait une œuvre de fiction et je laisse les historiens faire leur travail. Mon intention est de faire du cinéma avec des comédiens excellents. Pour moi, ce film n’est qu’un voyage dans le passé qui me permet de découvrir des choses nouvelles.

Votre film entre dans le cadre des récents accords entre l’Algérie et la France. N’est-ce pas paradoxal ?

En effet, “Hors-la-loi” est le premier film à être réalisé dans le cadre de ces accords algéro-français. Il est important de souligner que les deux parties, partenaires du film, ont reçu le même scénario qui n’a pas subi de changement. Pourtant mon film parle de la violence politique, et ce, des deux bords.

Cela est propre à toutes les révolutions. Dans ce sens, saisissons cette chance pour en parler et pouvoir tourner la page.

 


Le film projeté simultanément à Alger et à cannes

Une fiction qui interroge l’Histoire

Par : Sara Kharfi

Outre les clins d’œil aux classiques du cinéma mondial, Hors-la-loi est une fiction cinématographique profonde, par laquelle le réalisateur ouvre une lucarne dans la grande histoire, avec une émotion vraie et maîtrisée.

“La guerre crée plus de méchants qu’elle n’en supprime”, disait Emmanuel Kant. Cette citation correspond parfaitement au propos du long métrage, Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, projeté pour la presse, hier matin, à la salle El-Mouggar, en même temps qu’à Cannes, puisque le dernier né de Bouchareb, film algérien de surcroît, est en compétition officielle de la 63e édition du prestigieux rassemblement cinématographique de Cannes. Dans cette production algéro-franco-italo-tuniso-belge, financée à 25% par l’Algérie, Rachid Bouchareb ne distingue pas entre les bons et les méchants. Ce sont des hommes, pris dans le tumulte de la guerre, qui agissent, puisque pris dans un engrenage et comme le dit si bien un des personnages du film, “la révolution est un bulldozer, elle détruit…” Le cinéaste ne s’attarde pas non plus sur les massacres du 8 Mai 1945. Ce fait historique n’est pas une conséquence dans le film, plutôt une cause à la séparation d’une famille algérienne de Sétif, chassée de sa terre en 1925.

Hors-la-loi, c’est l’histoire de trois frères, dont les destins sont déterminés par les choix. L’aîné de la famille Souni, Messaoud (Rochdy Zem) s’engage en Indochine. Abdelkader (Sami Bouadjila), l’intello, participe aux manifestations du 8 Mai 1945, et échappe de justesse au massacre des Algériens sortis exprimer leur joie, croyant ainsi aux fausses promesses de la France coloniale. Abdelkader est, cependant, arrêté et écopera d’une peine de dix ans de prison. Le cadet de la famille, Saïd (Jamel Debbouze), fuit le pays pour la France, suite au massacre de son père et de ses deux sœurs. Saïd et sa mère s’installent dans un bidonville à Nanterre. Ils attendent et espèrent le retour des deux survivants de la famille, dont l’avenir reste — à ce niveau du film du moins — hypothétique. Les années passent, la guerre en Indochine se termine, et Messaoud rejoint sa mère et son frère. Abdelkader sort de prison et rejoint le reste de sa famille, avec une formation politique en poche, un éveil patriotique et une grande détermination ont aidé l’Algérie à briser les chaînes du colonialisme. Messaoud se marie et fonde une famille. Saïd fait des affaires, devient propriétaire d’un cabaret à Pigalle baptisé Casbah, et organise des combats de boxe qui lui rapportent de grosses sommes d’argent. Quant à Abdelkader, il milite dans les rangs de la Fédération de France, et prend même la tête de ce mouvement pour l’indépendance de l’Algérie. Messaoud seconde son frère Abdelkader, et accomplit son devoir en se battant pour la juste cause algérienne. La vie ne sera pas toujours clémente avec la famille Souni et c’est son choix qui déterminera son avenir.

Une petite lucarne dans la grande histoire

Avec ce deuxième volet de la trilogie consacrée à l’Algérie (après Indigènes en 2006 et en attendant le 3e volet qui sera consacré à toute l’histoire de l’émigration au Maghreb et en Afrique), Rachid Bouchareb passe en revue un pan de l’histoire tumultueuse, ponctuée par des relations houleuses, entre l’Algérie et la France. Le réalisateur a choisi d’ouvrir une petite lucarne dans la grande histoire et de traiter d’une période, assez mouvementée, qui s’étale de 1925 à 1962. Mais ce qui est étonnant dans Hors-la-loi est que chacun des trois frères cherche la rédemption, et c’est ce qui rehausse cette fiction au rang d’œuvre artistique. C’est auprès de sa mère que Messaoud trouvera du réconfort ; c’est en tentant de sauver ses deux frères que Saïd se lavera de ses péchés ; et c’est en protégeant les siens que Abdelkader pourra partir en paix.
Hors-la-loi c’est aussi et surtout une fiction bien construite, une trame bien ficelée, une importante démarche esthétique, et une exceptionnelle distribution d’acteurs. Rochdy Zem est époustouflant, Jamel Debbouze est quasiment méconnaissable et très touchant, et Samy Bouadjila est la véritable révélation de ce film. Ces trois comédiens, pétris de talent, ont été totalement crédibles dans leurs rôles de fils de la grande Chafia Boudraâ, toujours aussi forte et aussi présente. Bien que leurs rôles n’aient été que secondaires, Ahmed Benaïssa dans le rôle du père, Larbi Zekkal dans le rôle du Caïd et Mourad Khan qui a campé le rôle du propriétaire du bar du bidonville, militant du MNA, leur personnage n’est pas passé inaperçu. Filmant ses personnages au plus près des corps et des visages, et avec parfois des plans américains, Rachid Bouchareb propose des images parfois oppressantes, et réussit à rendre compte du malaise et du trouble qui caractérise tant les guerres. On dénote dans la sensibilité du regard de Rachid Bouchareb, une maîtrise totale de la machine émotion.

Il ne s’attarde pas sur les détails, mais on peut les trouver dans un regard, un sourire, un sanglot ou une accolade. Dans Hors-la-loi, on retrouve aussi quelques clins d’œil au cinéma mondial, notamment au Parrain, aux Incorruptibles ou encore au Roi Lear. Hors-la-loi, dont la version visionnée n’est pas encore finalisée, n’est pas encore achevée, est une fiction profonde avec une émotion vraie savamment dosée.


Fiche technique

Hors-la-loi
Durée : 2h18
Réalisation : Rachid Bouchareb
Scénario et dialogues : Olivier Lorelle et Rachid Bouchareb
Production : Algérie, France, Tunisie, Italie, Belgique
Musique originale : Armand Amar
Directeur de la photographie : Christophe Beaucarne
Distribution : Jamel Debbouze (Saïd), Rochdy Zem (Messaoud), Samy Bouadjila (Abdelkader), Chafia Boudraâ (la mère), Bernard Blancan (Colonel Faivre)
Sortie en salle : 22 septembre 2010

 


Après les réactions au film de Bouchareb en France

Quand la propagande se mêle d’histoire

Par : Azzeddine Bensouiah

Au-delà du débat, que les historiens des deux côtés de la Méditerranée ont engagé depuis fort longtemps, l’incursion des politiques dans ce débat ne fait qu’envenimer les rapports entre les deux pays.

Bien avant sa projection au Festival de Cannes, le film Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, suscite la polémique en France. S’il est compréhensible que les pieds-noirs et les harkis se sentent gênés par la réminiscence d’une triste période, la réaction des officiels français est, pour le moins, troublante.

Certes, il y a eu la réaction tardive, passée presque sous silence, du ministre français de la Culture, l’ancien socialiste Frédéric Mitterrand, qui a estimé mardi que “les débats sur le drame de la guerre d’Algérie sont sains, ils nous aident à reconstituer une trame essentielle de notre passé récent”. “J’observe que la plupart de ceux qui en parlent (du film, ndlr) ne l’ont pas vu. Je le verrai moi-même très prochainement pour me forger une opinion”, a indiqué M. Mitterrand.
“La liberté de tous n’est pas en conflit avec le devoir de mémoire. Aujourd’hui, le cinéma contribue à sa façon au devoir de mémoire, comme l’a fait récemment encore le film la Rafle et comme l’ont fait ces dernières années de nombreux films consacrés à la guerre d’Algérie”, a souligné le ministre. “Tout le reste n’est qu’allégations qui continuent à aggraver le climat d’un débat qui devrait être salutaire”, a-t-il conclu.

Cette sortie n’est pas pour plaire au parti du président Sarkozy, l’UMP, dont un député, Lionnel Luca, pour ne pas le nommer, se targue d’avoir empêché le film de concourir dans la sélection française au prochain Festival de Cannes. Lionnel Luca fait état d’un document du Service historique de la défense (SHD) qui juge le scénario “parsemé d’erreurs et d’anachronismes” et “d’invraisemblances parfois grossières”. Le Service historique de la défense avait été saisi du scénario par Hubert Falco, secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens combattants, le 18 juin 2009, à la demande de Lionnel Luca. Le SHD a rendu son rapport le 9 septembre 2009. Il cite un seul exemple : en 1945, l’auteur fait crier à des musulmans : “Vive le FLN !” Or, le FLN a été créé en 1954. Pourtant, à aucun moment du film, projeté vendredi, cette phrase (Vive le FLN !) n’est prononcée.

Le général de division Gilles Robert, chef du Service historique de la défense, écrit : “Les nombreuses invraisemblances présentes dans le scénario montrent que la rédaction de ce dernier n’a pas été précédée par une étude historique sérieuse. Cette approximation historique rend ce film de fiction peu crédible.”

Or, en prenant comme sujet les émeutes de Sétif, en 1945, Rachid Bouchareb voulait “faire la lumière sur ce pan de l’histoire commune aux deux pays” et “rétablir une vérité historique confinée dans les coffres”.

Le SHD est, en fait, le service de propagande de l’armée coloniale. Alors que le général Paul Aussaresses, et avant lui son collègue Marcel Bigeard, affirment que Larbi Ben M’hidi fut torturé et assassiné, le SHD maintient la version propagandiste selon laquelle l’un des pères de la Révolution algérienne se serait suicidé. Le SHD est, de loin, mal placé pour juger de la véracité des faits historiques liés à la guerre de Libération.

Mais, au-delà du débat que les historiens, des deux côtés de la Méditerranée, ont engagé depuis fort longtemps, l’incursion des politiques dans le débat ne fait qu’envenimer les rapports entre les deux pays. Lorsque Le Pen, l’ancien parachutiste tortionnaire, se met à parler de la guerre d’Algérie, on connaît d’avance le refrain, mais qu’un ministère de la République française, la Défense en l’occurrence, se hasarde dans ce bourbier, cela risque de l’éclabousser.

On croyait que Nicolas Sarkozy, qui n’a pas pris part à cette page de l’histoire commune entre les deux pays, allait prendre de la distance par rapport aux nostalgiques d’une certaine “Algérie française”. Son parti, l’UMP, apparemment plus préoccupé par les élections de 2012 et de la concurrence de l’extrême-droite, que par la refondation des relations algéro-françaises sur des bases saines, est en train de s’enfoncer dans le populisme propre à Le Pen.
Il est vrai que le film de Bouchareb risque d’éveiller, à nouveau la communauté algérienne établie en France. Les jeunes Beurs, très attachés à l’Algérie, mais qui ne connaissent pas vraiment l’histoire du pays de leurs parents, vont découvrir, à travers le film, les conditions misérables dans lesquelles vivaient leurs parents et leur contribution dans l’indépendance de leur pays.


Polémiques autour de “Hors-La-Loi” de Bouchareb

Réactions en terrain politiquement miné

Par : Djilali Benyoub

Guerre des mémoires ou réactions épidermiques ? Dans le débat très passionné autour de la mémoire entre la France et l’Algérie, le film Hors-La-loi, de Rachid Bouchareb, une fiction historique a vite dépassé son cadre cinématographique, culturel pour être “traîné” sur le terrain politique, un terrain déjà miné par les diatribes des lobbies nostalgiques de l’Algérie française autour desquels gravitent pieds-noirs et harkis et leurs relais au sein des institutions françaises.
À peine la brouille de la repentance clamée que la salve retentit au cœur du Parlement français qui descend en flammes le film accusé de “déformer la vérité historique”, d’“accabler la France” coloniale. Dans le rétroviseur apparaît clairement la loi du 23 février. Hors-la-loi est présenté jusque-là comme une production française. Sauf que, sans que personne ne l’ait encore vu, il a suscité une polémique aiguë qui s’exacerba avec l’approche du Festival de Cannes où il est nominé.

Les attaques dans l’Hexagone montent crescendo. Côté algérien, on fait de même. On défend le film que personne n’a vu, on répond aux attaques avec au centre de la problématique, la mémoire, la reconnaissance des crimes coloniaux et la demande de repentance de la France.

Un projet de loi en ce sens est présenté pour examen à l’Exécutif. Cette initiative participe de la démarche du FLN qui en a fait une sorte d’étape stratégique alors que le ciel algéro-français ne cesse de s’embrumer.

Si au niveau officiel, on observe un silence lourd et gêné, les acteurs politiques n’ont raté aucune occasion de réagir.

À peine sorti d’un congrès à haut risque, Abdelaziz Belkhadem a rajouté à son discours déjà empreint de rhétorique liée à l’histoire. “C’est une campagne enragée menée contre tout ce qui relève de vérités historiques et qui condamne les crimes du colonialisme contre le peuple algérien”, rétorque le patron du FLN à la campagne hystérique initiée par des responsables français. Il ira loin dans sa dénonciation de la campagne contre le film rappelant les 132 ans d’occupation, la pacification, le napalm et les abominables crimes. “Ces pratiques et les drames qu’ils ont entraînés sont marqués à jamais dans la mémoire des générations. C’est un héritage national et qui ne va pas s’estomper sauf si l’on reconnait le crime, l’on demande des excuses et l’on répare”, dit-il encore en réaction à cette campagne “enragée”.

Combat d’arrière-garde, pour certains, histoire falsifiée, pour les radicaux embusqués de l’UMP, Hors-la-loi, projeté à Alger en même temps qu’à Cannes où les “protestataires” ont réussi néanmoins à lui enlever le label “film français” dans la course à la Palme d’Or, (le film est financé à + de 50% par la France), les voix de la sagesse n’ont pu avoir place. S’étonne-t-on d’ailleurs de son intensité alors que ses acteurs avouent n’avoir pas encore vu le film.

Le RND, pour sa part, ne s’étale pas sur la chose. Il a d’autres préoccupations, d’autres missions à travers le territoire national. Loin de l’aventure comme au FLN, le RND préfère la mesure. Contrairement aux habituelles sorties tonitruantes des islamistes. D’El-Islah au MSP, on ne s’encombre pas de détail pour fustiger l’ancienne puissance coloniale qui, durant sa présence en Algérie, a déculturé la nation, porté atteinte à sa religion, sa langue et son identité. La réaction est démagogique, populiste, avoisinant celle du FLN qui par sa persistance ressemble à un tapage médiatique.
“Qu’en penseront ces inconscients si nous ouvrons nos archives pour dévoiler ce qu’a fait la colonisation de peuplement en Algérie ? Ce qu’ils ont fait ? De l’extermination organisée, la torture, l’effacement des signes de l’identité… Ils ne pourront pas changer l’histoire. Ni la génération de Novembre, ni les générations qui viendront après, elles ne l’oublierons pas. La page ne sera pas déchirée”, clame Belkhadem là où les islamistes adoptent des positions “extrêmes” mais qui demeurent cependant épidermiques.

La famille révolutionnaire dans sa globalité a refusé de s’aventurer dans ce détail de l’histoire, détail qui n’est pas une histoire en elle-même.

Elle reste toutefois attachée à l’exigence d’excuses officielles et de repentance de la France. Évidemment, les organisations de cette famille semblent jouer plus haut que les partis… d’ailleurs, Hors-la-loi est à peine évoqué lors de la célébration des massacres du 8 Mai 45, à peine évoqué dans le film.