12 ans après la démission de Chadli Bendjedid
12 ans après la démission de Chadli Bendjedid : Fin de mission politique pour l’armée ?
par Ali Brahimi , Le Jeune Indépendant, 11 janvier 2004
Voilà aujourd’hui douze années que le président Chadli Bendjedid a démissionné. Une démission qui avait mis en évidence le désarroi d’un pouvoir qui, devant le péril islamiste, se rendait compte de la fausseté de tous ses calculs. Après de premières élections pluralistes pour les assemblées locales en juin 1990, l’Algérie organisait en décembre 1991 les premières élections législatives après avoir adopté une Constitution, celle de février 1989, qui a consacré le multipartisme.
Tablant sur la mauvaise gestion des communes par le Front islamique du salut (FIS, dissous par décision de justice en mars 1992) et le ras-le-bol de la population que cela était supposé susciter, le pouvoir a organisé ces élections législatives en prévoyant le partage de la majorité des sièges à l’Assemblée populaire nationale (APN) entre le FIS et le Front de libération nationale (FLN).
Mais c’est une véritable déferlante islamiste qui est sortie des urnes. Et la mine défaite de Larbi Belkheir, alors ministre de l’Intérieur, venu annoncer les résultats à la fin du scrutin au centre de presse aménagé à la salle Ibn Khaldoun, en disait long sur le coup de massue que le pouvoir venait de recevoir sur la tête.
Le moment de la surprise passé, si tant est que tout ce qui constituait le pouvoir était surpris, il fallait penser à la solution qui préserverait le pouvoir et la société. Une solution qui a, en partie, été rendue publique le 11 janvier avec l’annonce par Chadli Bendjedid de sa démission.
Il apprend aux Algériens qu’il a également procédé, dans le secret le plus total, à la dissolution de l’APN en date du 4 janvier. Dans sa lettre de démission, lue à la télévision, Chadli Bendjedid demandait aux Algériens de considérer son départ comme «un sacrifice au profit de l’intérêt supérieur de la nation» car, expliquait-il, «les mesures prises et les méthodes qui sont exigées pour résoudre nos problèmes ont atteint aujourd’hui des limites qui ne peuvent être franchies sans danger pour la cohésion nationale, l’ordre public et l’unité nationale».
Cette vacance du pouvoir, due à la dissolution de l’APN et le refus inexpliqué du président du Conseil constitutionnel d’assurer l’intérim jusqu’à l’organisation d’une élection présidentielle, a concentré tous les pouvoirs, du moins officiellement, entre les mains du Haut Conseil de sécurité (HCS) qui a prononcé l’annulation des résultats du premier tour des législatives de décembre 1991, l’annulation du deuxième tour et la proclamation, le 14 janvier, du Haut Comité d’Etat (HCE, présidence collégiale) avec à sa tête Mohamed Boudiaf, secondé par Khaled Nezzar, Ali Haroun, Ali Kafi et Tedjini Haddam.
Depuis lors, et bien que souvent l’objet de critiques acerbes, touchant même à sa vie privée, le président Chadli Bendjedid s’est muré dans un silence duquel il n’est sorti qu’en janvier 2001. Chadli s’est alors exprimé sur les colonnes de plusieurs journaux pour faire part de sa disponibilité à revenir aux affaires si la crise s’aggravait et menait le pays à l’impasse.
«A ce moment-là, nous serons dans l’obligation de bouger, car nous sommes les fils de l’Algérie et concernés par l’avenir de nos enfants.» Il n’y eut plus d’apparitions publiques depuis, hormis sa présence à l’enterrement de M’hammed Yazid en novembre dernier.
Evoquer aujourd’hui le départ de Chadli Bendjedid renvoie évidemment au rôle de l’armée algérienne dans la prise de position politique en Algérie. Un rôle qui a toujours consisté en la nomination de civils pour, à travers eux, gouverner le pays.
Ce rôle, l’armée l’a pleinement joué en poussant Chadli Bendjedid à la démission. Elle l’a encore exercé en 1994, date de fin de mission du HCE, quand elle a essayé de convaincre l’actuel président, Abdelaziz Bouteflika, d’accepter de prendre les destinées du pays jusqu’à ce que les conditions soient réunies pour organiser des élections présidentielles, pour, devant son refus, se rabattre sur Liamine Zeroual.
Ce rôle, l’armée le jouera encore quand elle a poussé Zeroual à la démission en septembre 1998 en lui proposant une solution de crise dont il n’était pas du tout partisan. Et elle le jouera en lui trouvant un remplaçant en la personne qui lui a fait faux bond en 1994, Abdelaziz Bouteflika.
Ce dernier, à peine investi de ses nouvelles responsabilités, n’avait-il pas avoué qu’il n’était pas autorisé à franchir certaines lignes rouges ? Aujourd’hui, l’armée déclare sa neutralité. Quel crédit accorder à cette déclaration quand on voit que cette institution ne s’est jamais retirée de la vie politique bien que l’ayant décidé après la Constitution de 1989 ? Le pays vivant toujours en état d’urgence, l’armée algérienne peut-elle réellement ne pas jouer un rôle dans la vie politique ? Le général Lamari a beau affirmer que l’institution qu’il représente acceptera les résultats de l’élection présidentielle quels qu’ils soient, et qu’il est donc temps aux politiques de se débrouiller tout seuls, l’Algérien restera sceptique, habitué qu’il est au fait que rien ne se fait sans l’aval des militaires.
Ou bien doit-on s’obliger à croire que l’armée, fatiguée de servir d’exutoire à toutes les erreurs commises par d’autres, veut mettre un terme à des pratiques qu’elle veut remiser à tout jamais au placard ? A. B.