Mémoires de Chadli Bendjedid : je n’ai pas agréé le FIS, j’ai été mis devant un fait accompli
Abed Charef, Maghreb Emergent, 10 Octobre 2012
L’ancien président Chadli Bendjedid a laissé une véritable bombe à retardement, dont les premiers éclats font les premiers dégâts quatre jours après sa mort. Selon des bonnes feuilles de ses mémoires, publiées mercredi 10 octobre par le quotidien en arabe Echorouk, le président Chadli aurait écrit, dans des mémoires posthumes, que ce n’est pas lui qui aurait agréé le Front Islamique du salut (FIS), en septembre 1989. Il aurait été mis « devant le fait accompli ».
Coup de tonnerre à Alger. Quatre jours après la mort de l’ancien président Chadli Bendjedid, une première révélation extraite de ses mémoires risque de provoquer un séisme à Alger. Selon des mémoires posthumes qui devraient être publiées le 1er novembre, Chadli Bendjedid aurait écrit que la décision d’agréer le Front islamique du salut (FIS, islamiste radical) a été prise sans lui. « J’ai été mis devant le fait accompli », selon des extraits de ces mémoires publiés mercredi par le quotidien en arabe Echorouk.
Chadli Bendjedid, décédé samedi à Alger des complications d’un cancer du rein, a été inhumé lundi en présence du président Abdelaziz Bouteflika. Ses mémoires, rédigées avec l’aide d’un journaliste, Abdelaziz Boubakir, devaient initialement être présentées au Salon du Livre qui s’est tenu fin septembre à Alger, où Chadli Bendjedid devait faire une dédicace. L’état de santé de l’ancien chef de l’Etat l’a toutefois contraint à annuler cette dédicace. Casbah Editions, qui l’édite, a laissé entendre que le livre serait disponible à partir du 1er novembre, anniversaire du déclenchement de la guerre de libération.
Dans ses mémoires, Chadli jette ainsi un véritable pavé dans la mare. Il affirme qu’il a appris l’agrément du FIS et du rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD, laïc, longtemps dirigé par Saïd Saadi) au retour d’un voyage au Sénégal. Il impute l’agrément du FIS à son tout puissant directeur de cabinet, Larbi Belkheir, ainsi qu’à deux hommes clés de cette époque, le premier ministre Kasdi Merbah et son ministre de l’intérieur Abou Bakr Belkaïd.
Le FIS et le RCD « ont été agréés dans des conditions obscures, alors que Chadli Bendjedid se trouvait en visite d’Etat au Sénégal. Il n’a appris la décision qu’à son retour, comme s’il s’agissait d’un fait accompli imposé par certaines parties. Il s’agit de M. Larbi Belkheir », rapporte le journal.
Larbi Belkheir, Kadi Merbah et Abou Bakr Belkaïd au centre de la décision
L’agrément du FIS, longtemps attribué au président Chadli Bendjedid et à son premier ministre et chef de file des réformateurs, Mouloud Hamrouche, a constitué un des principaux reproches adressés à Chadli Bendjedid par les courants laïcs et anti-islamistes. Mouloud Hamrouche avait botté en touche en soulignant une évidence : le FIS et le RCD avaient été agréés le 6 septembre 1989, alors que son gouvernement a été nommé le 9 septembre de la même année.
Le journal officiel révèle effectivement que l’agrément du FIS, en date du 6 septembre 1989, a été signé par M. Abou Bakr Belkaïd, ministre de l’intérieur du gouvernement de M. Kasdi Merbah. C’était virtuellement l’un des derniers actes du gouvernement Merbah, qui sera assassiné le 21 août 1993 avec son frère et son fils, à l’est d’Alger, alors qu’il revenait d’une maison en bord de mer. M. Merbah avait été chef de gouvernement pendant un an (88-89), mais il était surtout connu comme le patron de la puissante sécurité militaire sous Houari Boumediène, de l’indépendance en 1962 à 1979.
M. Abou Bakr Belkaïd a été à son tour assassiné le 28 Septembre 1995 à Alger. Très influent dans les milieux modernistes, il était notamment le mentor du RCD et un des principaux animateurs de la lutte contre les islamistes. Quant à Larbi Belkheir, général-major décédé le 28 janvier 2010 après avoir accompagné Chadli Bendjedid pendant une décennie, il connait une traversée du désert au milieu des années 1990, avant un retour en force sous Bouteflika, et un ultime exil comme ambassadeur au Maroc.
Le FIS avait remporté les élections législatives de décembre 1991, poussant l’armée à contester ce scrutin et à interrompre le processus électoral. C’était le point de départ d’une violente guerre civile qui aurait fait près de 200.000 morts, selon le leader du Front des Forces Socialistes (FFS) Hocine Aït-Ahmed.
L’armée n’avait pas confiance en Belkhadem
Chadli Bendjedid a également affirmé qu’il a démissionné de son propre gré en 1992, alors que la version la plus en vogue, appuyée notamment par l’ancien ministre de la défense Khaled Nezzar, laisse entendre qu’il a été sommé de se démettre. Chadli Bendjedid affirme qu’il ne pouvait revenir sur son engagement à respecter le choix des électeurs, mais que le résultat du scrutin du 26 décembre 1991 pouvait le pays à une dérive.
Il affirme qu’il avait aussi décidé de dissoudre l’Assemblée Nationale (APN-Parlement), parce que son président d’alors, Abdelaziz Belkhadem, aujourd’hui patron du FLN, devait devenir président de la république en cas de démission du chef de l’Etat en exercice. Or, selon Chadli Bendjedid, « l’armée n’avait pas confiance » en M. Belkhadem, considéré comme proche des islamistes.