Les femmes appelées à se remobiliser

Pour acquérir leurs droits

Les femmes appelées à se remobiliser

El Watan, 21 mars 2009

La quête des droits est, pour la femme algérienne, un défi qu’elle doit relever au quotidien. Elle bataille, quel que soit son statut social, pour arracher l’égalité qui n’est qu’un vain mot couché sur la Loi fondamentale.

Lors d’une rencontre à l’Institut Cervantès d’Alger, des femmes savantes ont démontré que malgré le degré d’instruction qu’elle peut atteindre, l’Algérienne demeure prisonnière d’un système de domination par l’homme basé sur un contrat social qu’elle doit subir contester. Un contrat à l’élaboration duquel elle n’a pas été conviée et qui est cousu selon les règles d’une tradition patriarcale aux relents misogynes et sexistes. Si la femme espagnole, comme le souligne Carmen Romero, présidente de l’association Cercle méditerranéen, a réussi à gagner ses droits après la chute du franquisme, l’Algérienne a malheureusement été sommée de reprendre une place de secondaire dans la société après avoir pourtant été aux premières loges du combat pour la libération du pays. Carmen Romero estime que le travail politique a permis aux Espagnoles de s’imposer comme des protagonistes sur un terrain qui était réservé aux seuls hommes. « Les femmes ne peuvent pas attendre qu’on leur offre leurs droits, elles doivent militer pour les arracher. La parité doit se gagner en imposant la discrimination positive », dit-elle.

Pour Nadia Aït Zaï, directrice du Centre d’information et de documentation de l’enfant et de la femme (CIDDEF), le mouvement féministe en Algérie a une part de responsabilité dans la régression que connaît la condition féminine : « Nous, militantes des droits des femmes, nous n’avons pas la même compréhension de la notion d’égalité. Et les pouvoirs publics y mettent aussi un autre contenu. Nous nous trouvons devant un double discours. Nous avons le droit de vote, le droit d’être élue, le droit à la santé, à l’éducation. Mais cela ne veut pas dire que nous avons acquis pleinement nos droits », explique Mme Aït Zaï. Et de souligner que l’Etat algérien, qui a ratifié la convention sur l’élimination de la discrimination, continue d’émettre des réserves sur le statut de la femme dans la famille.

« Depuis 1962, nous demeurons en transition. Quand il y a des réformes, elles répondent à des intérêts du moment. Nos politiques ont une approche de l’égalité qui balance entre l’universel et les spécificités de la famille algérienne. Nous sommes dans un comportement ambivalent. La société veut aller vers la modernité, mais il y a des réticences à considérer la femme comme un être humain », précise Mme Aït Zaï, en notant l’absence de volonté politique qui aille dans le sens de donner ses pleins droits à la femme. « Le danger est de voir que des adolescents ont les mêmes réponses que les adultes sur la question de la femme », indique l’avocate en évoquant une enquête que le CIDDEF a menée sur la situation de la femme algérienne.

« Même le droit au travail de la femme est menacé. 80% de nos sondés veulent que les Algériennes portent le voile. Il est urgent que les politiques accompagnent les principes égalitaires et que les femmes reviennent au combat », note-t-elle. La juriste Wassila Tamzali plaide aussi pour que les femmes réoccupent le terrain de la lutte. « Quand on parle de lutte politique, c’est qu’il faut faire avancer les choses par le chemin du réformisme. Il s’agit de faire une rupture avec les règles d’une société pour en instaurer d’autres », indique-t-elle.

Par Nadjia Bouaricha


Wassila Tamzali. Juriste : « La question des femmes est une question politique »

– Dans votre intervention, vous avez parlé d’engagement politique et de rapport des sexes sur le plan politique. Qu’entendez-vous par là ?

– Ce n’est pas tellement l’engagement politique en termes de partis politiques. Mais ce qu’il faut faire, c’est analyser les rapports des hommes et des femmes comme tous les rapports de société et de leur redonner leur contenu politique. Ce n’est pas une fatalité ni une question d’héritage, de pauvreté ou de religion. Il s’agit d’un rapport politique car tout dans la société est politique. Je trouve qu’une des premières étapes du travail à faire sur ce sujet c’est d’abord une analyse politique des rapports entre les hommes et les femmes dans cette société.

– Quand la loi est démunie devant la pratique, quelle démarche entreprendre ?

– La loi est non seulement démunie, elle n’est pas encore égale. Il y a donc beaucoup de travail à faire sur la loi pour arriver à l’égalité. Ensuite, ce qu’il faudra, c’est effectuer un travail auprès des magistrats pour qu’ils appliquent la loi et sur les femmes pour qu’elles connaissent la loi. Malheureusement, les femmes algériennes ne connaissent pas leurs droits, non seulement elles n’ont pas tous les droits, en plus, elles ne les connaissent pas. Après, il y a la problématique du rapport. Quand on parle d’hommes et de femmes, il s’agit d’un rapport de société. Je connais une personne qui, à 18 ans, s’est vu offrir une valise par son père, qui lui a dit de voler de ses propres ailes. Mais elle est restée à la maison. Pourquoi, parce qu’on ne peut pas tout casser, casser les familles, les pays, les rapports d’amour qu’on a, c’est très compliqué.

– Il s’agit d’un travail à faire sur les mentalités ?

– Tout doit commencer à l’école. Quand on sait qu’à l’école, on a un enseignement religieux basé sur la haine des femmes, c’est terrible. Il faut qu’on sache que c’est à l’école qu’on apprend ce rapport entre les hommes et les femmes. C’est la mère qui apprend au fils, dans ses premiers gestes, comment on doit traiter la fille. Souvent, c’est la mère qui commence par maltraiter sa fille. On dit que la position d’une femme dans une société est le meilleur repère pour avoir une idée de son degré de civilisation. Parce que le rapport entre les sexes, c’est vraiment le cœur de l’organisation de la société.

– La modernité passe par l’émancipation de la femme…

– La modernité et la paix. La violence physique au quotidien contre les femmes est encouragée par une violence symbolique, politique. Quand je vois un gamin de 13 ans me regarder dans les yeux avec insolence, moi qui suis une dame aux cheveux blancs… Pourquoi ? Parce qu’on lui apprend tous les jours que les garçons sont supérieurs aux filles. Dans la rue, quelle est la femme qui n’a pas été victime de l’insolence de ces hommes ? Ce n’est pas parce qu’ils sont moins bien élevés qu’en Europe, mais parce que toute la société est bâtie sur la domination des femmes.

– Que pensez-vous de la dernière révision de la Constitution qui offre le système des quotas pour imposer la présence des femmes dans les institutions ?

– C’est une bonne chose. Tout ce qui se fait, il faut le prendre. Prendre toutes les approches, toutes les défenses. Il faut considérer que les gens qui pensent que c’est à travers une nouvelle interprétation de la religion qu’on arrivera à avancer, il faut les laisser travailler. Il faut les aider et participer à tous les travaux. Mais il faut aussi savoir que la question des femmes est une question politique. Qu’elle doit être analysée comme un rapport politique dans la société. Et que les féministes doivent se mobiliser autour de ces idées.

– Vous qui avez connu le militantisme féministe dans les années 1970, que pensez-vous de ce qu’il est devenu aujourd’hui en Algérie ?

– Dans les années 1970, on était portées par un mouvement politique général. On ne peut pas séparer la politique des femmes ni la question des femmes du reste de la société. Dans ces années-là, il y avait un vrai mouvement sur le plan international. C’était un mouvement utopique, nous pensions que nous allions changer le monde. C’est cela qu’on voulait, pas seulement chez nous, c’était universel. Aujourd’hui, il n’y a plus cet espoir de changer le monde et ce changement qui devait comporter une égalité entre hommes et femmes. Aujourd’hui, on fait de la gestion sociale qui est basée sur un rapport de force, c’est-à-dire si les plus faibles ne sont pas représentés politiquement, ils ne sont pas défendus dans ces rapports de force.

Par Nadjia Bouaricha