Chadli : Bouc et émissaire en même temps ?

Chadli : Bouc et émissaire en même temps ?

Madjid Khelassi, La Nation, 10 Octobre 2012

Chadli Bendjedid, 3éme président de l’Algérie post-indépendance tire sa révérence (et ironie de l’histoire) aux alentours d’un 5 octobre chargé de symboles.
Que n’a-t-on pas dit et écrit sur cet ex colonel intronisé président de la république grâce à son « âge le plus avancé dans le grade le plus ancien » ! Et grâce aussi à cette formule, la plus alambiquée de l’histoire politique contemporaine !

Chadli mort, et vlan la volée de bois vert s’enflamme ! Chadli et son bilan sont examinés sous l’angle des causes et des conséquences.
Belle dialectique du dedans – dehors qui mélange l’ambulance et le rejet de l’autre.

Poussière sous les ongles, l’Algérie n’en finit pas tutoyer ses démons intérieurs.
Président naïf, tête à blagues, paysan « encostumé président », homme des deals obscurs, …. La liste est sans fin. C’est vanity …ère sous couvert d’analyse concise !

Rewind sur pellicule : Boumédienne meurt. Yahiaoui et Bouteflika postulent à son remplacement. Chadli est désigné !
Première mesure, il convie le peuple algérien à s’envoyer en l’air (aéronautiquement parlant) en supprimant l’autorisation de sortie du territoire national.
C’est la première liberté individuelle et non des moindres.
Des familles entières voyagent et découvrent des contrées jadis juste géographiques.
Après ça et pour beaucoup d’entre nous, le ciel pouvait tomber sur nos têtes, on s’en fichait « républiquement » !
Que fît Chadli après ? Il essaya de s’entourer d’hommes capables d’examiner de manière sobre les fractures immenses crées par une décennie et demi de dictature Houariste.
Et analyser la nécrose d’un système dont la mécanique grippée n’autorisait aucune réparation possible!

Remédier à cela équivalait tout de suite à porter sa croix sur le front des défis impossibles.
Car l’Algérie de la fin des années 70 fût celle d’un pouvoir personnel, d’une interdiction totale des libertés individuelles et collectives.
Cette Algérie était tellement malade d’elle-même qu’il aurait fallu un télescope de la taille de Hubble pour dénicher un remplaçant à Boum.

Chadli désigné, ne se déroba pas. Il assuma. Son début de mandat se situait au croisement des dérives et du ready-made des décideurs de l’ombre.
En ce temps d’une encore « Boumédiennerie » ambiante, la dictature ou du moins la conception de l’exercice du pouvoir fut une « évidence » partagée.
Les définitions de cet exercice étaient multiples : bureau politique, conseil de la révolution, appareil du parti…
Sous Boum, le pouvoir fut une société secrète qui ne daignait pas de semer la terreur pour dompter les récalcitrants.
Rompant avec le cours attesté de la vie politique en vigueur, Chadli ne fît pas feu du discours politique boisé.
Il refusa tout de suite d’endosser le frac de la fausse affabilité des despotes.
Jusqu’à octobre 88, il chercha en vain l’écho d’un idéalisme qui n’existait pas. Vacuité née de l’autoritarisme, le désespoir se transforma en révolte.
Homme-vigie malgré lui, comme un marin face à sa première tempête, il « comprit » qu’il fallait changer « ça ».
En 1989, il s’entoura du premier gouvernement réformateur dirigé par Mouloud Hamrouche.
L’autorisation de voyager, mirage vite tatoué en liberté factice ne suffisait pas. Il fallait plus !
L’équipe Hamrouche interrogea le noir, supprima les ombres, recoupa les pistes, écouta les doléances, congela la langue de bois.

Les premières mesures tombèrent : autonomie de la banque d’Algérie, liberté de la presse, multipartisme….

1990 et début 91, la rue crie sa liberté retrouvée, le FIS (agrée avec d’autres partis comme le RCD, le FFS ? le PRA, le PT, etc.) se donne des airs d’alternative.
Grèves, occupations des rues et des places publiques.

Eté 91, Hamrouche mise sur l’essoufflement du parti islamique.
Il n’a pas le temps de voir cette optique se concrétiser.
Et là, première faute Tactique de Bendjedid : il lâche Hamrouche sous la pression des gardiens du temple.

Ghozali, l’homme au noeud pap le remplace, les élections législatives sont convoquées, le FIS rafle la mise au 1er tour.
Au 3éme trimestre de l’année 1991, Le 2éme tour est annulé pour cas manifeste d’aliénation du peule disent les forts en thèmes.

Janvier 1992, Chadli est « déposé » via un discours démission.
Le président- paysan, raillé, descendu, démis, se retire sur la pointe des pieds. Il ne dira plus rien ou du moins dans des mémoires sous encre.
Homme honnête, Il n’avait en fait pas de démons à s’extirper de lui-même.

Ces dernières années, on le savait malade, on espérait qu’il s’exprime. Mais, Il ne succomba pas à la légèreté inentamable des temps révolus.
Parole éteinte d’une ombre, presque anonyme, à force d’avancer dans l’oubli des ingrats, il ne pipa le moindre mot.

Père de la démocratie disent certains, pas du tout dit Louisa Hanoune ! Là n’est pas le problème, et toute polémique vire au quid.
Quant à nous, nous n’avons pas le talent des libellistes pour donner à Jules ce qui n’appartient pas à César. On laisse ça aux experts des outrances commandées, de l’exercice de style tendancieux, et de l’encre qui s’abime dans la plus lâche des gratuités et à tous ceux qui vivent en alternance avec leur amnésie.

Chadli fut le premier à nous permettre de sortir, de voyager, de voir d’autres libertés pour nous imprégner et d’en faire bon usage.
Ceux qui sont venus après lui peuvent –ils se targuer de nous avoir offert une autre liberté ?
Pas sur, car depuis, l’eau a coulé sous les ponts sans soupir d’une Algérie qui depuis la nuit des temps n’a pas toujours réservé le meilleur aux meilleurs de ses enfants.
Et pour une fois, un mort ne servira pas de bouc ni d’émissaire à personne.