Le mal-être des mères célibataires
Rejetées et honnies par la société
Le mal-être des mères célibataires
El Watan, 16 juin 2013
Soumises à la loi de l’omerta et honnies par une société qui voit en elles la malédiction, les mères célibataires vivent l’enfer.
Elles viennent de toutes les wilayas du pays et sont, pour la plupart, issues de milieux défavorisés. Cela ne veut pas dire pour autant que les plus instruites et les plus riches soient épargnées. Plus chanceuses, celles-ci ont juste les moyens de se «débarrasser» en douceur d’une grossesse «illégitime» et «illégale», aux conséquences humaines, sociales et pénales dramatiques.
Le refus d’admettre cette cruelle réalité sociale rend celle-ci de plus en plus inquiétante et aggrave la situation, non seulement des mères, mais également des enfants désormais privés d’une famille et surtout d’un nom. Pour les spécialistes, les causes de ce phénomène sont liées à la pauvreté, au recul de la moyenne d’âge du mariage (28 ans pour les filles et 33 ans pour les garçons), mais aussi au chômage et à la crise du logement qui bloquent toute perspective pour les jeunes de fonder un foyer. Tabou sur le plan social et péché sur le plan religieux, la grossesse «illégitime» est rarement évoquée, et parce qu’elles ont «transgressé» l’interdiction imposée aux relations hors mariage, les mères célibataires sont bannies, voire reniées, par la société, même si elles figurent dans les registres des hôpitaux et les statistiques de la direction de l’action sociale (dépendant du ministère de la Solidarité nationale et de la Famille), à travers l’abandon de l’enfant qu’elle signe, souvent la mort dans l’âme.
Fuyant leur famille, elles traversent des centaines de kilomètres pour accoucher anonymement dans des établissements hospitaliers, où elles sont considérées par le personnel médical comme des «cas sociaux». Leur sort n’intéresse ni les structures de l’Etat ni les services sociaux. Pourtant, elles sont de plus en plus nombreuses dans une société où il est plus facile de faire porter le fardeau à une femme, la mère, qu’à un homme, le géniteur. Pointées du doigt, souvent jetées à la vindicte, nombre d’entre elles préfèrent écourter leur souffrance, en passant par un avortement, un acte illégal réprimé par le code pénal et passible d’une peine de prison. Au-delà du risque pénal qu’il entraîne, l’avortement est, dans la majorité des cas, clandestinement pratiqué par des médecins, sages- femmes ou infirmiers, généralement non qualifiés.
Des séances de torture pour se soulager d’une grossesse
Les moins démunies des mères célibataires utilisent le système «D», appris de bouche à oreille. Les techniques vont de l’ingestion orale de produits chimiques et de plantes médicinales jusqu’à l’introduction de substances dangereuses dans le col utérin, telles que le mercure, des morceaux de verre ou de bâtonnets enduits de mélange d’herbes ou d’excréments de vache, en passant par l’introduction d’un cintre dans le vagin ou par le piétinement quotidien du ventre. En bref, de véritables séances de torture pour se «soulager» d’une grossesse, source de tous leurs malheurs. Les mères célibataires qui décident d’assumer leur situation subissent une double discrimination : celle d’un individu ayant violé les lois divines en enfantant hors mariage et celle d’une maman désirant élever seule son enfant, en dehors de la reconnaissance paternelle. Les plus chanceuses d’entre elles atterrissent dans des centres d’accueil à la recherche d’un gîte et d’une prise en charge sanitaire loin des regards culpabilisateurs de la société. Ces dernières années, leur nombre n’a cessé d’augmenter.
Selon les statistiques du ministère de la Solidarité, 209 mères célibataires ont été prises en charge dans les structures de l’Etat jusqu’à leur accouchement, entre 2011 et 2013 (78 femmes en 2011, 99 en 2012 et 32 autres en 2013), parmi lesquelles 59 ont été réinsérées dans leur famille. Des chiffres qui sont loin de représenter la réalité. En effet, si l’on prend en compte le nombre d’enfants abandonnés, on constate qu’il y a une catégorie assez importante de mères célibataires n’ayant pas transité par les centres d’accueil. Ainsi, de 2010 à 2012, les structures du ministère de la Solidarité ont accueilli 6781 enfants, dont 1431 ont été repris par leur mère biologique, 4278 placés en kafala en Algérie et 1290 autres à l’étranger. En dix ans, le nombre de naissances hors mariage n’a cessé d’augmenter. En 2001, le rapport du Comité national de la santé a fait état de 5000 enfants extra-conjugaux enregistrés, alors qu’en 2007, le ministère de la Solidarité a avancé le nombre de 7000 naissances illégitimes enregistrées annuellement. Des enfants, taxés «légalement» d’«illégitimes» toute leur vie, en vertu de l’article 40 du code de la famille.
L’avortement dans le code pénal :
Considéré comme un crime passible d’une peine de prison de 1 à 5 ans et d’une amende de 500 à 10 000 DA et de 10 à 20 ans de prison, si mort s’ensuit, l’avortement, ou interruption volontaire de grossesse, est interdit en vertu des articles 304 à 307 et 309 à 313 du code pénal. Seul l’avortement thérapeutique est toutefois admis si la grossesse met en danger la vie de la mère et son équilibre physiologique et mental, comme le stipulent les articles 308 du code pénal, mais aussi l’article 72 de la loi n° 85–05 relative à la protection et à la promotion de la santé.
En cas de viol, l’interruption d’une grossesse n’est autorisée que s’il s’agit d’un viol commis dans le cadre d’un acte terroriste et enregistré sur-le-champ. La sévérité des sanctions pénales de l’avortement est l’une des raisons qui poussent chaque année des centaines de femmes à confier leur vie à des «avorteurs improvisés» ou à des médecins. S. T
74% des mères célibataires sont sans emploi :
En 2006, une enquête sur les enfants abandonnés et les mères célibataires a levé le voile pour la première fois sur la triste réalité. Réalisée en 2006 (au profit de l’Unicef), cette enquête a concerné 873 mères célibataires interrogées à travers 14 wilayas du pays. Les résultats ont montré que, globalement, ces femmes sont issues de familles défavorisées (mère analphabète ou d’un niveau d’instruction primaire et le père ouvrier, agriculteur, manœuvre, etc.).
Elles sont dans leur majorité issues de milieux dont les conditions de vie sont les plus précaires et de ce fait lourdement exposées à la vulnérabilité. Cela n’exclut pas l’existence de quelques exceptions, où la mère ou le père de ces femmes soit un cadre supérieur au chômage. Le taux le plus élevé des mères célibataires se situe dans la tranche d’âge 21-25 ans, avec 23,6% des cas, suivie de celle des 26-30 ans, avec 21,31% des cas. La moitié de ces mères ont un niveau d’instruction primaire (30,8 %) et moyen (29,1%), qui leur permet d’être informées ou de s’informer, l’autre moitié est ou analphabète ou quasiment illettrée. L’enquête a montré, en outre, que 74% des ces mères célibataires sont sans emploi.
Parmi celles-ci malheureusement, 47,4% exercent le commerce du sexe pour survivre ou faire vivre leur famille. Aux 74% des sans-emploi, il faut ajouter les 9,7% de mères célibataires qui déclarent avoir un travail très précaire et sur les 25% des mères travaillent, 7,7% seulement ont un emploi permanent. Concernant les conditions de vie de ces femmes, l’enquête montre que 60% des mères interrogées étaient décemment logées avant la grossesse, parmi lesquelles 30% habitaient dans un immeuble ou une villa, 31% une résidence individuelle de type urbain, 24% sont en situation d’extrême précarité, parmi lesquelles la moitié, soit 12%, sont des SDF.
L’autre particularité qui a retenu l’attention des enquêteurs est cet échantillon de 13,6% des mères célibataires qui sont elles-mêmes nées d’une relation extra-conjugale et qui n’ont aucune information sur leur géniteur. S. T.
Salima Tlemçani
Yasmine, enceinte de 8 mois
A peine 13 ans, sa vie totalement détruite…
Yasmine (nous l’appellerons ainsi pour préserver sa sécurité) a perdu toute trace de jovialité.
Le regard hagard, le teint blafard, les yeux tout le temps baissés, la bouche entrouverte, elle donne l’image d’une personne totalement détruite. Nous menions notre enquête sur les mères célibataires au centre d’accueil SOS femmes en détresse, à Alger, lorsqu’elle a été ramenée par sa mère, accompagnée d’une psychologue et une juriste du réseau NADA. Son cas mérite qu’on s’y attarde, parce qu’il lève le voile sur le comportement hideux de notre société sur les victimes de viol. Jugeons-en.
En dépit de son corps tout frêle, Yasmine porte dans ses entrailles un bébé de 8 mois. Ses deux accompagnatrices du réseau NADA présentent son dossier, composé d’un certificat médical confirmant sa grossesse, ainsi qu’une longue lettre adressée au ministre de la Justice. L’objet de cette correspondance est choquant. Le réseau demande au garde des Sceaux d’aider Yasmine à obtenir «rapidement une réquisition pour qu’elle puisse subir une césarienne et préserver sa virginité». La santé de Yasmine et la recherche de son violeur ne font pas partie des préoccupations du réseau, qui cite une recommandation des médecins, non jointe au dossier. Même réaction observée chez la maman. «On m’a dit qu’elle pouvait accoucher par césarienne. Je suis venue pour que vous m’aidiez. Elle doit quitter son quartier. Si les voisins découvrent son état, ça sera catastrophique pour ma famille. Dieu l’a préservée jusque-là, puisque son ventre n’a pas grossi…», déclare la maman. La directrice du centre lui répond : «C’est une décision qui relève des médecins. Le plus important maintenant est de soigner votre fille. Elle est trop fragile et trop marquée pour penser à une telle opération. Pensez plutôt aux auteurs de son viol qu’il faudra retrouver…» Des propos qui font réagir la psychologue. «Je ne pense pas que Yasmine puisse subir une telle opération. Les médecins s’y refusent, vu sa fragilité», dit-elle, avant d’être interrompue par la maman de Yasmine. «Mon Dieu. J’aurais dû te tuer le jour où j’ai découvert ta grossesse. Comment vais-je faire ? Que vont dire les voisins ?», lance-t-elle au visage de Yasmine, qui suit la discussion tout en étant ailleurs.
Effrayée, elle baisse la tête et serre ses mains. Ses yeux rouges laissent couler un flot de larmes. «Votre fille n’est pas responsable de son état. Elle est victime et vous devriez la soutenir, l’aider pour qu’elle se reconstruise. Vous ne voyez pas qu’elle est détruite, qu’elle n’a plus son visage d’enfant ?», réplique la directrice du centre. La maman se ressaisit. Elle tente d’expliquer sa réaction par le fait qu’elle habite un bidonville et que sa maison est tout le temps pleine de voisins, qu’elle travaille pour nourrir les trois enfants en bas âge de son deuxième mari, un consommateur de drogue au chômage qui, de surcroît, s’est remarié avec une de ses voisines.
Yasmine est toujours murée dans un silence de marbre. C’est sa mère qui répond à toutes les questions qui lui sont posées. Sur les circonstances de ce viol, elle raconte : «Ce jour-là je n’étais pas à la maison. Ma grossesse était presque à terme, je suis partie à l’hôpital en laissant Yasmine comme d’habitude avec mes deux autres enfants. Lorsque je suis rentrée, j’ai trouvé les lieux sens dessus-dessous. Elle m’a raconté que deux hommes encagoulés sont rentrés. Ils l’ont paralysée avec une bombe de gaz et quand elle s’est réveillée, elle était toute nue. Elle n’avait aucune trace de violence, ni sang ou liquide sur ses jambes. Cinq mois plus tard, son comportement a totalement changé. Elle ne mangeait plus, ne parlait pas et ne faisait que dormir. Lorsque je l’ai emmenée chez le médecin, il m’a dit qu’elle était enceinte. Elle n’avait pas encore treize ans. J’ai été à la brigade de gendarmerie de Dar El Beïda, mais comme le médecin légiste n’a pas constaté de violences, le dossier a été clos.» Une version que Yasmine a apprise à cœur. Mais il y a trop de zones d’ombre et de contradictions qui laissent croire qu’il y a un secret quelque part.
La première démarche entreprise par la directrice du centre a été d’informer la brigade des mineurs de Bab Ezzouar, accompagnée de Yasmine et de sa mère. Une rude épreuve avec la série de questions posées de manière brutale, avant que le responsable ne se déclare incompétent : «Ce sont les gendarmes qui ont commencé à traiter le dossier. C’est à eux de poursuivre l’affaire.» Yasmine rentre au centre pour se reposer, en attendant une deuxième journée de torture.
La brigade des mineurs se trouve à Bouzaréah. Encore une fois et après un long questionnaire, les gendarmes informent la directrice et la mère de Yasmine qu’il faut une réquisition du procureur. La troisième journée, c’est enfin le parquet de Hussein Dey qui prend le dossier en main et charge la juge des mineurs de suivre l’affaire. Enfin, c’est la santé de Yasmine qui est prise en compte. Sur réquisition, elle a été placée dans un hôpital, afin de subir les bilans et les soins nécessaires, en attendant que les circonstances du viol soient élucidées. Le cas de Yasmine est révélateur de l’absence et de l’inertie des institutions de l’Etat en matière de prise en charge des victimes de violences, notamment quand il s’agit de viol sur mineures.
A 21 ans, Nora refuse toute affection à sa fille âgée de 5 ans :
Avec son corps frêle, sa longue chevelure et son visage enfantin, Nora donne l’impression d’entamer son adolescence. Pourtant, elle a dépassé les 21 ans et elle est mère célibataire d’une fillette de 5 ans. Son histoire est un cauchemar sans fin. Elle la raconte, la gorge nouée. Elle n’avait pas encore bouclé ses 16 ans lorsqu’elle a été abordée par un jeune homme dans une des ruelles désertes qu’elle traverse tous les jours pour rejoindre son lycée. Brusquement, il l’entraîne vers un buisson pour lui faire subir les pires horreurs.
Avant de la relâcher, il lui lance : «Si tu parles je te tue !» Nora ne sait même pas ce qui lui est arrivé. Elle rentre chez elle et n’ose même pas en parler à sa mère. Brisée, elle ne parle plus. De l’excellente collégienne toujours première en classe, elle sombre dans l’isolement et les absences répétitives. Sa mère ne comprend plus son changement radical. Les discussions qu’elle tente avec elle n’aboutissent à rien. Elle l’emmène chez un psychologue qui ne décèle rien. Nora s’est murée dans un silence de marbre.
Les résultats scolaires sont de plus en plus catastrophiques et ni ses enseignants ni sa mère n’ont pu comprendre ce brusque changement. Mais quelques semaines plus tard, le ventre de Nora s’arrondit. Une visite chez un médecin et le mystère est percé. La mère entre dans une colère indescriptible. Elle se jette sur Nora à coup de gifles, pour connaître le nom du père. Nora ne pouvait pas donner de réponse, parce qu’elle ne le connaissait pas. Sa mère dépose plainte auprès de la police et après enquête, l’auteur du viol est identifié. Sa famille refuse toute idée de mariage entre Nora et son violeur. L’auteur écope de trois années de prison. Nora se retrouve enfermée et isolée du monde par sa mère.
Le jour de l’accouchement, celle-ci fait appel à une sage-femme. Pour elle, il n’est pas question que Nora prenne le risque d’aller à l’hôpital. C’était une délivrance aussi bien pour l’adolescente que pour sa maman. Nora ne veut même pas regarder la belle petite fille. Elle refuse de l’allaiter et c’est sa mère qui prend soin d’elle. Cinq années plus tard, Nora n’est toujours pas autorisée à quitter la prison dans laquelle sa mère l’a enfermée et n’a n’aucune affection pour sa fille.
Pis, pour elle, l’enfant incarne «le déshonneur et la honte» qu’elle a fait subir à sa famille. Elle ne veut même pas parler de son devenir. C’est sa mère qui s’en charge. «Je ne sais même pas quel avenir aura ma petite fille, comment va-t-elle vivre dans une société où le patronyme fait office de certificat d’existence», dit-elle. S. T
Dalila, 21 ans, visage enfantin… :
Chevelure noire et les traits très fins, Dalila vient de boucler sa 21e année. Elle est mère d’une fille de 5 mois. Rejetée dès son jeune âge par sa famille adoptive, elle passe son adolescence dans un centre pour mineures et, dès sa majorité, elle débarque sur Alger, où une famille lui propose des travaux ménagers en contrepartie d’un salaire. Dalila saute sur l’occasion, d’autant que ce travail lui assure le gîte.
Elle est comme une prisonnière. Son seul contact avec l’extérieur est le chauffeur qui accompagne la dame chez laquelle elle travaille, ainsi que ses enfants. Epris par la beauté de Dalila, le jeune homme profite de l’absence de la famille pour se rapprocher d’elle. La relation s’intensifie et Dalila se retrouve enceinte. Elle a très peur. Son ventre n’est cependant pas assez gros pour être visible. Mais elle finit par quitter la maison en direction d’un centre d’accueil pour mères célibataires, à Tipasa. Là-bas, elle fera une terrible expérience.
Lorsque le jour «J» arrive, elle est évacuée vers l’hôpital pour accoucher. Seule dans la pièce, elle entend toutes sortes d’insultes proférées par des infirmières et des sages-femmes. «Elles me demandaient de monter seule sur la table alors que je ne sentais plus mes jambes. Je criais de douleur et elles me disaient des méchancetés. J’ai failli m’évanouir en faisant l’effort de me mettre sur la table. L’accouchement a tardé, je n’en pouvais plus.
Les sages-femmes sont parties en me laissant seule avec mes douleurs. Difficilement, je me suis levée et j’ai été aux toilettes. La poche des eaux a éclaté, et le bébé a commencé à sortir. J’ai paniqué. Je criais, mais personne ne répondait. Je me suis assise par terre, j’ai senti la tête de mon bébé entre mes mains. Je l’ai attrapé puis tiré vers moi. C’était une petite-fille que j’ai serrée contre ma poitrine, en appelant haut et fort l’infirmière. J’étais toute ensanglantée. Lorsqu’elles sont arrivées, ma fille était presque bleue à cause du froid. Elles m’ont mise sur une chaise roulante et ont coupé, dans les toilettes, le cordon ombilical. Elles m’ont emmenée vers ma chambre.
L’assistante sociale ne cessait de me mettre en garde contre la garde de ma fille. Elle voulait à tout prix me faire signer un acte d’abandon. J’ai refusé. Je lui ai dit que son père était prêt à m’épouser. Mais elle insistait. Elle a fini par me dire « si tu inscris ta fille à ton nom, tu ne pourras plus retourner au centre. Elle sera enregistrée sous x ». J’ai eu très peur. J’ai fait ce qu’elle m’a demandé. Il a fallu recourir au juge des mineurs pour récupérer ma fille et, maintenant, je suis obligée d’entamer une procédure en justice pour la déclarer sous mon nom…» S. T.
Salima Tlemçani
Mme Ledjal. Directrice générale de la famille au ministère de la Solidarité
«Les filles-mères ne connaissent pas leurs droits»
– De nombreuses mères célibataires éprouvent des difficultés à être acceptées dans les centres d’accueil de l’Etat. Qu’en est-il au juste ?
Il faut reconnaître que ces femmes sont confrontées à une triste réalité. Elles ne connaissent pas leurs droits et sont nombreuses à préférer ne pas aller jusqu’au bout de leur grossesse, mettant en danger leur santé. «Les centres de prise en charge sous notre responsabilité, sont ceux de Mostaganem, Tlemcen, Bou Ismaïlet Diar Errahma. Dès qu’elles dépassent les quatre mois de la grossesse, elle sont immédiatement acceptées et bénéficient de soins nécessaires. Elles ont le droit de garder leur bébé et un délai de trois mois leur est accordé pour y réfléchir.»
– Quel est leur devenir après l’accouchement ?
Après la prise en charge des mères célibataires jusqu’à l’accouchement, une aide financière est fournie à celles qui souhaitent garder leur enfant, pour renforcer l’opération d’insertion et/ou de réinsertion sociale. Cette aide est accompagnée d’une autre, en nature (habillement, lait et médicaments) octroyée par la commission de wilaya (DASS) après une enquête sociale. Cette aide s’apparente à celle octroyée dans le cadre du secours à l’enfance et débouche généralement sur une insertion professionnelle. Mais dans la majorité des cas, ces femmes sont dans le dénuement le plus total. Elles ne peuvent assumer une telle responsabilité. Mais il est vrai que nous ne disposons pas d’informations sur le devenir de ces femmes, en dehors de celles qui regagnent leur environnement familial.
– Beaucoup parmi les mères célibataires avec lesquelles nous nous sommes entretenues affirment être maltraitées et pointées du doigt par le personnel médical, mais aussi avoir fait l’objet de pressions de la part de certaines assistantes sociales pour signer les actes d’abandon, notamment quand il s’agit d’une petite fille. Quel est votre avis ?
Je reconnais qu’il y a encore beaucoup à faire en matière de formation du personnel en contact avec les mères célibataires. Toutes les directives adressées à nos structures, ou à celles de la santé, insistent sur le caractère humanitaire de la prise en charge des mères célibataires. Elles ont droit aux soins tout autant que les autres femmes et elles ont également le droit de choisir librement, sans aucune forme de pression, si elles doivent abandonner ou pas leur bébé.
Il y a beaucoup d’efforts à consentir pour éviter aux plus démunies de recourir à des avortements dans des conditions dramatiques, et faire en sorte qu’elles puissent garder leur enfant, en mettant l’accent sur leur prise en charge et leur réinsertion familiale. Nous remarquons que le nombre de mères célibataires qui retournent dans leurs familles ne cesse de progresser. Sur les 209 cas que nous avons reçues, 59 ont été réinsérées dans leurs familles. C’est peu, mais cela prouve que la société n’est pas aussi fermée sur la problématique.
– Pensez-vous que nous sommes devant un phénomène en pleine expansion ?
Je ne pense pas que ce soit le cas. La moyenne annuelle des naissances hors mariage est de 3000.
Aujourd’hui, il y a une prise de conscience avérée au sein de la société, notamment dans les familles. Nous avons eu des mamans, des sœurs et même des pères qui ramènent leurs filles et prennent avec eux l’enfant. De plus en plus, les mères célibataires reprennent leur bébé et assument, seules, la responsabilité de les élever.
Salima Tlemçani