Pouvoir de l’ombre et ombre du pouvoir
El Watan, 8 octobre 2012
Chadli Bendjedid a accepté de se faire hara-kiri en quittant le pouvoir sur la pointe des pieds sans jamais lever le voile sur les rentiers du FLN.
Tant que Chadli Bendjedid n’aura pas livré – un secret qu’il aura gardé jusqu’à sa mort – les noms des personnes qui lui avaient conseillé d’aller aux élections législatives en l’assurant, sur la foi des rapports des services de sécurité, que le risque de l’ex-parti dissous de remporter la majorité parlementaire était nul, il assumera, seul, devant l’histoire, la responsabilité politique des événements qui avaient suivi les élections législatives avortées de décembre 1991. Le docteur Mahieddine Amimour, qui avait travaillé aux côtés du président défunt en qualité de directeur de l’information à la présidence de la République, a confirmé samedi, dans un témoignage sur Ennahar TV, cette version des faits corroborée par un autre témoignage, livré hier par l’avocat, maître Miloud Brahimi, sur les ondes de la radio Chaîne III.
Mais sur le fond, sur la légalisation du FIS, les avis d’anciens proches collaborateurs de Chadli convergent tous pour dire qu’entre l’activité des islamistes dans la clandestinité et leur intégration dans le jeu politique, l’ancien Président a choisi l’option de la légalité pour mieux contrôler et encadrer ce courant. Ce choix politique, il l’a toujours assumé. Les pouvoirs constitutionnels que lui conférait la Constitution en matière de dissolution du Parlement le confortaient dans l’idée qu’il avait pris la bonne décision, pour la préservation de la stabilité du pays, en allant aux élections législatives dans les conditions politiques d’alors. Cet attachement à la légalité que revendiquait le défunt Président aurait pu rencontrer un écho dans la classe politique et au sein de la population, qui a souffert des conséquences tragiques de la décennie noire, si la même fermeté avait été observée pour le respect de la Constitution dans ses dispositions relatives à la création des partis politiques qui excluent l’existence de formations fondées sur des bases religieuses.
Tout le mal est venu de cette permissivité accordée à ce courant qui a opté, dès son apparition, pour la violence politique, puis armée, pour arriver au pouvoir. Accusé d’avoir conclu un deal avec les islamistes du FIS pour une cohabitation «gagnant gagnant», Chadli Bendjedid n’a pas réussi à convaincre les décideurs que la démocratie ne se serait que mieux portée si on avait laissé le FIS gouverner pour mieux faire découvrir à l’opinion la dangerosité de ce courant, à l’épreuve de l’exercice du pouvoir. C’est ce que le sociologue Lhouari Addi avait appelé la «régression féconde». Un scénario que les Tunisiens et les Egyptiens sont en train d’expérimenter aujourd’hui avec les convulsions que l’on sait, même s’il n’y a aucune comparaison possible dans la doctrine politique des partis islamistes de ces deux pays et le FIS, du moins dans la forme qui sous-tend leur action politique. Ayant refusé d’interrompre le processus électoral pour ne pas être accusé d’avoir dévoyé le processus démocratique engagé et par respect de la légalité constitutionnelle, Chadli Bendjedid a choisi la porte dérobée de la démission librement consentie ou forcée.
Pourtant, avant la tenue des élections et après le scrutin, il avait entre ses mains un dossier en béton pour disqualifier le parti dissous en le déclarant inéligible pour cause d’irrégularités et de graves infractions à la loi sur les partis dont s’était rendu coupable ce parti avant les élections (trituration des listes électorales, menaces des électeurs…) et pendant le scrutin (fraude électorale avérée). Il ne l’a pas fait. Les compromis de pouvoir qu’il a scellés dans l’appareil du FLN et dans les sphères de décision ne lui ont pas plus souri. Il a accepté de se faire hara-kiri en quittant le pouvoir sur la pointe des pieds sans jamais lever le voile sur les rentiers du FLN que les réformes engagées dérangeaient, disait-il, et qu’il n’a cessé de désigner comme les principaux responsables des heurs et malheurs qui se sont abattus sur le pays durant toutes ces années.
Omar Berbiche