Benaouda: « Larbi Belkheir et son groupe ont impliqué Boudiaf »

Benaouda: « Larbi Belkheir et son groupe ont impliqué Boudiaf »

Hassina Bouchenih / version française: Moussa. K, Echorouk, 14 janvier 2016

Vingt-quatre (24) ans après l’arrivée du feu Boudiaf à la tête du Haut Comité d’Etat (HCE), 16 janvier 1992, le colonel Amar Benaouda, membre du Groupe des 22, revient dans cette interview sur sa relation avec le moudjahid et les circonstances dans lesquelles Mohamed Boudiaf était rappelé deson exil au Maroc.

Vous étiez ensemble au sein du Groupe des 22 qui a préparé le déclenchement de la glorieuse Révolution du 1er novembre 1954. Comment vous êtes vous rencontrés?

J’ai fait sa connaissance en 1947 à Constantine. C’était lors des rencontres organisées périodiquement par l’Organisation secrète (OS). Une relation d’amitié et de respect me liait à Boudiaf. C’était un homme rigoureux à qui nous devons respect. C’était quelqu’un de discipliné qui posait des questions aux militants pour s’assurer que ses leçons avaient bien été assimilées.

Il affichait alors un grand enthousiasme pour la lutte armée?

Effectivement, pour lui l’intérêt de l’Algérie est au-dessus de toute considération. Il était prêt à sacrifier tout pour l’Algérie. Animé d’un enthousiasme sans bornes, Boudiaf a organisé la Révolution, fait venir Mourad Didouche, Rabah Bitat et Larbi Ben M’hidi d’Oran et proposé de prendre attache avec Messali El Hadj. Il avait tenté à deux reprises: une première avec Mustapha Ben Boulaid et une seconde fois avec Krim Belkacem. C’était également lui qui avait pris l’initiative de contacter les centristes. Outre ses nombreuses décisions justes, Boudiaf a commis quelques erreurs.

Pouvez-vous nous citer quelques unes?

Par exemple, son départ en Égypte était une erreur. Il aurait dû rester à la frontière. Une fois arrivé là-bas, Boudiaf n’avait pas pu réconcilier Ben Bella et Aït Ahmed. Ils étaient ses responsables au sein de l’OS. En effet, il était plus proche d’Aït Ahmed, qui refusait la dictature, qu’à Ben Bella, séduit par le modèle du président Djamel Abdennasser.

Est-ce pour cette raison que Ben Bella avait emprisonné Boudiaf en juillet 1963?

Boudiaf était victime d’injustice car il n’était pas d’accord avec Ben Bella. Par contre, il était sur une même longueur d’onde que Aït Ahmed. Il voulait la démocratie. Ben Bella, lui, a dévié des idéaux du 1er novembre 1954, notamment le leadership collectif.

Feu Boudiaf a choisi l’exil de longues années durant et n’est revenu au pays qu’en 1992, après la démission de Chadli Bendjedid. Etiez-vous au courant de son rappel pour présider le HCE?

Je ne savais pas. J’ai été opposant au groupe qui l’a ramené.

En acceptant la proposition, Boudiaf a-t- il été impliqué?

Certes, ils l’ont impliqué. Boudiaf leur avait, à coup sûr, posé comme condition le leadership collectif et ce n’était d’ailleurs pas lui qui avait choisi le groupe qui travaillait avec lui (membres du HCE). Il s’entendait bien avec Ali Kafi et Tidjani Heddam mais pas avec Ali Haroun et Réda Malek.

D’après quelques interviews, c’était Ali Haroun qui l’aurait convaincu de revenir au pays?

Absolument pas! C’étaient Larbi Belkheir, Khaled Nezzar et El Hadi Khediri.

L’avez-vous rencontré après son investiture?

Je l’ai rencontré une seule fois et je lui ai exprimé mon souhait de quitter la Présidence. Il m’a dit : pourquoi? Je lui ai répondu: parce que c’est le parti de la France qui vous a fait venir ici et moi je ne travaille avec ce parti que j’ai combattu depuis 1979 (après la mort de Boumediène). Je l’ai conseillé à trois reprises de faire très attention à lui avant que je quitte son bureau.

Quelle avait été sa réaction?

Il a refusé ma démission. Il n’a pas commenté lorsque je lui ai demandé de se méfier du parti de la France.

Pensez-vous qu’ils l’avaient impliqué dans le parti de la France?

Oui, ils l’ont impliqué. Larbi Belkheir et ses amis faisaient partie du clan de la France. Quand Chadli a dit un jour: « Rendez-moi la liberté, lâchez-moi!», il ne voulait pas sa démission mais de se libérer du clan (Belkheir, Nezzar, Messaâdia, Belloucif…).

C’est ainsi que Nezzar ait pris la décision de rompre le processus électoral sans consulter le président Chadli?

Lorsque Nezzar dit: « C’est moi qui avais pris la décision de l’arrêt du processus électoral », cela signifie qu’il désobéissait au Président et que ce dernier n’avait plus aucun pouvoir sur les gens qu’il avait nommés. Chadli avait pourtant promis des élections transparentes. S’il avait démissionné de son propre chef, il aurait senti que sa parole n’était pas entendue. J’avais déjà dit dans une intervention que Chadli était parvenu à un accord avec le FIS, portant l’octroi à ce dernier de trois portefeuilles ministériels mais le refus exprimé par Paris avait tout chamboulé.

Où étiez-vous le jour de l’assassinat de Mohamed Boudiaf, le 29 juin 1992 à Annaba?

J’ai été à Alger. Un ami à moi m’a appelé du palais de la Culture pour m’annoncer la nouvelle. Je n’ai pas cru qu’ils l’ont assassiné que lorsque je l’ai appris par la télévision.

Qui étaient à l’origine de son assassinat?

Les ennemis de la patrie et du nationalisme lui ont tiré dessus. La France le craignait beaucoup.

Le peuple algérien veut savoir qui sont ces ennemis de la patrie?

Pas aujourd’hui! Seul le temps nous dira la vérité un jour et qui étaient derrière ce crime. En tout cas, ce qu’a fait l’officier Boumaâraf n’était sans doute pas un acte isolé. Seuls les ennemis du pays avaient intérêt de le supprimer.