Je vis seule, et alors ?
El Watan, 2 août 2013
Une étude récente menée sur les femmes du Monde arabe révèle que 51% des Algériennes ayant l’âge légal de se marier seraient célibataires. Parmi ces femmes, elles sont de plus en plus nombreuses à vivre seules. Une situation parfois subie, parfois choisie. Mais les difficultés qu’elles rencontrent sont encore importantes.
«J’ai encore besoin de profiter de mon indépendance avant de m’engager et de fonder une famille, affirme Aya, 31 ans. Ma sœur sortait plus souvent que moi puis elle a eu des enfants et tout a changé pour elle.» Cette ancienne basketteuse devenue femme de ménage vit seule dans un appartement situé près d’un quartier balnéaire de la région d’Alger. Elle est l’une de ces femmes qui ont choisi de remettre à plus tard leur projet de famille pour privilégier leurs choix individuels. «Ce n’est pas un choix, rétorque Nadia, 47 ans, ingénieur dans un laboratoire pharmaceutique, je n’ai tout simplement pas trouvé chaussure à mon pied et je préfère vivre seule que mal accompagnée. J’ai attendu de finir mes études pour avoir mon propre logement.» Vivre seule n’est pas dans l’absolu le fruit d’une revendication, ni une mode qui se popularise. Les profils et les situations sont variés, selon la sociologue et féministe Nacéra Merah. «Les femmes ont, depuis la nuit des temps, vécu seules pour des tas de raisons. Ça ne se voyait pas, car les femmes rurales vivaient dans des tribus, mais en cas de célibat, de veuvage ou de divorce, même si elles étaient obligées de servir la grande famille ou de travailler un petit lopin de terre, elles étaient indépendantes. Cependant, le fait qu’une femme célibataire fasse une demande de logement séparé pour vivre seule est un phénomène relativement nouveau.» Sur les listes d’attribution de logements tenues par les wilayas figurent un certain nombre de femmes qui ont fait une demande de logement personnel.
Demande
«Il y a un an à Blida, sur 60 demandes, 19 femmes avaient obtenu un logement en leur nom, dont quatre pour elles seules, suscitant de vives réactions de la part d’hommes qui, eux, ont à leur charge une famille», affirme Cherifa Kheddar, présidente de l’association féministe Djazaïrouna et porte-parole de l’Observatoire des violences faites aux femmes (OVIF). Selon elle, «des femmes qui sont maintenant en pré-retraite ou retraitées avaient profité dans les décennies 1970-80 d’une offre plus accessible de logement pour emménager seules». Dans l’Algérie d’aujourd’hui, il est plus difficile de se loger et les logements sont attribués en priorité aux familles avec des enfants. «Les femmes se tournent vers des offres professionnelles de l’Etat, mais ces dernières sont plus chères que les logements sociaux. Les femmes cadres, qui peuvent avoir accès au crédit, acquièrent plus facilement un bien dans le privé.» Les femmes divorcées sont souvent désavantagées. «Elles se voient accorder par le juge une allocation logement dérisoire par rapport au prix médian du loyer algérien, malgré l’amendement du code de la famille en 2005. Elles sont alors obligées de faire une demande de logement social qui est peu accessible», explique-t-elle. Aya, qui vit gratuitement dans l’ancien appartement familial, a eu plus de chance qu’un bon nombre de ses concitoyennes divorcées. Depuis 2006, elle attend une réponse pour l’attribution d’un bien d’Etat et loue entre-temps, grâce à son salaire de femme de ménage, un studio privé dans la petite ville de Koléa. Les cas de familles monoparentales, d’étudiantes et de jeunes diplômées – plus nombreuses que les hommes – qui quittent leur foyer natal pour vivre seules dans les grandes villes sont bien connus.
Liberté
Cependant, lorsqu’une femme non mariée fait le choix délibéré de s’éloigner du cocon familial, les critiques sont plus sévères. «Dans notre culture, cela ne se fait pas, affirme Redouane, 31 ans, agent de bureau à Dar El Beïda, cela voudrait dire que cette fille n’a pas de famille, ou qu’elle s’adonne, une fois seule dans son appartement, à des activités douteuses. Pour la société, c’est une proie facile, les gens la pointeront du doigt.» Nacéra Merah confirme. Elle a eu vent d’une femme qui a fait l’objet d’une pétition «pour mœurs légères». Certains propriétaires de la capitale ont rompu des contrats ou refusé de les renouveler après avoir appris qu’une femme seule les occupait. Saliha, oranaise, 51 ans témoigne: «Le célibat n’est pas facile pour une femme en milieu professionnel. Notre société étant ce qu’elle est, c’est-à-dire machiste, on doit faire face, jour après jour, à toutes sortes de remarques désobligeantes venant de nos collègues femmes mariées qui, faut-il le souligner, développent à notre encontre une certaine jalousie, que je n’arrive pas à expliquer ! Quant à nos collègues de l’autre sexe, nous voyant célibataires, ils osent se permettre avec nous des écarts à la limite de la vulgarité ! Pour ma part, tellement désabusée, il m’arrive même de mentir en affirmant être fiancée, de porter une bague, et cela juste pour qu’on me fiche la paix !»
Zen
Farida, 30 ans voit la situation autrement: «Mon célibat ne me gêne nullement en milieu professionnel. Certes, on a parfois affaire à des collègues machos, mais il faut avoir du répondant, du caractère et les remettre à leur place. A partir de là, ils nous assurent une paix royale ! La femme célibataire doit s’imposer et s’affirmer, et assumer son statut de célibat. C’est à partir de là qu’elle forcera le respect !» Pour Nasser, 51 ans, ingénieur dans la région d’Alger, «l’Algérie d’avant était solidaire et se vivait en famille». Difficile pour lui de concevoir qu’une femme ou un homme célibataire en âge de se marier quitte le foyer familial : «Je ne pense pas par ailleurs que ces femmes assument totalement leur célibat.» Nadia, ingénieur, temporise : «Au début, c’est difficile, c’est sûr, mais une fois que les gens apprennent à te connaître, ils deviennent moins regardants.» Nadia répond que par moments, elle a des regrets. «Mais ils ne sont que de passage.» Au final, ce qui dérange la société algérienne, selon Nacéra Merah, ce n’est pas qu’une femme vive seule, mais «qu’elle s’émancipe ou qu’elle se voit comme un individu à part entière». Néanmoins, certains hommes interrogés trouvent acceptable qu’une femme dispose d’elle-même librement et indépendamment des exigences familiales et de la culture dominante. Mais si c’était à refaire ? Nadia affirme convaincue que «quand tu t’habitues au célibat, tu as du mal à changer. Pour l’instant, je ne veux pas partager mon toit avec un homme.»
*Les prénoms ont été changés
Mbarka. Tizi Ouzou : une bouffée d’air frais
Mbarka est universitaire à Tiz Ouzou. Sa vie, à l’instar de beaucoup de femmes avec des diplômes supérieurs, est consacrée à son travail. Originaire des Hauts Plateaux, elle a dû s’occuper de sa mère, souffrante, jusqu’à son décès. Vivant difficilement avec ses frères et belles-sœurs, elle s’en va.
Outre les pesanteurs familiales, elle a eu à subir les inquisitions des islamistes, lui imposant le port du hidjab. Elle finit par demander une mutation, et en Kabylie, elle gagne un peu plus d’indépendance. Quinquagénaire, elle vit plutôt sa solitude comme une bouffée d’air frais. Parfois, il lui est difficile de trouver un appartement à louer, une femme vivant seule peut susciter quelque méfiance.
Elle se consacre à son enseignement et passe le reste de son temps libre à écrire, et surtout à participer à toute manifestation culturelle, littéraire, quel qu’en soit l’organisateur.
Saïd Gada
Aïcha. Constantine : je ne supporte plus de diktat
Aïcha, sexagénaire, nouvellement retraitée de l’enseignement, a, tout naturellement, appris à vivre seule dans son petit F3 depuis le décès de sa vieille mère –avec laquelle elle avait toujours vécu–, survenu il y a quatre ans. «Je ne crois pas qu’on s’habitue à la solitude, surtout lors d’événements religieux, comme le Ramadhan et les fêtes, mais la seule famille qui me reste, ce son mes deux frères cadets avec lesquels je ne m’entends pas bien ; étant célibataire endurcie, comme ils disent, je ne supporte plus de diktat.»
Pimpante, et surtout courageuse, elle s’efforce d’assumer ce statut imposé de femme seule. Selon elle, la société n’est pas indulgente. Aïcha essaie malgré tout de perpétuer certaines traditions. Chorba, bourek et autres douceurs sont donc toujours de mise chez elle, même si elle n’arrive pas à «apprécier vraiment».
Farida Hamadou
Feriel Kolli avec Akram El Kébir (Oran)