Le marché du travail de plus en plus fermé aux femmes
Sombres perspectives pour l’emploi féminin
Le marché du travail de plus en plus fermé aux femmes
El Watan, 23 janvier 2017
Avec un taux de chômage en hausse chez les femmes 20% en septembre 2016 contre 16,5% en mai de la même année, des offres de plus en plus réduite en raison notamment du gel des recrutements dans la fonction publique considérée comme le principal pourvoyeur d’emplois féminin, les perspectives s’annoncent moroses pour le travail des femmes.
Les experts prévoient d’ailleurs l’accentuation du chômage et de la paupérisation chez la gente féminine. Si pour certains, , l’emploi informel va jouer le rôle de tampon en absorbant une partie de ce chômage féminin, pour d’autres, même le travail au noir n’aura plus les capacités pour répondre aux demandes d’emplois, puisque les secteur ou l’informel s’est taillé une place sont également en crise.
Parallèlement, en matière d’entreprenariat, le tableau n’est pas bien meilleur.
Alors qu’elles sont deux fois plus touchées par le chômage que les hommes, les femmes sont pourtant 7 fois moins nombreuses à prendre le risque de l’aventure entrepreneuriale. Leur part dans l’auto-emploi dépasse à peine les 10%.
L’emploi féminin est en régression. Les derniers chiffres de l’Office national des statistiques (ONS) le montrent clairement. Ainsi,au même titre que les jeunes, les femmes ont de plus en plus de difficultés à s’insérer dans le marché de l’emploi, alors qu’elles sont de plus de plus nombreuses à décrocher des diplômes, toutes spécialités confondues.
Des diplômes qui ne leur permettent pas cependant de trouver un emploi dans un marché dont les portes se ferment face aux femmes. «Je suis à la recherche d’un travail depuis deux ans. J’ai déposé plusieurs dossiers pour passer des concours de recrutement et j’ai postulé dans bon nombre d’entreprises mais rien à ce jour», nous confie Meriem, titulaire d’un master en communication.
En attendant, cette jeune universitaire se contente de gérer une salle de jeux pour enfants. Et de surcroît dans un cadre informel. Même situation pour Lynda, diplômée de la formation professionnelle, qui fait chaque week-end le déplacement de Draâ Ben Khedda à Bab Ezzouar pour assurer le fonctionnement d’un cybercafé.
Là aussi, c’est de manière informelle. Ils sont forts nombreux les exemples illustrant les difficultés à trouver un emploi stable et sûr. D’où cette ruée vers les postes temporaires et occasionnels en attendant de trouver mieux via un coup de pouce ou un coup de chance. Vendeuse, enseignante dans une école privée, nounou, agent d’entretien, garde-malade, déléguée commerciale, serveuse…
Les femmes, particulièrement les plus jeunes d’entre elles, se retrouvent souvent dans l’obligation d’accepter les offres liées à ces créneaux, même si elles ne répondent pas à leurs aspirations et leurs ambitions, juste pour pouvoir gagner de l’argent afin de subvenir à leurs besoins et ceux de leur famille.
Précarité
Les femmes les plus livrées à ces difficultés sont celles n’ayant pas suivi de formation particulière et ayant des conditions sociales dures. Elles sont souvent exposées au chômage. Elles se rabattent sur le travail à domicile (gardienne d’enfants, confection de gâteaux et autres pâtes alimentaires, couture…) pour des salaires dérisoires. Cela pour souligner la fragilité de l’emploi. Une précarité qui va en s’aggravant. Et pour cause, la crise économique que traverse le pays n’arrange guère la situation pour cette catégorie de la société, dont la vulnérabilité se fait de plus en plus ressentir.
En effet, les restrictions budgétaires, le gel des recrutements dans la Fonction publique (santé, éducation, administration) et le non-remplacement des départs à la retraite sont loin de jouer en faveur de l’emploi féminin. Un segment qui a vu ses parts baisser en l’espace de six mois, puisque le taux de chômage des femmes a gagné trois points et demi au cours de cette période, passant de 16,5% à 20%. Soit un cinquième des femmes interrogées dans le cadre de l’enquête de l’ONS étaient toujours à la recherche de travail en septembre 2016. Entre-temps, il est clair que la situation n’a pas beaucoup évolué, sachant que la quasi-majorité des recrutements se font à la rentrée sociale.
Impact de la crise
Au contraire, les experts s’attendent à ce que la vulnérabilité de la gent féminine sur le marché de l’emploi s’accentue dans les mois à venir. «Il y aura de moins en moins de femmes dans le monde du travail. Avec la crise, l’emploi informel va diminuer pour absorber cette demande», prévoit l’économiste Mohamed Badis, pour qui le taux de chômage pourrait atteindre prochainement les 24-25%. Et ce, d’autant que la grande majorité des projets en chantier sont fortement pourvoyeurs d’emplois masculins.
C’est le cas dans l’industrie mécanique, la sidérurgie, les cimenteries et les activités portuaires. «Au problème du recrutement, s’ajoutera celui de l’évolution de carrière des femmes, surtout qu’avec le recul de l’âge de la retraite, beaucoup de postes de responsabilité seront détenus par des hommes, empêchant ainsi les femmes de les remplacer. On aura un double plafond de verre alors», ajoutera M. Badis.
Quotas
Autant d’éléments qui font dire à notre expert : «Il faut s’attendre à ce que la crise de l’emploi féminin s’aggrave.» Comment faire alors pour assurer un certain équilibre entre l’emploi féminin et masculin. M. Badis proposera le système des quotas. Mais là aussi, faudrait-il qu’il y ait une volonté politique. Faudrait-il aussi que les femmes pèsent sur l’échiquier politique. En attendant les prochaines législatives et communales, pour l’heure, elles ne font pas le poids comme c’est le cas dans l’entrepreneuriat qui reste un échappatoire pour bon nombre de femmes.
Pour d’autres, l’absorption de cette demande massive de travail féminin accrue sous le double effet de l’accroissement démographique et de l’amélioration du niveau d’instruction impose une réflexion sur l’adéquation entre la formation et l’offre d’emploi. En attendant, la ruée vers l’informel s’intensifie face cette absence de perspectives sur le marché de l’emploi légal.
Et dans ce cadre, les «chances» de trouver un travail au noir ne sont plus les mêmes qu’avant. Et pour cause, les secteurs pourvoyeurs d’emplois informels sont aujourd’hui en crise. Une étude du Bureau international du travail (BIT), réalisée en 2014, avait relevé la prédominance du travail au noir des femmes dans la manufacture et l’habillement.
Soulignant que ce dernier secteur est le plus rongé par l’informel à hauteur de 80%, l’étude en question a conclu que ces branches sont investies en force par les femmes (54,8% pour l’ensemble des branches manufacturières et 91,8% dans la branche habillement). Or, cette filière n’a plus la même place qu’avant avec les importations massives des textiles. C’est plutôt dans la commercialisation (magasins de prêt-à-porter par exemple) qu’on retrouve la forte présence de femmes recrutées illégalement (sans affiliation sociale).
Le poids de l’informel
Parallèlement, la même étude avait conclu que les femmes ne représentent que 14,7% dans l’ensemble du secteur informel non agricole. Quant à l’emploi informel dans le secteur formel, censé être en conformité avec les législations en vigueur, il totalise un effectif proche de 918 000 personnes, pour la plupart des femmes, non déclarées par des entreprises. Une pratique courante chez les sociétés privées. C’est le cas dans les jardins d’enfants, les écoles privées, les cliniques privées, l’agroalimentaire.
Si depuis la date de l’élaboration de l’étude du BIT, beaucoup de choses ont changé, notamment l’avènement de la crise, beaucoup de points restent toutefois à clarifier concernant cette question. Les données ne sont malheureusement pas disponibles en dehors des chiffres périodiques de l’ONS.
Lesquels sont remis en cause par certains experts. Ainsi, Musette Mohamed Saïd, directeur de recherche au Cread, a, lors d’une de ses sorties, souligné que les chiffres de l’ONS ne reflètent pas une profonde vision de l’emploi féminin. Ce qui rappelle le manque d’enquêtes et d’études profondes sur l’emploi féminin.
Indice :
Entre 1962 et 2014, l’effectif des femmes occupées a été multiplié par presque 20 en passant de 90 500 (5,2% des travailleurs des deux sexes) à 1,722 million (16,8%) en 2014.
Les professions d’encadrement (directeur, cadre dirigeant et gérant) représentent seulement 1,6% de l’emploi féminin total contre 2,9% chez les hommes.
Samira Imadalou
Youghourta Bellache . Maître de conférences en économie à l’université de BéjaÏa
«Intégrer la dimension du genre à toutes les politiques publiques»
«Le travail à domicile est le segment le plus important de l’emploi informel féminin. Il couvre une diversité d’activités, qui vont de l’artisanat de production de biens à l’artisanat de services, en passant par l’artisanat traditionnel.»
Le taux de chômage a fortement augmenté chez les femmes, passant de 16,5% à 20% entre mai et septembre 2016. Cette hausse risque-t-elle d’induire la hausse de la part de l’emploi informel chez les femmes ?
Cette forte hausse du taux de chômage chez les femmes va induire inévitablement une expansion de l’emploi informel féminin. Ce dernier, qui a baissé sensiblement ces dernières années, particulièrement depuis 2011, grâce à l’extension de l’emploi public non marchand dans le cadre des dispositifs publics, notamment le Dispositif d’aide à l’insertion professionnelle (DAIP) dans lequel les femmes sont bien représentées et la forte augmentation du nombre de bénéficiaires des dispositifs Ansej et CNAC, suite aux émeutes de février 2011, va ainsi repartir à la hausse à la faveur de la crise de l’emploi que connaît le pays actuellement.
Les mesures d’austérité prises dans ce contexte de crise (le gel des recrutements dans la Fonction publique, le non-remplacement des départs en retraite dans certains secteurs, l’arrêt du financement massif et systématique dans le cadre de l’Ansej, CNAC et Angem) expliquent ce rebond du taux de chômage féminin.
Dans ces conditions, l’emploi informel va jouer le rôle de tampon en absorbant une partie de ce chômage féminin. Par ailleurs, si on intègre les femmes qui se déclarent disponibles pour travailler mais qui ne font pas de démarches pour chercher un emploi, qui sont près d’un demi-million, selon l’enquête ONS 2016, que les statisticiens du travail appellent le «halo du chômage», on aura un taux de chômage féminin de l’ordre de 38%, quasiment le double du taux affiché.
Les femmes se trouvent ainsi dans une situation de forte vulnérabilité au regard du taux de chômage, mais également de l’ampleur du sous-emploi qu’elles subissent et qui les affecte aussi plus que les hommes. Le sous-emploi, qui désigne la situation des personnes qui travaillent moins de 40 heures (durée de travail réglementaire) par semaine et qui souhaitent travailler plus pour gagner plus, touche 27% des femmes occupées contre 18% pour les hommes.
Quels sont les secteurs où le travail au noir des femmes est plus présent ?
L’emploi informel féminin se concentre essentiellement dans l’industrie manufacturière, particulièrement dans les branches artisanales (couture, confection, tissage, poterie, vannerie, préparation de produits alimentaires…) et aussi dans les services, notamment les services à la personne (coiffure, garde d’enfants, cours privés…) et le commerce.
Il faut noter également que l’emploi informel des femmes est représenté essentiellement par l’auto-emploi. Deux tiers des femmes travaillant dans l’informel sont des indépendantes, le reste se répartit de façon presque égale entre salariées et aides familiales.
ll y a aussi de plus de plus de femmes qui travaillent à domicile…
Le travail à domicile est le segment le plus important de l’emploi informel féminin. Il couvre une diversité d’activités qui vont de l’artisanat de production de biens (fabrication de produits alimentaires, transformation ou conditionnement de produits agricoles, produits textiles et de confection…), à l’artisanat de services (coiffure à domicile, garde enfants…), en passant par l’artisanat traditionnel (poterie, tissage, vannerie…). L’activité à domicile des femmes, outre le fait qu’elle est invisible, permet de réconcilier vie professionnelle et vie familiale dans une société marquée par le poids des traditions. La situation actuelle induira une extension du travail domestique des femmes à la recherche d’un revenu de subsistance ou d’un revenu complémentaire si nécessaire en ces temps de crise.
Est-il possible d’assurer la transition vers l’emploi formel ? Comment ?
Oui cela est possible pour peu qu’il y ait de la volonté politique. Avant de répondre à la question du comment, il faut d’abord expliquer pourquoi il est nécessaire et même impératif de formaliser l’informel. Au-delà de son rôle de filet social pour les populations vulnérables qui n’arrivent pas à accéder à un emploi formel, notamment en période de crise, les emplois informels souffrent d’un grand déficit en matière de travail décent.
Il s’agit d’emplois de grande précarité au regard de l’absence de protection sociale, de la faiblesse des rémunérations et des mauvaises conditions de travail qui exposent les individus qui s’y adonnent à des risques professionnels accrus et de surcroît non couverts par la sécurité sociale. Il s’agit donc d’un problème social majeur qui interpelle en premier lieu les pouvoirs publics, qui sont garants de la protection sociale et du respect de la réglementation du travail, et aussi les organisations syndicales qui doivent être en première ligne pour défendre les droits sociaux de tous les travailleurs.
Par ailleurs, la formalisation de l’économie informelle de façon générale permettra d’améliorer l’efficience et l’efficacité de l’économie (les petites entreprises informelles pourraient s’agrandir et se développer grâce à des économies d’échelles et aux avantages qu’offre l’enregistrement en termes d’accès au financement, à la formation et à de nouveaux débouchés). Elle permettra aussi d’élargir l’assiette fiscale, donc les ressources budgétaires de l’Etat et d’assurer par la même l’équité fiscale et sociale entre les opérateurs économiques.
Tous ces enjeux (économique, social, fiscal et éthique) justifient la nécessaire formalisation de l’informel. Le phénomène soulève bien entendu un enjeu politique important dans la mesure où sa persistance et son expansion interpellent l’Etat dans son rôle de régulation économique et posent un problème de gouvernance politique.
Comment formaliser ?
Pour formaliser et prendre ce problème à bras-le-corps, il faut d’abord qu’il y ait une volonté politique forte de la part des pouvoirs publics. Ensuite, pour réussir la formalisation, il faut au préalable réaliser un diagnostic exhaustif et pertinent pour mieux connaître le phénomène, le caractériser et cerner ses dimensions. Jusqu’à présent, aucune étude sérieuse et d’envergure n’a été menée sur ce phénomène, alors que dans la plupart des pays en développement, dont des pays voisins (Maroc et Tunisie), celui-ci est assez bien connu, suivi à travers des enquêtes régulières et fait l’objet de politiques publiques.
Chez nous, l’absence d’études et d’enquêtes institutionnelles dédiées à l’informel et les tergiversations et reculades récurrentes des pouvoirs publics sur le terrain face à ce phénomène majeur témoignent de l’absence d’une volonté politique pour l’endiguer ou même l’atténuer. En attendant, l’informel se développe et s’impose de plus en plus comme norme dans l’économie et la société.
Pour répondre concrètement à votre question, une fois cette volonté politique acquise, affirmée et assumée, il y a lieu après de mettre en œuvre, sur la base du diagnostic établi, une politique de formalisation cohérente, globale et transversale, dans le cadre d’un dialogue social qui impliquera les acteurs informels et tous les autres acteurs concernés (pouvoirs publics, organisations syndicales et patronales, associations…).
Au-delà de l’assouplissement du cadre réglementaire, de la simplification de la réglementation socio-fiscale et de l’impérative réforme financière et bancaire, la formation professionnelle doit constituer l’axe central de cette politique de formalisation. Les études de terrain montrent que ce sont les individus les moins qualifiés et non formés, particulièrement les femmes, qui sont les plus exposés à l’informalité.
Il faudra donc une politique de formation professionnelle incitative en direction des jeunes et aussi des autres catégories sociales pour favoriser leur insertion sur le marché du travail formel.
Pour les femmes, vu l’importance du travail à domicile, qui constitue l’essentiel de l’emploi informel féminin, il convient de développer des dispositifs publics adéquats et de renforcer ceux déjà existants (Angem par exemple) pour encadrer et inciter à la formalisation de leur activité dans le cadre de l’auto-emploi. Enfin, compte tenu de la situation vulnérable des femmes sur le marché du travail et de la persistance, voire l’aggravation des inégalités hommes/femmes, il est nécessaire d’intégrer la dimension du genre comme objectif transversal à toutes les politiques publiques pour favoriser leur insertion professionnelle et réduire ainsi ces disparités.
Samira Imadalou
Les femmes chefs d’entreprise peu nombreuses en Algérie
Le développement de l’entrepreneuriat à l’épreuve du genre
A voir le taux de création d’entreprises par rapport à la norme mondiale, il est clair que l’entrepreneuriat n’est pas le choix de prédilection des chercheurs d’emploi en Algérie. Face au confort du salariat et de la Fonction publique et aux multiples entraves à l’investissement, l’acte d’investir peut difficilement faire le poids.
Le problème se pose avec encore plus d’acuité s’agissant des femmes. Les trois quarts de la population occupée féminine sont salariés (dont 50% ont un emploi permanent) contre les deux tiers chez les hommes, selon l’Office national des statistiques (ONS). Alors qu’elles sont deux fois plus touchées par le chômage que les hommes, les femmes sont pourtant 7 fois moins nombreuses à prendre le risque de l’aventure entrepreneuriale. Leur part dans l’auto-emploi dépasse à peine les 10%. Faut-il pour autant y voir uniquement le révélateur d’une société conservatrice, encore dominée par les préjugés ? Pas sûr.
Les femmes représentent aujourd’hui 20% de la population occupée. Autant dire que les débats sur l’insertion de la femme dans le monde du travail n’est plus d’actualité. Son introduction pourtant dans le monde de l’entrepreneuriat est une autre paire de manches.
«La femme participe très peu à la vie économique, alors qu’elle représente plus de 50% de la population», déplore Yasmina Taya, chef d’entreprise. Doit-on pour autant appréhender la question de l’entrepreneuriat féminin comme une problématique à part ? Si les hommes ont déjà du mal à prendre le risque d’entreprendre, que dire alors des femmes, serait-on tenté de penser. «Investir est un parcours du combattant.
C’est difficile pour un homme et ne l’est pas moins pour une femme», souligne Zaim Bensaci, président du conseil consultatif de promotion de la PME. Selon les chiffres du CNRC, le nombre de femmes gérantes d’entreprise est passé de 4451 en 2010, à 8754 en 2015, soit à peine 10% du nombre d’entreprises (personnes morales) enregistrées, selon le recensement économique de 2011. «On parle de 13% de femmes qui ont bénéficié du dispositif Ansej, c’est très faible», commente Samira Hadj Djilani, présidente du Réseau algérien des femmes d’affaires (RAFA). Certes, la progression de l’entrepreneuriat féminin est lente et laborieuse, mais d’aucuns diraient qu’elle est à l’image de l’acte d’entreprendre en Algérie.
Les résultats des enquêtes de l’ONS et les recherches sur les intentions entrepreneuriales des étudiants présentent «l’entrepreneur motivé par la nécessité de créer une entreprise parce qu’il n’existe pas d’autres opportunités d’emplois rémunérés viables. On est donc en présence d’un entrepreneuriat de nécessité qui émerge des faveurs du contexte», explique Aziz Nafaa, chercheur au Cread. Ce type d’entrepreneuriat a souvent peu de perspectives de croissance et ses processus de production sont caducs, nous explique-t-il. L’entrepreneur motivé par les opportunités est, lui, davantage dans une optique de «positionnement stratégique». La logique de rente qui a longtemps prévalu au détriment d’une économie productive a pesé sur le développement de l’entrepreneuriat. Certes, il y a eu des dispositifs d’aide à l’investissement type Ansej, CNAC, etc., qui ont contribué «positivement à réduire les effets négatifs des réformes économiques engagées», mais les entreprises créées sont restées confinées dans des secteurs «non productifs (cyber, transport…)» très vite saturés. Ces créations dans leur majorité ont été lancées dans un type «d’entrepreneuriat dit de nécessité et de contraintes (chômage, précarité..)», précise Nafaa.
Particularité
Entreprendre est de ce point de vue une question de nécessité avant d’être une question de genre, même si l’entrepreneuriat reste foncièrement une affaire d’hommes. Certains acteurs du monde de l’entreprise refusent d’ailleurs d’aborder la question de l’entrepreneuriat féminin comme une problématique à part. «Je suis contre ce distinguo. Quand on parle de l’entreprise, on en parle dans sa globalité, qu’elle soit gérée par un homme ou par une femme», s’exclame Zaïm Bensaci. D’ailleurs, dans les textes, les avantages accordés dans le cadre des dispositifs d’aide à l’investissement s’adressent à tout le monde et ne présentent pas de discrimination envers les femmes.
Pourtant, si on refuse de traiter l’entrepreneuriat féminin comme une particularité, la réalité l’impose quand même.
«Oui, il y a une spécificité appelée entrepreneuriat féminin tant que les préjugés existent et pèsent sur la femme entrepreneur», reconnaît Samira Hadj Djilani. «Certes, on partage les mêmes problèmes avec nos homologues hommes d’affaires, mais il faut rajouter le poids culturel et de la société». Une réalité qui rappelle celle de la présence de la femme en politique qui a tiré profit du système des quotas.
C’est pourquoi, RAFA exige la prise en charge de «cette spécificité féminine» de la même manière que cela a été fait en politique. Concrètement, accorder aux femmes chefs d’entreprise un quota de 30% dans les marchés publics serait une bonne solution au problème, selon Samira Hadj Djilani.
Les femmes entrepreneurs sont une particularité, car «elle sont à la merci de l’administration. Souvent, elles n’ont pas envie de s’engager dans cet environnement et d’aller cavaler pour le foncier, pour le crédit… Certaines peuvent être découragées», explique Zaïm Bensaci. Il y a aussi une dimension familiale. Pour Meriem Chakirou, responsable du projet AWEP (l’Algerian Woman Entrepneurship Program), auprès de l’association Sidra, les femmes «ont peur de l’échec et souvent elles ne sont pas encouragées par leur famille».
Encouragement
Dans cet environnement peu favorable, des initiatives émergent pourtant et certaines sont portées par les jeunes. C’est notamment le cas de l’AWEP. Son objectif est simple : «Donner les mêmes chances de réussite aux femmes qu’aux hommes», selon Lamine Zellag, membre de Sidra. Cette dernière se propose de jouer le rôle d’intermédiaire entre les jeunes femmes porteuses de projets et les institutions en charge des dispositifs d’aide à l’investissement. La formation, l’information et l’inspiration sont son credo. «On ne les finance pas. On les informe, on les forme et on les pousse vers les dispositifs d’investissement existants», explique Meriem Chakirou.
Dans le cadre du programme, une vingtaine de jeunes femmes porteuses de projets ont été sélectionnées après un concours.
Elles bénéficieront donc d’actions de formation et de mise en réseau. Certaines sont encore à l’université, d’autres en formation professionnelle et leurs projets touchent des secteurs aussi divers que l’artisanat, les TIC ou la communication.
Elles ont été sélectionnées parmi 400 candidatures. Preuve s’il en est «qu’il y a un engouement des femmes pour l’entrepreneuriat», remarque Meriem Chakirou. Même si ce n’est pas toujours évident de les convaincre. Selon les chiffres du CNRC, plus de 90% des entités économiques gérées par des femmes sont des personnes physiques, dont près de 50% sont versées dans le commerce. Autrement dit, la création d’entreprises même de petite taille est limitée même avec les dispositifs Ansej, Angem et CNAC. Un constat qu’il y a lieu de relativiser, puisque l’écrasante majorité des entités économiques recensées en Algérie sont des personnes physiques présentes majoritairement dans le commerce.
Quant aux femmes, la conviction est de plus en plus présente que la solution viendra des jeunes, et c’est dans ce cadre que RAFA compte sillonner le pays pour convaincre les femmes universitaires de créer leurs entreprises.
Safia Berkouk