Islam et femmes: les impératifs d’une vision réformiste

Islam et femmes: les impératifs d’une vision réformiste

Asma Lamrabet, Huffpost, 29 novembre 2017

Médecin biologiste et directrice du Centre d’études féminines en Islam

SOCIÉTÉ – La question des femmes, en général, et des musulmanes en particulier, est aujourd’hui au centre de tous les débats sur la modernité, les valeurs universelles et le « vivre ensemble » des sociétés contemporaines mondialisées. Et dans ce cadre-là, il est important de souligner le rôle que joue l’Union pour la Méditerranée, qui met au cœur de son agenda positif pour la Méditerranée la question de l’autonomisation des femmes comme moteur de l’intégration régional et du développement inclusif.

Ces questions-là sont essentielles afin de transcender les non-dits, les malentendus et les stéréotypes de part et d’autres et de constituer un véritable espace de dialogue sincère et constructif au-delà des frontières géographiques et culturelles. En effet, et de façon très caricaturale, on constate que la question des femmes en islam continue d’être prise en otage entre une islamophobie largement médiatisée et banalisée et un patriarcat politico-culturel encore très prégnant au sein des sociétés et communautés musulmanes.

Les femmes musulmanes sont donc toujours les victimes de choix des débats polémiques récurrents, au sein de leurs sociétés et ailleurs, et sont généralement instrumentalisées par des politiques qui se font le plus souvent sans elles, voire à leur insu.

Faire la part des choses

Malgré la difficulté aujourd’hui de faire la part des choses entre un islam instrumentalisé de toutes parts et une idéologie xénophobe de plus en plus flagrante, il s’avère que oui, on peut se frayer un autre chemin. Un chemin loin de toutes ces idéologie extrêmes, qu’elles soient celles de la géopolitique, du consumérisme ultralibéral, de la misogynie mondialisée incarnée par la recrudescence des populismes politiques de tous bords ou celle de l’horreur de l’extrémisme religieux au nom d’un islam dévoyé de son éthique spirituelle.

L’islam permet la polygamie, impose la soumission des femmes aux hommes, les voile, leur refuse le droit d’hériter à part égale avec les hommes, permet qu’on les répudie, octroie aux hommes tous les droits. Toutes ces questions majoritairement admises comme des fondements du sacré dans l’imaginaire musulman sont-elles structurelles à l’islam en tant que révélation spirituelle? Sont-elles transcrites dans le texte coranique lui-même ou bien s’agit-il d’une interprétation – humaine – du texte, reproduite dans des compilations théologiques à travers l’histoire?

Pour y répondre, il est impératif aujourd’hui de déconstruire au préalable l’approche traditionaliste encore de mise aujourd’hui afin d’initier une lecture réformiste à même de nous offrir de nouvelles clés de lecture de cette problématique. Il s’agit de prime abord de faire la distinction entre l’islam spirituel, celui du texte comme source révélé, et celui de l’islam institutionnel des oulémas, exégètes, théologiens des différentes écoles juridiques et courants idéologiques qui ont structuré historiquement la pensée islamique.

Il est donc essentiel de distinguer entre ces différentes catégories de lectures afin de saisir ce que dit vraiment le message spirituel, ce qu’il ne dit pas mais aussi et surtout ce qu’on lui fait dire depuis des siècles! C’est ainsi que l’on peut démontrer, arguments à l’appui, que la majorité des interprétations médiévales classiques ont été le produit de leur milieu social et culturel et se sont construites à la marge, et en allant parfois à l’encontre des nombreuses latitudes accordées par les textes scripturaires.

En effet, il se trouve que sur cette question des femmes, il y a un décalage conséquent entre ce que prône le message spirituel de l’islam et la majorité des lectures interprétatives, notamment celles du droit musulman ou fîqh qui sont majoritairement discriminatoires et sont devenues avec le temps et l’imitation aveugle (taqlîd), des récits sacralisés. En redonnant la priorité aux sources textuelles, et notamment à la dimension éthique du message spirituel, il s’avère que les sempiternels interdits religieux que l’on nous sort à chaque occasion n’existent tout simplement pas dans le texte lui-même, mais dans la longue tragédie historique d’une lecture du religieux restée otage de ses propres dérives sociopolitiques.

Cette nouvelle lecture réformiste nous permet aussi de mettre en évidence au sein du référentiel islamique quatre dimensions essentielles que la lecture traditionaliste majoritaire n’a jamais prises en compte et qui sont: la dimension éthique spirituelle, qui constitue l’essentiel du texte -notamment à travers les principes de justice a’dl et de raison a’ql- , la dimension humaniste symbolisée par le concept de l’être humain (însan), une dimension égalitaire conceptuelle et normative mise en évidence à travers plus de vingt versets et une dernière dimension socio-conjoncturelle, qui doit être remise dans le contexte historique de l’époque.

Offrir de nouvelles grilles de lecture

La nouvelle approche réformiste a permis de démontrer que sur 6232 versets, il y a plus ou moins 6 versets – qui ont fait la réputation de l’islam – tels que: la polygamie, le voile, le répudiation, le tutelle juridique de l’homme sur la femme, le témoignage, et la demi part de l’héritage. Il reste cependant vrai que ces versets, extirpés du cadre éthique de l’ensemble de la vision coranique et soumis à des interprétations et lectures littéralistes voire discriminatoires, ont largement participé à entretenir la vision péjorative d’une religion qui opprime les femmes et où la notion d’égalité est quasi absente.

En effet, les juristes musulmans ont marginalisé l’éthique universelle et les valeurs socles des textes scripturaires et ont interprété ces quelques versets conjoncturels à l’aune de leur propre société et mentalité patriarcale de l’époque où les notions de justice et d’égalité n’avaient pas le sens qu’elles ont aujourd’hui. C’est donc à travers les valeurs socles du message spirituel, telles que la libération humaine, l’égalité de tous les êtres humains, la liberté de conviction, les impératifs de justice, du savoir, de la raison, le respect de la diversité humaine qu’il faudrait savoir réinterpréter aujourd’hui la thématique des femmes et l’appréhender comme une thématique au cœur de l’exigence spirituelle de la libération des êtres humains.

Cette nouvelle approche réformiste est encore certes minoritaire au sein du monde musulman mais il reste évident aujourd’hui que l’on assiste à l’émergence d’une véritable conscience féminine musulmane, au sein des sociétés arabo-musulmanes mais aussi des communautés et des minorités musulmanes vivant en Occident.

En effet, un véritable travail de recherche académique et théologique est en train de prendre forme et stipule clairement que le discours sur l’égalité entre hommes et femmes est complètement valide de l’intérieur de l’islam et que les sources scripturaires de l’islam ne constituent en aucun cas une entrave à l’instauration des droits égalitaires entre hommes et femmes[1].

La réforme de la pensée et de la tradition islamique est une obligation éthique et morale et non pas parce qu’on nous l’ordonne. C’est au nom des principes même de l’islam dévoyés et usurpés par la lecture de l’idéologie politique qu’il faut aujourd’hui s’atteler à corriger cette inversion de valeurs entérinée par des siècles de décadence. Il s’agit donc d’offrir aux musulmans et musulmanes de nouvelles grilles de lecture d’un religieux transformé en une véritable éthique, qui peut être vécu non plus comme une identité figée de résistance et de refus de l’autre, mais comme une profonde spiritualité libératrice.

[1]Voir tout le travail effectué par le réseau Musawah, celui des académiciennes comme Amina Wadud, Asma Barlas, Oumayma Abu Bakr, Ziba Mir Hosseynni, etc.