Chadli Bendjedid : un Président sous influence

ENTRE HOMMAGES ET BILAN POLÉMIQUE

Chadli Bendjedid : un Président sous influence

Par : Mounir B., Liberté, 8 octobre 2012

La mort de Chadli Bendjedid a plongé l’Algérie dans une sorte d’amnésie collective encouragée par le vibrant hommage officiel que lui rend la nation. Bombardé par les professionnels de la nécrologie “père de la démocratie algérienne”, Chadli Bendjedid était pourtant un président sous influence.

La vie du troisième Président algérien a été peuplée de blagues de la rue algérienne. Des blagues souvent à son désavantage qui le présentaient comme un Président à la limite du simplisme et qui souffre de la comparaison avec ses contemporains qu’étaient François Mitterrand ou Ronald Reagan. Lors de sa visite aux USA, on demande à Chadli “ce qui l’a le plus impressionné”. Il répond : “Ce sont les enfants américains. Ils savent déjà parler anglais !” était une de ces blagues assassines qui reflétaient une forme d’opinion publique répandue que Chadli Bendjedid n’était pas à sa place à la présidence de la République, mais qui en faisait un homme forcément sympathique.
À l’heure de ses obsèques, c’est cette nostalgie d’une époque qui semblait bénie pour certains qui est mise en avant. Le révisionnisme politique ambiant aide à dresser de Chadli Bendjedid un portrait biaisé, surtout en relation avec son apport à la démocratie et au multipartisme, que ses admirateurs mettent en avant. Mais qu’en était-il réellement ? Chadli était-il un homme de rupture ou un président qui s’est accroché au pouvoir au risque de glisser le pays dans l’abîme ? Était-il cet homme “gentil”, adepte du jet-ski ou un militaire qui a appris le pragmatisme politique au point de devenir un excellent manœuvrier ? Son bilan était-il le sien ou celui des personnes qui avaient son oreille ?

Octobre 88 : la tache noire

La vérité est entre les deux. Comme lors de ce conclave de l’armée algérienne au Commandement des forces terrestres, à Aïn Naâdja, lorsque l’ancien ministre de la Défense, le général Khaled Nezzar appela la crème de l’état-major, entre le 5 et le 10 octobre, pour plancher sur un rapport confidentiel dénommé “Chadli Bendjedid ou le syndrome de Ceausescu”. Dans la rue, des jeunes Algériens tombaient sous les balles. Des prisons secrètes étaient improvisées. Des centres de torture provisoires étaient organisés.
L’armée voulait mettre fin à cette folie meurtrière d’Octobre 88 qui a fini par l’affecter et était décidée à pousser Chadli Bendjedid vers la sortie. Des émeutes d’Octobre, prémices d’un printemps arabe avant l’heure, dont l’armée soupçonnait Chadli Bendjedid d’en être l’instigateur secret. Ce qui a fait dire à Sid-Ahmed Ghozali dans Autopsie d’une tragédie, le documentaire sur ces événements du réalisateur Malik Aït Aoudia, “la mèche d’Octobre 88 a été allumée à la Présidence”.
Chadli Bendjedid était considéré donc par le système comme un pyromane. Octobre 88 n’a été que le point d’orgue d’une perte de souveraineté lente et calculée qui avait débuté avec son règne en 1980 et qui a été marquée par des règlements de comptes insondables dont a été victime, entre autres, l’actuel président Bouteflika et sa famille, chassés de leur propre maison par le ministre de l’Industrie de l’époque de Chadli Bendjedid. Ce dernier poussant la vendetta ou la “déboumédienisation” jusqu’à poursuivre Bouteflika devant la Cour des comptes tout en sachant que les fonds manipulés au ministère des Affaires étrangères étaient un sujet de sécurité nationale. Pas rancunier, Bouteflika lui rend un hommage national.

Erreurs stratégiques et alignement

Chadli Bendjedid, malgré son passé révolutionnaire et son parcours au sein de l’ANP salués par tous, s’est révélé, paradoxalement, être un des fossoyeurs de la sécurité nationale.
Il a traité avec une telle désinvolture les questions stratégiques qu’il a réussi, en l’espace de quelques années (1980-1986), à affaiblir les capacités de réaction algériennes. Comme les grandes entreprises publiques économiques qu’il a fragmentées, il en fit de même avec la sécurité militaire, transformée en DGPS (et reconstituée en DRS en 1990) qu’il a vidée de ses ressources comme la capacité d’enquêter sur la corruption au sein même de ces entreprises qui allait devenir endémique. Chadli était également sourd à la menace islamiste qui grondait, utilisant les pères de la “Sahwa islamique” tels que Sahraoui, Abassi Madani ou Nahnah comme contre-feux au mouvement berbériste, encouragés par son MAE, Taleb El-Ibrahimi, qui a fini par transformer la diplomatie algérienne en succursale de l’Élysée.
C’est sous son règne que des milliers d’Algériens partirent à Peshawar, via Djeddah, pour constituer “les Afghans algériens” et revenir avec un “savoir-faire” meurtrier. Sa présidence était sous l’influence de l’axe Paris-Washington-Riyad qui faisait tout pour “désocialiser” l’Algérie et l’extraire de l’influence ex-soviétique jusqu’à démanteler l’appareil militaire de l’ANP dont il a brisé la chaîne de commandement comme le reflète “l’affaire Beloucif”.
Ce fut également lui qui signa en 1989 la grâce des anciens du MIA dont Chebouti, Meliani et Baa, seulement deux ans après leur arrestation dans le cadre de “l’affaire Bouyali”, qui allaient former le GIA.
Les erreurs stratégiques de Chadli Bendjedid furent légion et il savait pertinemment qu’il allait jouer sa réputation sur la transition démocratique entre 1988 et 1992, date d’un départ forcé et salutaire.
Car, ce que l’on attribue à Chadli Bendjedid comme point positif est souvent l’œuvre d’un autre. De ces hommes d’influence qui l’ont entouré et donné à sa fin de règne une forme de bilan politique.
Le multipartisme est sorti du cerveau bouillonnant d’un Larbi Belkheir, son ancien chef de cabinet, qui avait fini par se brouiller avec lui et rejoindre les thèses de l’armée, et d’un Mouloud Hamrouche, son dernier Premier ministre, qui a su donner à cette ouverture politique et économique un parfum de réformes.
L’ouverture aux médias a été pilotée par Mohamed-Salah Dembri, un homme de convictions. La démocratisation de la société et le désenclavement du système étaient le fruit de l’analyse fertile d’un Aboubakr Belkaïd. La sortie de l’ANP du parti unique (FLN ) était une décision collégiale de l’état-major. Chadli a été l’épicentre involontaire d’un plan pour la survie du système qui se devait de faire peau neuve et les ponts furent définitivement et réellement coupés avec le “maître d’El-Mouradia” quand ce dernier a accepté de cohabiter avec le FIS au Parlement juste pour sauver sa tête. Ainsi, Chadli Bendjedid a traversé son époque comme un faible décideur qui sait se montrer habile en temps de crise et effacé dans les temps prospères. Pour Octobre 88, c’est l’Histoire qui le jugera comme pour la répression des émeutes de La Casbah, de Sétif ou de Constantine. Si Chadli Bendjedid gouvernait maintenant, il aurait été traité de la pire façon que Moubarak et Ben Ali réunis. Mais en ces temps de recueillement, on est plus enclins à préserver l’homme et à dissoudre son bilan tout en oubliant que pour un chef d’État seul les actes publics comptent. Même s’il était brillant aux dominos.

M. B.